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L'opposition au gouvernement gagne l'UPJV

Le 31 October 2013
Enquête commentaires
Par Fabien Dorémus

On est encore loin de la tempête mais un petit vent de contestation vient de se lever à l'Université de Picardie Jules-Verne (UPJV). Et, chose rare, toute l'université semble souffler dans le même sens. Ce vent dominant picard est dirigé vers le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Car celui-ci a dévoilé son projet de budget 2014.

Un budget jugé largement insuffisant. En effet, il augmente bien de 0,5% par rapport à l'an dernier, passant de 22,93 milliards d'euros à 23,04 milliards d'euros. Mais cette augmentation ne compense même pas l'inflation : les prix à la consommation ont augmenté de 0,9% entre septembre 2012 et septembre 2013. «Ce budget conforte et traduit en moyens les objectifs et les réformes de la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur et la recherche adoptée le 22 juillet dernier», annonce fièrement le ministère.

Dans le détail, ce budget de 23,04 milliards d'euros est réparti en trois grands ensembles: «l'enseignement supérieur et la recherche universitaire» (dotations de fonctionnement, création de postes), «la vie étudiante» (bourses, logement), et «la recherche» (dotations spécifiques aux organismes de recherche, grands chantiers scientifiques).

Budget recherche en baisse

Parmi ces trois grands ensembles, il y a des gagnants et des perdants. Du côté des gagnants, on compte «la vie étudiante» qui bénéficie d'une augmentation de 6% (passant de 2,32 à 2,46 milliards d'euros), un «effort exceptionnel et inédit», selon le ministère. De son côté, le budget de «l'enseignement supérieur et la recherche universitaire» est en quasi stagnation (+0,47%) à 12,81 milliards d'euros.

Mais le grand perdant est le volet «recherche» dont le budget est en baisse (-1%), passant de 7,85 à 7,77 milliards d'euros. Pudiquement, le ministère considère que ce budget en baisse «recentre la programmation nationale des appels à projets sur un nombre limité de priorités correspondant aux grands défis sociétaux, technologiques et scientifiques identifiés par la loi du 22 juillet dernier».

On l'aura compris, pour les universités de France, le compte n'y est pas. D'autant qu'elles souffrent de difficultés financières depuis la mise en place de la loi LRU, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Une loi qui n'a été remise en cause qu'à la marge par l'actuel pouvoir socialiste.

Pour rappel, la LRU a permis aux universités de gérer seules leurs budgets et leurs ressources humaines. Mais sans leur en donner les moyens. À l''UPJV, les «responsabilités et compétences élargies» (RCE) ont été acquises en 2011. 

L'autonomie, c'est la galère

Un an auparavant, en 2010, une «photographie» de ses besoins avait été réalisée par les services de l'État. On avait alors estimé le nombre de salariés nécessaires au bon fonctionnement de l'université. De ce chiffrage découlait une masse salariale, une somme fixe que l'État donnerait dorénavant tous les ans à l'UPJV.

Sauf que depuis 2010, les besoins de l'université augmentent car la masse salariale, qui représente 85% du budget de l'UPJV, ne cesse de croître. Pourquoi ? Parce que les salariés ont gagné en ancienneté ou sont montés en hiérarchie depuis 2010 et le système n'a rien prévu pour cela.

Toutes les universités de France connaissent ce problème. Elles ont donc besoin d'être davantage financées. L'année dernière, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche s’enorgueillissait d'augmenter son budget de 2,2%.

Mais cette hausse ne traduisait pas une augmentation de moyens. «La hausse du budget est surtout consécutive à la hausse du taux du CAS pensions [cotisations pour les pensions civiles des fonctionnaires, ndlr]», nous indiquait en avril dernier Sophie Changeur, première vice-présidente de l'UPJV. «Cette année, il s'agit cette fois d'une augmentation nette, car le taux de CAS pensions reste stable», explique l'entourage de la ministre à l'agence d'informations spécialisées AEF. Il n'en reste pas moins qu'au regard de l'inflation, le budget est en baisse.

«L'État doit assumer»

C'est la raison pour laquelle un vent de contestation, organisé et unitaire, vient de se lever à l'UPJV, comme dans de nombreuses autres universités. À l'origine de la première brise? La FSU. Ce syndicat, ultra majoritaire à l'UPJV et qui réunit le personnel enseignant (Snesup) et non enseignant (Snasub), a été à l'initiative de prises de positions officielles dans différents conseils de l'université.

Ainsi, la semaine dernière, les conseils de gestion de la fac de sciences et de la fac de droit-économie ont dénoncé «la flagrante insuffisance des moyens dont disposent les universités». Le conseil scientifique de l'UPJV, lui aussi, a fait voter une motion demandant à l’État «d’assumer ses responsabilités vis-à-vis des universités». Et cela ne fait peut-être que commencer. Car un texte similaire sera proposé au vote dans toutes les autres assemblées délibératives de l'université picarde.

La FSU met de l'eau dans son vin

Si c'est un syndicat de gauche qui est à l'origine de ces textes, notons qu'ils ont été pour l'instant systématiquement adoptés à l'unanimité (ou quasiment) dans les conseils de l'UPJV. Chose étonnante car les conseils de l'université sont composés de membres politiquement hétérogènes. C'est donc véritablement toute l'université picarde qui prend position pour exiger de meilleurs moyens.

«Avec ces motions, notre objectif est d'attirer l'attention du public et des pouvoirs publics sur la gravité de la situation, explique Valérie Varnerot, maître de conférence en droit privé à Amiens et syndiquée au Snesup-FSU. On a une mission de service public et notre financement ne le permet plus ; c'est le cœur de nos missions, l'enseignement et la recherche, qui est touché.» À titre d'exemple, elle cite les heures de travaux dirigés qui accueillent désormais jusqu'à 40 étudiants (contre 30 auparavant), ce qui rend mécaniquement moins disponibles les profs pour les étudiants qui ont des difficultés de compréhension.

Il est à noter que, pour arriver à ses fins, le syndicat FSU a mis de l'eau dans son vin. Dans les motions soumises au vote, il n'a pas été question de mettre en cause frontalement la LRU, afin de ne pas froisser les partisans de l'autonomie des universités. Pour rappel, l'actuelle direction de l'UPJV a été élue en 2012 sur une liste opposée à la liste syndicale de la FSU.

Faire pression sur les présidents d'universités

Toutes les motions demandent en outre «à la direction de l’UPJV de porter clairement, au gouvernement et dans les instances telles que la CPU [conférence des présidents d'universités, ndlr], les revendications de moyens budgétaires et de création d'emplois statutaires à la hauteur des missions que nous devons remplir.»

La CPU, qui rassemble les présidentes et présidents de toutes les universités de France, a elle-même pris position la semaine dernière. «Il est de notre rôle et de notre responsabilité de dire que la situation à laquelle nous sommes confrontés sera bientôt intenable pour la majorité de nos établissements. À court terme, l’ensemble des universités françaises risque de ne plus pouvoir assurer les missions de service public que l’État leur a assignées», a indiqué la CPU la semaine dernière dans une motion. Et ce texte d'appeler ensuite l'État à tenir ses engagements, à assumer les responsabilités financières de ses décisions.

Des économies sur l'immobilier

Le président de l'UPJV, Michel Brazier, est-il sur la même position ? «Oui, cette motion fait l'unanimité, j'y suis très favorable. Il faut que le ministère sécurise la masse salariale, actuellement il ne propose pas de crédits de fonctionnement à la hauteur.»

Faute de financements suffisants, l'UPJV a dû, l'an dernier, diviser par deux son enveloppe consacrée à l'immobilier. Soit une économie de 3 à 4 millions d'euros, selon Michel Brazier. Une situation qui ferait mieux de ne pas s'éterniser : «On sait les conséquences que cela peut avoir de ne pas entretenir suffisamment les bâtiments», glisse le président de l'UPJV. D'autres économies ont été exigées dans tous les secteurs de l'université.

Et demain ? En dépit des protestations des syndicats et des présidents d'universités, il est très incertain de voir, dans les semaines qui viennent, la ministre revoir sa copie et augmenter le financement de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'UPJV devra-t-elle alors faire de nouvelles économies ? «On a déjà essayé d'en faire un maximum, souffle Michel Brazier. Demander des efforts supplémentaires aux UFR [les facultés, ndlr] va être difficile. On a déjà atteint un plafond.» Tout juste Michel Brazier espère obtenir de meilleurs marchés dans l'achat du matériel (photocopies, papier, informatique, etc.).

D'autres coupes sombres ?

Pourtant, du côté du Snesup-FSU, on croit savoir que de nouvelles coupes sont d'ores et déjà prévues dans le budget 2014 de l'UPJV, qui sera voté vers le mois de décembre. «La dotation de fonctionnement de l'UFR de sciences devrait diminuer de 12000 euros (-4%), avance Vincent Niot, enseignant-chercheur en biologie. «Nous craignons que nos formations soient impactées. Les travaux pratiques coûtent cher en sciences du vivant. Il faut acheter des grenouilles et des souris pour les dissections, des bactéries auprès de l'institut Pasteur, du matériel de laboratoire, etc.»

Si la mobilisation institutionnelle lancée par le Snesup n'aboutit pas, il est difficile de croire que qu'une autre forme de mobilisation puisse prendre forme. Car la dernière journée nationale de grève dans l'enseignement supérieur n'a pas été un succès. C'était en mai dernier. C'était calme plat.

Dans l'œil du Télescope

Je me suis entretenu avec les personnes citées ces derniers jours, par téléphone. J'ai tenté de joindre les organisations étudiantes (Faep, Unef), sans succès.