Archives du journal 2012-2014

Comment le moulin de Saint-Leu va rajeunir

Le 03 January 2014
Reportage commentaires (1)
Par Fabien Dorémus A lire aussi

Ce n'est plus qu'une question de jours. Les travaux visant à sauver le moulin Passe-Avant d'Amiens, situé rue Saint-Leu, vont bientôt commencer. Il était temps. Les siècles ont joué sur lui une bien mauvaise musique, et le risque était grand qu'il disparaisse à tout jamais.

Heureusement, ce ne sera pas le cas. Dans seize mois, les Amiénoises et les Amiénois pourront découvrir le moulin dans un état très proche de celui qui fut le sien en 1528, date à laquelle il avait été entièrement reconstruit, devenant un emblème de l'architecture du XVIe siècle. Bâti sur quatre niveaux de bois et de torchis, il est aussi devenu un symbole du pouvoir économique de la ville d'Amiens, un emblème de prospérité (lire l'histoire plus complète du bâtiment dans cet article).



Le moulin Passe-Avant, au 186 rue Saint-Leu.

En 2015, à la fin des travaux, «la silhouette du moulin aura profondément changé», explique Xavier Bailly, directeur du patrimoine à Amiens métropole. Et pour cause : aujourd'hui le moulin est affaissé, déformé par le temps. «Les entreprises vont remplacer les matériaux hors d'usage, comme les bois pourris. Seuls les matériaux en état sanitaire satisfaisant vont être conservés.» C'est-à-dire pas grand-chose.

Le moulin va changer. Ses différents «pansements» disparaîtront, comme les briques rouges visibles depuis la rue qui ont évité jusqu'alors que la structure ne s'effondre. À la fin des travaux, le moulin sera recouvert d'un même enduit sur toutes ses façades. C'est l'entreprise de maçonnerie Charpentier (d'Abbeville, dans la Somme) qui s'occupera de cette partie du travail.



Des briques rouges ont servi à soutenir le vieux bâtiment.

La toiture du moulin va aussi être totalement modifiée. Aujourd'hui, le toit est recouvert d'ardoises ; demain, il sera recouvert de tuiles plates. Les ardoises d'aujourd'hui sont composées d'amiante, il faudra donc les démanteler avec toutes les précautions légales.

Pour les tuiles plates, c'est l'entreprise Battais (de Haubourdin, dans le Nord), spécialisée dans la restauration des toitures de monuments historiques, qui devra en proposer un modèle semblable à ce qui se faisait au XVIe siècle, lors de la reconstruction du Passe-Avant.

Par chance, une tuile d'époque a été retrouvée dans le moulin et conservée. À partir de ce modèle, la toiture sera totalement refaite. Question couleur, ce n'est pas encore totalement décidé : «L'entreprise doit nous proposer un nuancier basé sur la couleur de la tuile originale», précise Xavier Bailly. Pourquoi un nuancier ? Pour respecter les variations de couleurs de la toiture d'origine, dont les tuiles étaient irrégulières.

La table rase invisible

Dans le moulin, 60% des boiseries sont à changer. Toutes sont en chêne : le remplacement sera l’œuvre de l'entreprise Lelu (de Pimprez, dans l'Oise), spécialiste en la matière. Quant aux travaux de menuiserie et serrurerie, ils ont été confiés à l'entreprise Oger (de Rambures, dans la Somme).

On l'a dit, le moulin est aujourd'hui affaissé. Mais il n'est pas question de le redresser totalement. La chose est plus subtile. «Le moulin doit garder sa physionomie», explique Xavier Bailly. Il restera petit peu bancal, donc, mais pas trop. Car le moulin doit devenir solide pour très longtemps. Cet entre-deux, coincé entre une totale remise à neuf et un maintien de l'existant, sera l'objet d'arbitrages successifs pendant toute la durée des travaux.

Depuis la rue Saint-Leu, que verront les passants pendant les travaux ? Rien du tout. Une bâche opaque se dressera sur toute la hauteur du moulin. Il faut savoir qu'à l'abri des regards le moulin sera minutieusement démonté, pièce par pièce, de haut en bas.



En vert sur le plan, l'échafaudage qui masquera les travaux (crédits: Charpentier PM).

D'abord la toiture, puis la charpente et les pans de bois. Pendant un laps de temps, il n'y aura plus rien sur le site du moulin. Table rase. Mais on ne le verra pas. «L’échafaudage évitera aux Amiénois le choc visuel de la disparition du moulin», explique Xavier Bailly. Ensuite, il sera reconstruit. En commençant par la maçonnerie au niveau du bief, de manière à assurer une bonne étanchéité, et en finissant par la toiture.

800 000 euros de travaux

Le coût du chantier du Passe-Avant se compte en centaine de milliers d'euros. «La charge nette pour Amiens métropole sera de 596 000 euros», détaille Xavier Bailly. Il faudra ajouter à cette somme 148 000 euros qui proviennent de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) de Picardie. Le moulin Passe-Avant a été classé aux monuments historiques en 1986, c'est la raison pour laquelle l'État via la Drac met la main à la poche.


Le tour de table n'est pas fini. La société d'assurance CGPA joue les mécènes et va sortir 25 000 euros. Par ailleurs, une souscription populaire, qui va se poursuivre tout au long des travaux, a déjà réuni 16 000 euros. Ce mécénat d'entreprise ou individuel est défiscalisable à hauteur de 66% du don. C'est la Fondation du patrimoine qui émet ces bons de défiscalisation. La Fondation mettra elle-même 15 000 euros sur la table. Coût total de l'opération : 800 000 euros.

Du sauvetage avant tout

«Au départ on avait chiffré le montant du sauvetage à 500 000 euros», relate Xavier Bailly. Mais la restauration n'aurait pas été complète. «300 000 euros supplémentaires étaient nécessaires pour réaliser les détails de la restauration.» Quels détails ? Par exemple, la sculpture qui fait l'angle du moulin, palpable lorsque l'on est sur le trottoir.

Notons qu'Amiens métropole est propriétaire du moulin. La «cage», c'est-à-dire la partie supérieure de la structure, a été rachetée à l'association Le Bel Amiens pour l'euro symbolique en novembre 2006. Six mois plus tard, le sous-sol et l'emprise foncière étaient acquis à la société Benoît pour 1200 euros.

Aucun usage n'est prévu pour le moment. À la fin des travaux, l'eau et l'électricité arriveront au moulin, mais ses 40 m² n'accueilleront pas de public. «On est surtout dans une action de sauvetage», indique Xavier Bailly.

Reste un détail. Quand le moulin aura retrouvé les couleurs de sa jeunesse, il faudra se pencher sur le bras de Somme qui jadis fit tourner sa roue. Car le petit barrage situé quelques mètres en amont du moulin retient tous les détritus jeté dans le fleuve. Si bien qu'une barrière d'objets en plastiques s'est formé. De quoi faire tâche à côté du moulin restauré.



Vue du moulin depuis la rue des Clairons.

Qui devra nettoyer ? Le Département ? Non. «Le conseil général est propriétaire de la Somme depuis Péronne jusqu'à Saint-Valéry, détaille François Bury, responsable de l'Agence maritime et fluviale de la Somme. Mais les barrages situés sur les différents bras du fleuve dans le quartier Saint-Leu ne sont pas tous la propriété du Département.» Et en l’occurrence, celui du moulin Passe-Avant est privé. Il appartient toujours à la société Benoît.