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Front de gauche: séparation à l'amiable

Le 24 October 2013
Enquête commentaires
Par Mathieu Robert

À Amiens, le Front de gauche veut rester uni envers et contre tout.

Mercredi dernier, les communistes de la section d'Amiens étaient appelés à se prononcer sur leur stratégie électorale pour les prochaines municipales à Amiens.

Résultat: 81,43% de votants pour «une liste d'union et de large rassemblement de toutes les forces de gauche PCF/FDG – PS – Verts – PRG – MRC». Seulement 18,57% d'entre eux ont voté pour une liste «Front de gauche». Les communistes ont ainsi reconduit la stratégie des dernières municipales de 2008, qui avait abouti à leur participation à la liste de Gilles Demailly, «Unis et solidaires».

Ce choix met à rude épreuve la cohésion du Front de gauche, car tout porte à croire que les deux principales composantes de cette coalition de partis politiques ne feront pas liste commune.

En effet, le Parti de gauche (PG) ne veut pas entendre parler d'une liste municipale avec le Parti socialiste (PS), conformément au mot d'ordre lancé par le co-président du parti, Jean-Luc Mélenchon: «On ne s'alliera pas avec le PS, rappelle fermement le porte-parole du PG dans la Somme, Jean-Michel Dellis. Nous clamons haut et fort que nous ferons partie d'une liste autonome du Parti socialiste.»

De son coté, le Parti communiste français (PCF) amiénois veut calmer les tensions en rappelant que le vote de ses adhérents en faveur d'une alliance dès le premier tour ne donnait pas un blanc-seing au PS. «Les communistes ont voté pour une alliance de large rassemblement à gauche, mais bordée d'exigences», précise Laurent Beuvain, élu municipal et membre influent au bureau de la section amiénoise du parti.



Bulletin de vote du PCF amiénois pour la stratégie aux municipales

Mais, à ce stade, il est difficile d'imaginer un futur échec des négociations entre le PCF et le PS. En effet, les communistes, réunis en assemblée générale le 5 octobre dernier, ont adopté un document qui donne une appréciation «positive» du bilan municipal 2008-2014: «Nous souhaitons poursuivre l’action engagée en améliorant encore tout ce qui peut l’être, en enrichissant le projet pour concrétiser localement une politique de gauche anti-austérité en faveur des Amiénois.»

L'échec d'une alliance entre le PCF et le PS est d'autant moins envisageable que les socialistes ont voté, jeudi dernier, pour Thierry Bonté (voir notre article), actuel vice-président d'Amiens métropole, qui assumait dans nos colonnes l'essentiel du bilan de la municipalité.

Pour autant, aucune tractation n'aurait encore eu lieu officiellement entre socialistes et communistes, assure-t-on au PCF. «Mais on ne va pas se mentir, nous nous sommes déjà vus entre élus municipaux», reconnaît Laurent Beuvain.

En somme, le PG et le PCF semblent bien partis pour apparaître sur des listes concurrentes en mars prochain. Mais en théorie, tout reste possible. À l'issue des discussions avec le PS, «le PCF sera amené à se positionner à nouveau sur sa stratégie», rappelle Julien Vicaine, secrétaire départemental de Gauche unitaire (GU), une autre composante du Front de gauche.

Dix mesures communes au Front de gauche

C'est dans ce contexte que se sont rencontrés, lundi soir, les représentants des différentes composantes du Front de gauche à Amiens. Une «réunion de coordination» cruciale, organisée à Amiens dans les locaux du Parti communiste samarien.

Une réunion au cours de laquelle chacun avait à cœur de ne pas porter la responsabilité d'une désunion du Front de gauche. «Le PCF ne veut pas être celui qui donnera un coup de canif au Front de gauche. Nous ne serons pas les diviseurs», revendiquait avant hier Laurent Beuvain du PCF. «Le Front de gauche est un outil commun. Notre souci, c'est de ne pas le brader», expliquait hier Julien Vicaine, de GU. «L'idée, c'est que l'on ne soit pas des ennemis. Il serait contre-productif de se diviser», analysait hier Jean-Michel Dellis.

Rappelons également que les élections européennes de 2014 auront lieu deux mois seulement après les municipales. Le Front de gauche, qui présentera sans nul doute sa propre liste devra être en ordre de bataille. «Il est inenvisageable qu'il n'y ait pas une candidature Front de gauche aux européennes», rappelle Laurent Beuvain.

La solution, pour ne pas se brouiller, est venue de Gauche unitaire. Ses militants ont proposé que les différentes composantes du Front de gauche travaillent sur « dix mesures d'urgence» communes, malgré leurs options stratégiques divergentes. «On ne parle pas de programme commun, car qui dit programme dit liste, explique Julien Vicaine. Le but, c'est de dire: voilà quelles sont les mesures incontournables».

Les représentants du Parti de gauche présents ont émis un avis positif. «C'est une bonne solution, reconnaît Jean-Michel Dellis. Quand nous sommes arrivés à la réunion, nous n'étions pas dans cette optique. Ça a été une bonne surprise.»

L'idée, c'est que le PG et le PCF puissent adopter leurs stratégies propres électorales, mais en défendant des propositions communes chacun de leur côté. Le PCF devra négocier avec le PS sur la base de ces «mesures d'urgence». «Nous nous sommes engagés à apporter des retours à nos partenaires, puisqu'ils ne voulaient pas discuter avec le PS, explique Laurent Beuvain. Nous verrons si nous sommes des menteurs ou pas. Le problème, c'est que même si nous obtenons un satisfecit sur toutes les mesures, je me demande si le PG acceptera de participer».

En effet, le PG amiénois s'est réuni en bureau hier soir. Les représentants ont validé l'idée de «mesures communes» au Front de gauche, mais ils ont aussi validé définitivement le choix d'une liste autonome. «Nous ferons partie d'une liste autonome du PS, sans exclusive. Nous discuterons avec Cédric Maisse (voir notre article), EELV (voir notre article) ou d'autres», annonce Jean-Michel Dellis.

Des «ateliers citoyens» sont d'ores et déjà prévus pour construire ces «mesures d'urgence» communes au Front de gauche. Mais rien ne dit que les discussions aboutiront. Laurent Beuvain prévient déjà qu'il n'y aura pas d'accord «si les propositions qui émanent du Parti de gauche sont la gratuité des services, alors que ce n'est pas possible aujourd'hui».