De mémoire de socialistes samariens, la situation ne s'était jamais produite. La fédération de la Somme du Parti socialiste (PS) vient de décider de la mise sous tutelle d'une des 38 sections du département. C'est la section Léon-Blum à Amiens qui est visée.
Créé en 2006, ce collectif militant est dirigé par Mohamed Boulafrad. Sa dernière réélection au poste de secrétaire de section date d'octobre dernier, lors du congrès du parti. Avec la mise sous tutelle, tout change: c'est la fédération de la Somme qui prend les rênes de Léon-Blum. «On va décider qui va diriger la section, explique Pascale Boistard, première secrétaire fédérale. Et il y aura une enquête plus poussée.»
Mohamed Boulafrad, secrétaire de la section Léon-Blum.
Car une première enquête a déjà eu lieu. «Nous avons été saisis par des camarades de cette section», indique Pascale Boistard. Des militants qui se seraient plaints du non-respect des règles internes, notamment en terme de représentativité, et d'attitudes menaçantes à leur encontre. «Une commission d'enquête a alors été votée, il y a trois semaines, par la fédération. J'ai confié le travail à une équipe composée de représentants de différentes motions [textes qui, lors d'un congrès, orientent la politique du parti, ndlr]. Ils avaient pour mission de vérifier tout un tas de choses.»
«J'ai participé à l'enquête, indique Dominique Théo, de la section Jean-Jaurès (Amiens sud). On a pris en compte tous les aspects, on a écouté tout le monde.»
«Les faits sont graves»
Un rapport a été rédigé. Il a fait l'objet d'une discussion lors du conseil fédéral du week-end dernier. «Au vu du rapport, il fallait une reprise en main. Les faits sont graves», indique Pascale Boistard. La première secrétaire fédérale évoque des «menaces», des «propos sexistes», des cotisations payées par des militants alors que ceux-ci ne sont pas enregistrés comme membres du PS, «sans compter que Mohamed Boulafrad doit 4000€ de cotisations au parti!»
Pourtant, d'après nos informations, le secrétaire de la section Léon-Blum serait loin d'être le seul, au Parti socialiste de la Somme, à ne pas être à jour de cotisations (voir notre article). Mais pour Pascale Boistard, «ceux qui ne payaient pas leurs cotisations ont quitté le parti depuis, comme Sarah Thuillier ou Isabelle Demaison». Tous les autres seraient donc à jour.
Concernant la section Léon-Blum, «la commission d'enquête a établi un rapport très circonstancié. Je signifierai la mise sous tutelle dès lundi», rapporte Pascale Boistard. Cette semaine, elle est en déplacement au Sénégal dans le cadre de ses fonctions à l'Assemblée nationale.
La section va être «reprise en main», mais ce n'est pas tout. Mohamed Boulafrad et son fils Philippe Boulafrad, vont aussi être convoqués par la commission fédérale des conflits du PS. Une commission qui peut décider d'un simple avertissement jusqu'à l'exclusion définitive d'un membre du parti. «Depuis sa création, la section a été privatisée par Mohamed Boulafrad et son fils, accuse Pascale Boistard. Il faut maintenant que les militants soient respectés.»
Si c'est le cas, pourquoi n'agir que maintenant ? «Je ne suis première fédérale que depuis quelques mois. Je nettoie les écuries d'Augias de ceux qui n'ont rien fait pendant des années!» Une pierre dans le jardin de ses prédécesseurs, Nicolas Dumont (maire d'Abbeville) et Vincent Peillon (ministre de l'Éducation).
Pascale Boistard, députée et première secrétaire PS de la Somme.
Le week-end dernier, le conseil fédéral du PS de la Somme, réuni à Nibas, a donc décidé la mise sous tutelle de la section Léon-Blum. «À l'unanimité», indique Pascale Boistard. Enfin, pas tout à fait, visiblement. «Je n'ai pas voté la mise sous tutelle, je me suis abstenu et j'étais le seul», assure Benjamin Lucas, conseiller fédéral et secrétaire de la section Jean-Jaurès à Amiens. Pour rappel, Benjamin Lucas était le concurrent de Pascale Boistard lors de l'élection du premier secrétaire fédéral de la Somme (voir notre article au soir des résultats).
Pour Benjamin Lucas, le rapport présenté lors du conseil fédéral n'était pas si accablant: «C'était un peu flou, on nous a parlé de dysfonctionnement de la section, de problèmes d'expression dans la presse. J'avais l'impression qu'on reprochait à Mohamed Boulafrad d'être Mohamed Boulafrad.» Et d'ajouter: «Le fonctionnement d'une section n'est jamais à 100% irréprochable, mais quand il y a un problème, on arrive toujours à trouver une solution sans aller jusque là. Par ailleurs, j'ai proposé qu'on vienne vérifier comment ça se passe dans ma section.»
Règlement de compte politique ?
Benjamin Lucas estime que Mohamed Boulafrad, avec qui il a «souvent été en désaccord», est victime d'un règlement de compte politique. «On est dans les suites du congrès, Mohamed Boulafrad avait une candidate soutenue par Pascale Boistard en face de lui lors de l'élection du secrétaire de section.»
«La première fédérale devrait rassembler plutôt que diviser. Et puis, si c'est une nouvelle méthode, on pourrait alors regarder ce qui se passe dans d'autres sections...» Plusieurs militants du PS amiénois estiment que la section François-Mitterrand, située à Amiens nord et dirigée par Francis Lec, n'est pas exempte de tout reproche. Mais jusqu'alors les instances du parti n'ont jamais été saisies par des plaintes, comme c'est aujourd'hui le cas avec la section Léon-Blum.
La thèse du règlement de compte politique est également défendue par le principal intéressé, Mohamed Boulafrad. «On demande à la section Léon-Blum de faire des choses que les autres ne font pas. Ils essayent de nous déstabiliser, de nous intimider, par rapport à des enjeux politiques.» Au moment où nous l'avons contacté, Mohamed Boulafrad expliquait ne pas savoir précisément ce qu'on lui reprochait, n'ayant reçu pour l'heure aucun courrier. Mais il a pris les devants: «J'ai commencé à faire signer un document qui assure que la section est bien gérée. J'ai déjà 80 signatures.»
Celui qui est encore secrétaire de la section Léon-Blum assure qu'on va entendre parler de lui dès qu'il aura reçu officiellement le courrier de mise sous tutelle. «Je vais interpeller le national, je vais faire un point presse, ça va faire du bruit, prévient-il. C'est la fédération qu'il faut mettre sous tutelle!»
Pourquoi en voudrait-on à Mohamed Boulafrad et à sa section? Il faut savoir que ce dernier s'oppose frontalement au maire d'Amiens Gilles Demailly depuis 2008. «Je l'ai porté à la place où il est maintenant et il m'a écarté.» Pendant quelques mois, en 2008, Mohamed Boulafrad est adjoint au maire en charge de la voirie et des espaces verts. Mais en septembre 2008, il est poussé à la démission en raison d'une interdiction de gérer de 15 ans, prononcée en 1993 par un tribunal de commerce.
Depuis cette époque Mohamed Boulafrad en veut personnellement et politiquement au maire d'Amiens. Il dénonce une «concentration des pouvoirs à la section Nord: Francis Lec, Gilles Demailly, Pascale Boistard et plein d'autres sont de cette section».
Mohamed Boulafrad assure aujourd'hui être «candidat à la mairie» pour les élections de 2014. Il pourrait ne pas être seul dans ce cas au PS: «Me présenter fait partie des choses auxquelles je réfléchis», indique de son côté Didier Cardon, conseiller municipal, vice-président d'Amiens métropole et vice-président du conseil régional.
«On va faire de la politique»
Face aux potentielles candidatures socialistes opposées à Gilles Demailly, Mohamed Boulafrad se demande si l'enjeu de la période «pour ceux de la section Nord» n'est pas de resserrer les rangs autour de l'actuel maire en faisant en sorte de préparer le terrain pour lui.
Préparer le terrain, cela voudrait notamment dire de faire en sorte que le comité de ville, qui regroupe des représentants des trois sections amiénoises, reconduise Francis Lec à sa tête lors des élections internes qui se dérouleront le 13 mai prochain.
À quoi sert un comité de ville? D'après les statuts du PS, «le comité est chargé d’assurer l’unité d’action et de propagande du parti. Il est consulté sur les problèmes propres à la commune ou au groupement de communes». Donc le comité sera potentiellement consulté sur les élections municipales, bien que la décision finale reviennent aux adhérents socialistes qui voteront en octobre. À Amiens, le comité de ville vient de s'élargir: «C'est un comité de ville et d'agglomération désormais», précise Pascale Boistard.
Actuellement Francis Lec n'aurait pas de majorité pour garder sa place à la tête du comité de ville. «Si on a mis sous tutelle Léon-Blum avant le 13 mai, c'est peut-être pour éviter que la section ne vote», s'interroge Mohamed Boulafrad.
Pour Pascale Boistard, «le comité est surtout le lieu où s'élabore le projet municipal avec l'équipe sortante. Le projet!», insiste-t-elle. Car la première fédérale explique en avoir assez d'entendre parler de guerre des places: «On dirait qu'il n'y a que ça qui les intéresse. On dirait qu'ils ont oublié ce qu'est la politique. Moi je n'ai pas oublié, alors on va faire de la politique!» Belle promesse.
Toutes les personnes citées ont été contactées par téléphone, parfois plusieurs fois, à partir de lundi.
Les photos utilisées proviennent de nos archives.