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Sans droit ni titre, il reste un espoir pour les migrants

Le 10 December 2013

Ils ont été demandeurs d'asile. Ils sont venus en France, poussés par la nécessité politique. Fuyant la guerre ou la société dont ils étaient issus. Mais l'asile ne leur a pas été accordé.

Ils se retrouvent en France, sans ressources, sans soutiens. Après avoir, pendant un an ou deux, tenté d'obtenir la protection de la France et commencé à organiser leur vie dans notre pays, ils devraient repartir vers le pays qu'ils ont fui.

Pour tous les demandeurs d'asile que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ont déboutés, il s'agit de quitter rapidement le logement provisoire qu'ils occupaient dans un Centre d'accueil des demandeurs d'asile (Cada).

Monique Végéga est chef de service à l'Apremis, une association qui s'occupe d'hébergement et de réinsertion sociale à Amiens. En quelques phrases, elle brosse la situation de l'accueil des réfugiés dans la Somme. «On a pour mission de les faire sortir, pour permettre aux demandeurs d'asile de s'installer correctement avant de déposer leur demande à l'Ofpra. Mais que doit-on faire quand, en-dehors du Cada, il n'y a pas de solutions pour les déboutés?»

Faire sortir les déboutés d'un Cada revient à les mettre à la rue, ou dans les dispositifs d'hébergement d'urgence qui mettent à l'abri de façon inconditionnelle les SDF, mais qui sont soumis, eux aussi, à la rareté des places (voir notre article).

Le manque d'accompagnement: une fabrique à "faux déboutés"

Pour Monique Végéga, l'engorgement des structures d'accueil des demandeurs d'asile fabrique de «faux déboutés». Des migrants dont le dossier était susceptible d'être accepté mais qui, faute d'un hébergement et d'un accompagnement de la part des travailleurs sociaux, rendront un dossier incomplet qui sera rejeté. Et les travailleurs sociaux, eux, ne pourront que garder l'amère impression que tous les moyens n'ont pas été mis en œuvre pour venir en aide à ces demandeurs d'asile.

Mais même pour ceux qui quittent le statut de demandeur d'asile pour la relative sécurité d'un titre décennal de réfugié, les difficultés ne sont pas terminées. Ceux-là, s'ils avaient finalement trouvé une place en Cada, doivent désormais partir. Ils ont un délai de trois mois, renouvelable une fois, pour quitter le centre d'accueil des demandeurs d'asile.

À la base, c'est pour accompagner ces réfugiés vers le logement autonome que l'Apremis a conçu son action de transition et d'insertion (ATI). Jessie Desmet reçoit les réfugiés dans son bureau de l'Apremis, boulevard Carnot à Amiens, pour tenter de résoudre leurs problèmes. Elle explique sa tâche: «Si les personnes obtiennent le statut de réfugié, elles ont accès à certaines ressources. Notre travail, c'est de les aider à ouvrir leurs droits à la santé ou leurs droits à la Caf, pour le RSA par exemple. Et de mener avec elles des démarches pour accéder à l'emploi: on leur explique comment fonctionne l'emploi en France, comment on doit rédiger un CV...» Il s'agit aussi d'étudier les solutions d'hébergements qui s'offrent aux réfugiés: en centre d'hébergement ou dans le parc locatif social ou privé, selon les capacités financières des réfugiés.

Pourtant, le travail de l'Apremis ne s'arrête pas tout-à-fait dès qu'une famille de réfugiés a trouvé son logement. Il faut encore s'assurer que la famille saura se débrouiller dans son logement, et qu'elle comprendra bien les ressorts de l'administration ou des organismes français. «En général on les accompagne jusqu'aux premières factures, pour s'assurer que tout se passera bien, et on peut aussi les mettre en relation avec une assistante sociale de leur secteur.»

Retour impossible

Mais à la marge des réfugiés, il y a tous les déboutés. Et l'Apremis a décidé d'étendre son action à ces personnes "sans droit ni titre" qui se trouvent dans un entre-deux. Déboutées mais parfois impossibles à renvoyer dans leur pays d'origine. «Les retours au pays sont très difficiles à mettre en œuvre, souvent pour des raisons administratives. Et les retours volontaires il y en a, à peine, 10 par an dans la Somme», estime Monique Végéga. Jessie Desmet confirme: «Depuis 7 ans, je n'ai accompagné que trois retours volontaires au pays. Bien souvent, ce n'est pas envisageable pour ces migrants», explique-t-elle. Ils craignent pour leur vie au pays et préféreraient trouver une solution en France. Mais leur situation, ici, est compliquée.

Monique Végéga cite l'exemple de plusieurs résidents du CHRS. «Ils sont arrivés en France depuis plus de dix ans, et sont déboutés du droit d'asile. Pourtant chacun participe à la vie de la cité, ont des activités diverses, fréquentent des chorales ou d'autres associations. Trois d'entre eux font partie du conseil de vie sociale [une sorte de commission d'habitants, ndlr] pour participer aux décisions et aux activités du CHRS... Ils sont insérés dans la société, mais ils sollicitent un droit et séjour et au travail.»

Mais pour certains des déboutés, il reste de l'espoir: l'Admission exceptionnelle au séjour (AES). Mais cette carte de séjour temporaire, renouvelable et délivrée par la préfecture, ne s'accorde que sur un ensemble de critères restreints. Les études, des problèmes de santé, le rapprochement familial, une promesse d'embauche...

Insérés mais clandestins

«Et pourtant ils sont là depuis dix ans. Quel sens ça a? Quel coût social pour ces gens qui ont passé dix ans de leur vie sans rien pouvoir construire, quel coût cela a pour la société?», s'interroge Monique Végéga. «Ne vaudrait-il pas mieux régulariser ces gens, qu'ils puissent être autonomes et chercher un travail?» Résultat: difficile pour les travailleurs sociaux de l'Apremis de répondre à cette détresse.

Pour ceux à qui il reste un espoir d'obtenir une AES, les employées de l'Apremis peuvent aider à monter des dossiers de demande. «On suit le dossier de parents d'enfants français, ou alors de parents de gens qui ont obtenu le statut de réfugié, etc... Pour certains d'entre eux, il peut y avoir des perspectives», estime Jessie Desmet.

Il y a d'autres cas de figures complexes: des «couples à deux vitesses» par exemple. «Madame a le statut de réfugiée. Mais son mari a été débouté de sa demande d'asile. Ils ont eu deux enfants sur le territoire français. Il est probable que son mari obtienne, de plein droit, un titre de séjour», estime Monique Végéga. Mais en attendant, cet homme n'a pas de statut, pas de droits sur le territoire français. Trouver un logement, hors du centre d'hébergement et de réinsertion sociale géré par les associations comme l'Apremis relèvera de la mission impossible. Tout comme trouver un travail.

Toutes les situations sont particulières, et les travailleurs sociaux de l'Apremis s'attachent à les traiter. Mais leur action ATI est victime de son succès. L'Apremis est parvenue à obtenir le financement d'un poste et demi par l'État. Jessie et Marion, qui occupent ces postes, ne suivent actuellement que 37 familles. Il y en aurait plus du double sur une liste d'attente.

Dans l'œil du Télescope

Cet article a été modifié le 13/12/2013, à la demande des deux intervenantes, pour apporter des précisions et pour protéger la confidentialité des personnes évoquées.