Archives du journal 2012-2014

Inquiétudes autour de la nouvelle réforme des universités

Le 16 April 2013

«Le gouvernement ne mise pas sur l'avenir.» Le jugement du président de l'Unef-Amiens, Grégoire Moquet, est sans appel. «François Hollande avait dit qu'il enlèverait les éléments les plus nocifs contenus dans la LRU. Mais ça continue ! Rien ne change sur la concurrence entre les universités, et tout ça dans un contexte global de rigueur et d'austérité», enrage le syndicaliste étudiant.

Ce qui déclenche sa colère, c'est le pré-projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche, présenté fin mars par la ministre Geneviève Fioraso. Le texte était attendu de pied ferme. Car le candidat François Hollande s'était engagé à réformer «la loi LRU pour garantir une autonomie réelle des établissements, avec des moyens et une gouvernance plus collégiale et démocratique». C'était son engagement n°39.

Pour rappel, la loi LRU – dite «loi sur l'autonomie des universités» – avait été votée en 2007 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Elle avait permis aux universités d'acquérir de nouvelles compétences, celles-ci devant désormais gérer seules leur budget et leurs ressources humaines. «Mais on ne nous a pas donné les moyens de cette autonomie», expliquait le président de l'Université de Picardie Jules-Verne (UPJV), Michel Brazier, dans nos colonnes en octobre dernier.



Grégoire Moquet, président de l'Unef-Amiens.

L'UPJV avait acquis ses «compétences élargies» en janvier 2011 et connaissait des difficultés financières, comme beaucoup d'autres universités depuis l'application de la LRU. «Entre 10 et 15 (universités) sont en déficit pour la seconde année consécutive, la moitié n'a plus le fond de roulement d'un mois, et un quart d'entre elles ont une trésorerie négative», rappelait Louis Vogel, président de la Conférence des présidents d'université (CPU) à Educpros.fr en septembre dernier.

Aujourd'hui où en sont les finances de l'UPJV ? En 2013, la dotation de l'État concernant le fonctionnement et l'investissement a baissé d'un million d'euros, indique Sophie Changeur, première vice-présidente de l'université. «D'où l'inquiétude quant à la capacité de l'UPJV de maintenir la qualité de ses formations et de sa recherche», ajoute-t-elle. Le budget total s'élève à 187,89 millions d'euros, et 85% de celui-ci est consacré à la masse salariale.

Économiser 1,5 million d'euros

Étonnant de voir des dotations de l'État en baisse alors que le budget 2013 de l'enseignement supérieur est en hausse de 2,2% par rapport au budget précédent (voir notre article). «Cette hausse ne traduit pas une augmentation des moyens, éclaire Sophie Changeur. Elle est surtout consécutive à la hausse du taux du CAS pensions (cotisations pour les pensions civiles des fonctionnaires).»

Pour équilibrer son budget, l'UPJV a dû piocher près de deux millions d'euros sur son fonds de roulement. Mais ce n'est pas suffisant. En 2013, l'université devra économiser 1,5 million d'euros.

«Nous avons construit ce budget avec une stratégie : ne pas geler de postes, pour ne pas fragiliser le potentiel d'un établissement qui n'est déjà pas extrêmement bien doté», a indiqué Sophie Changeur à l'agence d'informations spécialisées AEF, dans une dépêche datée de vendredi dernier.

En réalité, la vice-présidente de l'université aurait dû dire «ne pas geler de postes supplémentaires» car une dizaine de postes avaient déjà été gelés en 2012 par l'ancienne équipe dirigeante. Des postes qui ne subiront aucun dégel en ce printemps 2013.

25% d'heures complémentaires en moins

Certes, il n'y a pas de nouveaux gels de postes mais selon le Snesup, syndicat des enseignants chercheurs, l'UPJV a choisi cette année de «ne pas publier cinq postes». En clair, cela signifie que cinq postes vacants d'enseignants chercheurs ne seront pas officiellement déclarés comme tels, «comme ça, on y met des Ater [jeunes chercheurs non titulaires, ndlr] qui coûtent moins chers», regrette Fabrice Guilbaud, secrétaire adjoint du Snesup.

Pourtant, le gouvernement avait fièrement déclaré vouloir créer 1000 postes dans les universités. «Il y en a cinq en Picardie (un enseignant chercheur, deux ingénieurs et deux professeurs agrégés d'anglais), confirme Fabrice Guilbaud, mais quand on voit que nationalement 1500 postes ont été gelés pour des raisons budgétaires, on peut parler d'une arnaque.»

Pour faire des économies, l'UPJV avait décidé, en novembre dernier, de baisser de 25% le volume d'heures complémentaires. «Ce sont des heures supplémentaires effectuées par des titulaires ou par des vacataires», précise Fabrice Guilbaud. Mais au final, la baisse du volume d'heures complémentaires ne sera que de 10%, rapporte l'AEF dans sa dépêche, soit une économie de 500 000 euros.



Fabrice Guilbaud, secrétaire adjoint du Snesup.

Mais pour Fabrice Guilbaud, les conséquences sont déjà importantes : «Ce chantage qui consiste à ne pas geler de postes si l'on accepte de réduire les heures complémentaires a engendré un relèvement des seuils de travaux dirigés (TD). On passe de groupes de 30 places à des groupes de 40 places.» Moins d'heures de cours, donc plus d'étudiants par cours. Logique.

De son côté, la Faep (Fédération des associations étudiantes picardes), organisation majoritaire chez les étudiants de l'UPJV, explique que la suppression de certaines heures complémentaires a entraîné une mutualisation des enseignements. «En langues rares, par exemple, des étudiants de niveaux différents se retrouvent désormais dans les mêmes cours, ça engendre des décrochages, déplore Léo Lantez, président de la Faep. On ne peut pas continuer comme ça, l'État doit reprendre ses responsabilités à l'université.» Les élus de la Faep avaient voté contre le budget 2013 de l'UPJV, en décembre dernier.

Pour l'Unef, ce début de mutualisation des cours est «un premier pas vers la suppression de certaines filières». Par ailleurs, selon Grégoire Moquet, «certains étudiants de sociologie n'ont pas leurs cours de méthodologie parce qu'il n'y a pas de prof».

Une régionalisation de l'enseignement supérieur

Le projet de loi Fioraso déplaît tellement que les organisations collectives d'étudiants (Faep, Unef, Agep) et de salariés (syndicats des personnels) de l'UPJV se sont régulièrement rencontrées en assemblées générales depuis le début du mois de mars. La semaine dernière, ils ont cosigné une motion destinée au ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche : un texte de deux pages dans lequel sont rappelés les principaux reproches du monde universitaire au projet de loi.

«Le projet du gouvernement, c'est de régionaliser l'enseignement supérieur, résume Fabrice Guilbaud. Le problème c'est que ça va augmenter les inégalités entre les universités. D'autre part, placer la responsabilité de la recherche dans le giron des Régions n'est pas la meilleure des choses d'un point de vue scientifique. Les Régions ne sont pas les mieux placées pour cerner les enjeux de la recherche, à moins que celle-ci ne soit destinée à la marchandisation.»

Une sélection à l'entrée de la filière santé ?

La marchandisation du savoir serait, d'après le Snesup, inscrite dans la loi par le biais de l'obligation au transfert technologique, c'est-à-dire l'obligation de lier la recherche à des applications dans la production. «La recherche publique permet déjà l'innovation, rappelle l'enseignant, les sciences dures, les ingénieurs le font déjà ! Mais obliger le transfert technologique à un spécialiste de l'histoire médiévale ou des sciences théâtrales, ça n'a aucun de sens.»

La loi inscrirait également une forme de sélection dans la première année commune aux études de santé (Paces). C'est ce que craint la Faep, très implantée dans la filière santé. L'article 22 du projet de loi prévoit en effet une «orientation des étudiants […] à l’issue d’épreuves portant sur les enseignements dispensés au début de cette première année». Ceux qui échoueront cette épreuve seront dirigés vers d'autres filières de l'université, dès le début de l'année. «On ne peut pas faire passer des examens aux étudiants avant qu'ils n'aient reçu les enseignements, s'indigne Léo Lantez. On ne peut pas décider au bout d'une semaine seulement qui doit rester et qui doit s'en aller!»



Léo Lantez, président de la Faep et Fleur Espinoux, vice-présidente étudiante.

Dans les négociations avec le gouvernement, la Fage (dont dépend la Faep) avait fait inscrire dans le projet de loi son refus de la sélection des étudiants, assure Fleur Espinoux, vice-présidente étudiante de l'UPJV et élue au Conseil des études et de la vie universitaire (Cevu) pour la Faep. «Mais lorsque le texte a été examiné en Conseil des ministres, la mention avait disparu.» L'étudiante ajoute : «On avait aussi voulu indiquer que les frais d'inscriptions devaient être d'un montant «symbolique». Mais le terme n'a pas été accepté. On nous a cependant assuré que les frais resteraient modiques.»

Le gouvernement aurait aussi promis un cadrage national des diplômes, se félicite l'Unef sur son site internet. Un cadrage qui permettrait l'égalité des droits et une mobilité sur tout le territoire. Mais Grégoire Moquet, le responsable local de l'Unef, tempère l'enthousiasme de la direction de son organisation: «Il n'y a que des promesses pour l'instant. Rien n'est dans le texte.» Et seuls les écrits restent.

La découverte scientifique défavorisée

Il n'y a peut-être que du côté de la gouvernance que la loi trouve un peu grâce aux yeux des étudiants et des enseignants. Un conseil académique, réunissant les actuels conseils scientifiques et conseil des études et de la vie universitaire, devrait voir le jour. Il récupérerait certaines compétences, qui sont actuellement du ressors du conseil d'administration, et laisserait une place non négligeable aux étudiants et aux représentants du personnel. Un bon point qui ne sauve pas la copie.

Dernier grief, et non des moindres : l'évaluation de la recherche. Pour rappel, la LRU avait engendré la mise en place d'un organisme d'évaluation de la recherche très critiqué, appelé AERES. «Ça avait marginalisé les instances d'évaluation jugées légitimes par les chercheurs, regrette Fabrice Guilbaud, pour les remplacer par des pratiques centrées sur des normes internationales contestables comme la bibliométrie [mesure du nombre de publications dans les revues scientifiques, ndlr]. Ces normes ont favorisé le plagiat, la redite, mais pas la découverte scientifique.» Pour ce chercheur, la nouvelle loi ne remet rien en question. Encore une déception.

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré les élus de la Faep puis le représentant du Snesup mercredi après-midi. J'ai rencontré le représentant de l'Unef dimanche après-midi. La vice-présidente de l'UPJV a pu répondre à mes questions par mail hier soir.