Archives du journal 2012-2014

Du télétravail à la délocalisation à domicile

Le 21 October 2013
Enquête commentaires
Par Mathieu Robert

12,4%. C'est la part de la population active qui bénéficierait de périodes de télétravail, selon une étude livrée en 2012 au ministère de l'Industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. À l'horizon 2050, le télétravail pourrait même concerner 50% de la population active, selon le Conseil d'analyse stratégique. La moitié des travailleurs français.

On ne parle pas encore de travailler à temps-plein à domicile. La définition du télétravail, pour le ministère, peut se réduire à huit petites heures hebdomadaires à l'extérieur, pour une mission que l'on effectue habituellement dans son bureau.

Le télétravail, une bonne chose? Plutôt oui, selon l'étude de 2012 qui observait que les travailleurs concernés gagnaient en moyenne «37 minutes au profit de leur vie familiale par jour de télétravail». De quoi faire des envieux.

Le phénomène n'est pas récent – on parlait avant de travail à domicile - mais la notion de télétravail est entrée officiellement dans le Code du travail en mars 2012, avec la loi Warsmann. Le texte se contente de rappeler des règles simples: le salarié doit être volontaire et peut revenir quand il veut à sa situation originelle. L'employeur quant à lui doit prendre en charge les coûts engendrés et fixer des plages horaires auxquelles le salarié peut être contacté.

Et ça bouge également dans le public. La loi du 12 mars 2012 a ouvert la possibilité de télétravail aux fonctionnaires. Un an et demi plus tard, à Amiens, la métropole annonçait qu'elle allait permettre aux salariés qui le souhaitent de télétravailler.

«Il y avait un peu de burn-out de la direction aux agents. Ce n'est pas spécifique à Amiens métropole. Le télétravail est apparu comme une des solutions, explique Anne Simula, chef de projet à la direction des ressources humaines, responsable de la mise en place du télétravail dans les services de la Métropole. Parallèlement nous mettions en place d'une Charte du temps pour rétablir l'équilibre vie privée-vie professionnelle. C'est dans l'air du temps».

Fichiers trop lourds ou confidentiels : pas de télétravail

À Amiens métropole, le télétravail ne dépassera pas deux jours hebdomadaires. «Sinon on est coupés du travail, on a du mal à se concentrer», explique Anne Simula. Parfois, ce ne sera qu'une demi-journée.


Anne Simula, chef de projet à la direction des ressources humaines d'Amiens Métropole.

Un des services les plus demandeurs est celui chargé d’organiser les assemblées. Une grande partie de ce travail consiste à rédiger des documents utiles aux conseils municipaux ou métropolitains.

Cadres, simples employés: le dispositif est a priori ouvert à tout le monde. Mais dans les faits, c'est plus compliqué. «On est limités par la confidentialité des données, comme dans les services paye, comptabilité ou facturation, ou par l'accueil physique comme la police municipale. Mais a priori, c'est ouvert à tout le monde, explique Anne Simula du service RH. L'autre contrainte, c'est le poids des fichiers. Certains documents notamment ceux des urbanistes ou les maquettistes sont trop lourds pour être envoyés par mail.»

Cet été, la CGT et la CFDT se sont opposés à la mise en place du télétravail dans les services de la Métropole, telle que proposée par la DRH. Ils ont tout d'abord refusé de signer le protocole d'accord, demandant une expérimentation préalable. Puis ils ont refusé de signer le protocole d'expérimentation proposé par la Métropole, qui sera finalement signé par FO et la CFTC. «Ils nous disent qu'on est allés trop vite, mais le personnel était demandeur», explique Michel Daumin, le directeur général des services, en proie à des difficultés de dialogue avec les syndicats depuis plusieurs mois (voir notre article).

La période d'expérimentation durera jusqu'en juin 2014, et elle ne concernera qu'une cinquantaine de personnes sélectionnées parmi les volontaires. Lesquels ont jusqu'au 8 novembre pour se faire connaître.

Au sein de chaque service, tous les salariés ne pourront pas être délocalisés à domicile. Un questionnaire sera distribué aux employés pour évaluer leur capacité à travailler de manière autonome. Un questionnaire qu'ils devront remplir avec leur supérieur hiérarchique. «C'est pas évident de travailler à l'extérieur, même pour le salarié. Il y a la peur de ne plus avoir les infos, de ne plus être convié aux réunions», avance Anne Simula.

Les postiers bientôt au télétravail

Dans la Somme, Amiens métropole n'est pas seule à s'intéresser au télétravail. Le groupe La Poste a également signé un accord national cet été sur cette question. Comme à la Métro, les télétravailleurs ne pourront travailler chez eux que deux jours par semaine maximum. «Pour l'instant, personne n'en bénéficie. Les discussions avec les syndicats n'ont pas encore commencé. Personne n'en bénéficiera avant deux ou trois mois, explique André Levé, représentant CGT à La Poste Enseigne. A priori, ça ne concernera que de l'administratif. La Poste fournira le matériel informatique, ainsi que des fauteuils ergonomiques.»

Au delà du télétravail, défini par le Code du travail, il y existe de multiples façons de délocaliser le travail de bureau à domicile. La plus radicale est sans doute le home-shoring. Une pratique qui consiste à faire appel à des autoentrepreneurs qui travaillent depuis chez eux. C'est le choix qu'a fait la société de téléconseil Eodom, qui compte aujourd'hui 400 «collaborateurs» à travers la France, dont une quinzaine dans la Somme.

«Ce sont des personnes qui ont un projet personnel, un enfant ou un parent dont ils doivent s'occuper, ou un projet professionnel qui ne leur suffit pas, explique Didier Ferié, président de la société Eodom. Ils travaillent entre 4 et 6 heures par jour et choisissent leurs horaires Nous ne prenons pas d'étudiants». Selon le gérant, ces téléconseillers à domicile ont entre 35 et 55 ans, rarement en dessous de 30 ans, généralement bac+2, dont 70% de femmes «ce qui est faible pour le secteur du téléconseil».

On est loin du télétravail, tel qu'il est défini par la loi. Ici il s'agit clairement pour l'entreprise de faire des économies de bâtiment et de main d'œuvre: «Travailler avec des indépendants permet une meilleure adaptabilité aux variations de flux qu'en système salarié, explique le Didier Ferié. Les gens choisissent leurs missions. Il y a une meilleure performance. Nos coûts ne sont fonction que de ce qui est réalisé. Nous ne payons personne à attendre derrière le téléphone.»