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PS : la méthode Boistard fait grincer quelques dents

Le 06 November 2012

En seulement six mois, Pascale Boistard réussira-t-elle l'exploit de passer du statut de parachutée lors des élections législatives à celui de responsable de la fédération socialiste de la Somme? Les militants en décideront le jeudi 15 novembre par un vote. Le dernier de leur congrès 2012.

Car après le vote sur les motions le 11 octobre (voir notre analyse et les résultats officiels), puis le vote pour élire le premier secrétaire national (Harlem Désir) le 18 octobre, c'est, pour finir, la question de la chefferie locale qui est en jeu. Pour le moment trois candidats sont encore en lice : Pascale Boistard, 41 ans, députée de la première circonscription de la Somme ; Benjamin Lucas, 22 ans, responsable régional des jeunes socialistes ; et Francis Thuillier, 55 ans, militant amiénois qui se définit comme «un homme de terrain».

La bataille pour le poste de premier secrétaire fédéral devrait rapidement se réduire à un duel Boistard/Lucas, puisque Francis Thuillier renoncera vraisemblablement à maintenir sa candidature, apportant son soutien à Benjamin Lucas.



Francis Thuillier, encore candidat, pour le moment (D.R.).

Francis Thuillier souhaite que les revendications de la motion n°4, dont il est le représentant local et qui avait créé la surprise lors du vote sur les motions en obtenant 9% des voix, soient portées par la fédération. «Nous souhaitons que les petites sections [les unités de base du parti, ndlr] ne soient plus ignorées. Il faut également plus de transparence dans le reversement des indemnités des élus. Il faut refuser le cumul des mandats, développer une vraie formation des adhérents, créer un secrétariat transversal sur les question du handicap et des personnes âgées», égraine t-il. «Je suis en discussion avec Benjamin Lucas: ça avance très bien.»

«Je ne vois pas comment elle va faire»

Benjamin Lucas semble en effet sur ces mêmes positions: «Il faut rénover le parti. Ça passe par une meilleure démocratie interne, l'écoute des militants, des formations, de la solidarité entre toutes les sections.» Par ailleurs, s'il affirme n'avoir aucun problème avec Pascale Boistard - «c'est une amie» - le responsable des jeunes socialistes estime que le poste de premier secrétaire fédéral demande une pleine disponibilité, incompatible avec un mandat de parlementaire.

«Je ne vois pas comment elle va faire!», appuie Romain Joron, suppléant socialiste de la députée écologiste Barbara Pompili, et soutien de Benjamin Lucas. «Je sais ce qu'est un agenda de députée, on n'a pas le temps de diriger une fédération.»

De son côté, Pascale Boistard balaye cet argument. «Dans ma vie, j'ai fait le choix de me consacrer à la politique. Je n'ai jamais pris de responsabilité que je ne pouvais pas assumer. J'ai, par le passé, exercé des responsabilités nationales au PS en même temps qu'un travail salarié. Je n'ai jamais défailli. J'ai une énorme volonté.»

Mais le cumul des responsabilités n'est pas le seul reproche qui est fait à Pascale Boistard, c'est peut-être même le plus mince.

Rénover, avec les vieux de la vieille ?

Il faut comprendre que pour beaucoup de militants PS dans la Somme, l'urgence est à la rénovation. Car la fédération est en piteux état. «Elle a perdu 50% de ses militants en six ans, 35 % an 4 ans», s'alarme Francis Thuillier. Le temps serait donc au changement. Mais quel changement ?

«Je veux faire revivre la fédération, promet Pascale Boistard. Que l'on retrouve le plaisir de travailler ensemble. J'apporte un vent de fraîcheur dans un parti qui a fonctionné en vase clos pendant très longtemps.»

Mais pour mener à bien son objectif, la députée s'est entourée essentiellement d'élus du parti : Francis Lec, Catherine Quignon-Le-Tyrant, Nicolas Dumont, Maryse Lion-Lec, Didier Cardon, Gilles Demailly, etc. Tous sont destinés à faire vivre le PS local si la candidate est élue.

C'est là que la méthode de Pascale Boistard fait grincer quelques dents. Celles de Romain Joron, par exemple. «Elle vient pour faire fonctionner la fédération, pourquoi pas, mais avec les gens qu'elle prend... Ce n'est pas Didier Cardon, qui est déjà proviseur, conseiller régional et conseiller municipal ou Gilles Demailly, maire d'Amiens et président d'Amiens métropole, qui vont faire tourner le parti. En plus, le PS doit être dans une position critique vis-à-vis de la gestion des collectivités, là ils seront juge et partie.»

«Deux sections écartées»

Rénover avec les anciens, cela interroge. Pour Pascale Boistard, la rénovation est d'abord une dynamique nationale. «Les statuts du parti ont été changés suite à la convention sur la rénovation [en 2010, ndlr]. Il faut aller plus loin pour renouveler le personnel politique.» Et ce n'est pas le chemin qu'elle entreprend localement. «Il faut trouver un équilibre, tempère-t-elle. Le renouvellement, ce n'est pas que les jeunes. Il y a un vrai souci de féminisation dans le parti, notamment aux secrétariats des sections.»



Pascale Boistard, favorite contestée.

Les camarades de la députée l'accusent également de passer en force. «Deux sections amiénoises ont été écartées, la mienne et celle d'Amiens sud», tonne Mohamed Boulafrad, secrétaire de la section d'Amiens ouest. Selon lui, seule la section d'Amiens nord, dirigée par Francis Lec, a eu les faveurs de la députée. «Elle a fait le vide autour d'elle, ce n'est pas la bonne méthode», accuse Francis Thuillier, membre lui aussi de la section d'Amiens ouest.

Que s'est-il passé ?

Les «hamonistes» dindons de la farce

Pour comprendre, il faut remonter quelques deux semaines en arrière.

Le 19 octobre se déroulait en effet le congrès fédéral du PS de la Somme, à l'issue duquel devaient être désignés les candidats au poste de premier secrétaire fédéral, et les membres du conseil fédéral, sorte de parlement du PS local. Un congrès fédéral qui a réservé son lot de surprises.

L'annonce des trois candidats (Boistard, Lucas, Thuillier) fut une première petite surprise. Car aux dernières nouvelles, Frédéric Fauvet, secrétaire d'Ailly-sur-Noye et membre du cabinet du président du conseil général, devait faire partie des candidats. Il s'explique: «Je m'étais positionné dès l'été. Ma candidature était placée sous le signe du rassemblement et de la rénovation. Mais avec les candidatures de Pascale Boistard et Benjamin Lucas, elle perdait de son intérêt.» Aujourd'hui, il se dit «partagé» entre les deux candidats.



Benjamin Lucas, outsider (D.R.).

L'autre surprise, plus amère pour certains, fut l'établissement de la liste des membres du conseil fédéral de la Somme.

Comment cette liste est-elle établie ? En théorie, chaque motion dispose d'un nombre de sièges réservés, proportionnel à son score au congrès. Les signataires de chaque motion se réunissent alors séparément et choisissent leurs élus au conseil fédéral.

Un calcul qui fait débat

Mais cette année le congrès socialiste n'est pas un congrès comme les autres. La motion n°1, largement majoritaire (64,7% dans le département), a réuni des courants, qui en temps normal présentaient chacun leur propre motion. Résultat: lors de ce congrès, une partie de l'aile gauche du PS, le courant «hamoniste» (de Benoît Hamon) se retrouve dans la motion n°1.

Or l'union sacrée est terminée. Chaque courant veut pouvoir se compter. Mais alors comment déterminer le nombre de sièges entre sensibilités d'une même motion? Quelle place pour les «hamonistes»?

«Il y a un accord national pour que l'on reprenne les équilibres du précédent congrès», assure-t-on chez les «hamonistes». Mais dans le département ce fut plus alambiqué. Pascale Boistard a proposé un calcul un peu différent. La députée explique que les résultats du congrès précédents ont été pris en comptes mais ils ne sont «qu'une partie de la réflexion». Une réflexion qui a intégré, selon elle, les résultats des motions mais aussi la parité homme/femme (obligatoire depuis la modification des statuts du parti en 2010) et la «la représentativité géographique». Pour Benjamin Lucas, «personne dans la Somme n'a compris ce calcul».

Des manœuvres qui agacent

Au final, après calcul, les «hamonistes» se retrouvent avec moins de sièges qu'au précédent congrès, lors duquel ils avaient présenté leur propre motion. Cette fois-ci un seul siège leur a été réservé dans la liste des 23 qui composent le conseil fédéral pour la motion n°1. «Pascale a effacé les sensibilités», regrette Benjamin Lucas.

Les «hamonistes» auraient pu obtenir un deuxième siège que devait occuper Benjamin Lucas. Mais celui-ci a, semble-t-il, été supprimé de la liste après que celle-ci avait pourtant été votée. «Au moment du vote, j'étais sur la liste. Le lendemain, à la parution de celle-ci, je n'y étais plus», explique l'intéressé qui envisage de contester cette manœuvre en interne du parti. «Benjamin Lucas a été rayé de la liste, confirme Francis Thuillier. Et de lancer à la députée: «Quand on est de bonne volonté, on intègre tous les partenaires.»

Ces manœuvres semblent agacer de plus en plus de militants au Parti socialiste. La candidature de Benjamin Lucas pourrait ne pas seulement faire figure de témoignage.

 

Mise à jour de l'article, mardi 6 novembre à 10h38 : Francis Thuillier n'est plus candidat au poste de premier secrétaire fédéral de la Somme. Il vient de l'annoncer dans un communiqué. Francis Thuillier apporte officiellement son soutien à Benjamin Lucas et appelle à voter pour lui.

Mise à jour de l'article, mardi 6 novembre à 14h56 : Après lecture de l'article du Télescope, Pascale Boistard souhaite apporter quelques précisions sur la question de l'absence de Benjamin Lucas de la liste des membres du conseil fédéral pour la motion n°1. «Les délégués de la motion n°1 ont voté le fait qu'il n'y ait qu'un seul candidat pour cette motion. Ces délégués m'ont élue candidate de la motion n°1. Malgré tout, Benjamin Lucas a voulu maintenir sa candidature, il s'est donc mis lui-même en dehors de la motion. Il n'a pas été "rayé" de la liste.»

Dans l'œil du Télescope

Je me suis entretenu avec toutes les personnes citées dans l'article entre le jeudi 1er et le vendredi 2 novembre. Les photos de Francis Thuillier et de Benjamin Lucas m'ont été fournies par les intéressés eux-mêmes. La photo de Pascale Boistard a été prise par mon collègue Rémi Sanchez il y a quelques semaines pendant un reportage.

L'article a été mis à jour deux fois ce mardi 6 novembre. D'abord à 10h38 suite au retrait officiel de la candidature de Francis Thuillier, puis à 14h56 suite aux précisions que Pascale Boistard a souhaité apporter (voir à la toute fin de l'article).