Mickael Naassila
Première cigarette à 14 ans, première ivresse alcoolique et premier joint à 15 ans, les âges moyens d’expérimentation correspondent aux années collège avec une intensification des consommations avant l’entrée au lycée. «Moi drogué, non, j’ai fait le lycée comme tout le monde» disait l’humoriste Albert Dupontel dans ses sketches… Banalisation et «culture du boire» pour l’une, sous-estimation des risques d’une drogue qui ne serait pas «dure» pour l’autre, ces deux drogues représentent pourtant bel et bien un danger pour le cerveau et l’avenir des jeunes.
L’alcool au volant reste la première cause de mortalité chez les jeunes (15-24 ans). Ces derniers mois, un nombre très important de jeunes sont décédés suite à une hyperalcoolisation, dont un très récemment en Picardie. Les jeunes, garçons et filles, ainsi que les mineurs sont une cible privilégiée des alcooliers: les publicités sont directement orientées vers cette «cible marketing». Or, la consommation d’alcool, et en particulier celle de type binge drinking (boire beaucoup en un temps- record), induit des déficits cognitifs à long terme.
Les études récentes indiquent que le binge drinking est une des modalités de consommation les plus néfastes pour le fonctionnement cérébral. De plus, tous les indicateurs sont au rouge relativement à la vulnérabilité à l’addiction: les études épidémiologiques démontrent que l’initiation de la consommation d’alcool à un âge précoce est corrélée à un risque doublé, selon l’âge des premières consommations, de devenir alcoolodépendant à l’âge adulte.
Qu’en est-il d’une consommation précoce de cannabis? Il semble d’abord essentiel de rappeler que les français sont les plus gros consommateurs en Europe et que le cannabis est généralement fumé avec du tabac: il ajoute donc à sa toxicité propre celle du tabac en plus d’accroître les effets délétères de ce dernier. Le cannabis accroît aussi l’accrochage au tabac et rend encore plus difficile le fait de s’en sevrer. En élevant la température de combustion du tabac de 200C° il génère 7 fois plus de goudrons, d’agents cancérigènes et d’oxyde de carbone. Sa consommation entraîne, entre autre, des troubles de la cognition, de l’anxiété, des troubles dépressifs et aggrave la schizophrénie, sans parler de l’échec scolaire et de l’accidentalité routière.
Une étude de Nouvelle-Zélande vient d’être publiée et rapporte les résultats obtenus sur une cohorte de 1037 nouveau-nés, nés en 1972 et maintenant âgés de 40 ans, montrant les retentissements à très long terme de la consommation de cannabis sur la cognition: Des tests neuropsychologiques ont été réalisés à 13 ans (avant toute consommation de cannabis) et à 38 ans. Trois groupes ont été analysés: les non-consommateurs, les consommateurs réguliers (4 fois par semaine) et les sujets dépendants.
Cette étude confirme l’existence de troubles cognitifs (fonctions exécutives, attention et mémoire) induites par le cannabis chez les adultes consommateurs réguliers et les sujets dépendants. Les sujets dépendants ayant commencé à consommer avant 18 ans présentent en moyenne une baisse de 8 points au QI par rapport aux non-consommateurs. Là encore, comme pour l’alcool, cette étude démontre que plus on consomme tôt à l’adolescence, plus l’atteinte cognitive est sévère.
On sait que ces deux drogues sont toxiques pour le cerveau adolescent encore en cours de maturation et il est donc urgent et impérieux de tout mettre en œuvre pour retarder l’âge des premiers contacts et limiter, débanaliser leur usage. Dans le contexte actuel où les lobbies fonctionnent à plein régime pour freiner l’augmentation des taxes sur l’alcool, alors même que cela se fait déjà ailleurs, et à l’heure où il est question de vouloir décider politiquement et rapidement de la dépénalisation du cannabis sans prendre en compte les dernières données scientifiques ni consulter les experts, il est nécessaire de réfléchir à comment mieux protéger nos jeunes (et leur cerveau) qui naviguent dans un environnement très addictogène.
En parlant des sciences, il serait aussi bon de trouver les financements pour booster les recherches et faire avancer l’état des connaissances sur l’impact de ces drogues consommées à l’adolescence tant sur le fonctionnement cérébral que sur la vulnérabilité à l’addiction: Il est frappant de constater que le champ des addictions commence à accuser un certain retard comparativement aux autres maladies psychiatriques et neurodégénératives.
Au total, il parait important de mobiliser tout le monde pour faire de la prévention à un âge très précoce (dès l’école primaire), prioritairement sur les élèves les plus vulnérables (cibler la prévention) et en impliquant les parents et des pairs responsables. Il faut aussi travailler sur le bien-être des jeunes car on sait que le stress, les troubles dépressifs, l’anxiété, l’incertitude sur l’avenir, la peur de l’échec, sont autant de facteurs qui peuvent faciliter/maintenir la prise de drogues.
Mais prenons garde de ne pas nous focaliser sur les jeunes et de ne pas les stigmatiser: il existe d’autres problèmes majeurs comme la prise en charge des addictions (seuls 8% des patients alcoolodépendants sont traités pour leur maladie) ou encore le syndrome d’alcoolisation fœtale qui touche 0,5 à 3 nouveau-nés pour 1000 naissances en France et qui reste la première cause de retard mental d’origine non-génétique.
Mickael Naassila est professeur à l'UPJV et chercheur pour l'Inserm dans le Groupe de recherche sur l’alcool & les pharmacodépendances.
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