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Alain LETRUN

70e anniversaire de l'exécution de Jean Cavaillès

Le 17 February 2014
Tribune commentaires

70e anniversaire de l'exécution de Jean Cavaillès

Le 17 février 1944, Jean Cavaillès et plusieurs autres Résistants étaient fusillés dans les fossés de la citadelle d'Arras et leurs corps y étaient anonymement enfouis. Il avait été condamné à mort, quelques jours plus tôt, par le tribunal militaire allemand siégeant dans cette ville, pour actions de renseignements des Alliés et de sabotages menées par le réseau « Cohors » qu'il avait constitué en avril 42 .

Agrégé de philosophie, ancien élève de l'ENS au sein de laquelle il est d'abord répétiteur, Cavaillès est nommé en 1936 au lycée de garçons d'Amiens, son unique poste dans le secondaire. Il voyage souvent entre Paris et Amiens avec une jeune professeur d'histoire et géographie du lycée féminin, la future Lucie Aubrac dont le parcours ne cessera de croiser le sien durant les années noires de l'occupation et de la guerre.

Après la soutenance de sa thèse en 1938, il devient chargé de cours puis maître de conférences à l'Université de Strasbourg. Mobilisé un an plus tard, le jeune chercheur -il est alors âgé de trente six ans- va faire le choix de l'action. Fait prisonnier en juin 40, évadé en juillet, il rejoint Clermont-Ferrand où est repliée l'Université de Strasbourg. Il y retrouve le couple Aubrac. Avec quelques autres ils fondent le mouvement Libération en zone sud et le journal du même nom : « Ceci n'est pas une feuille de papier, mais un acte » y déclare Cavaillès. Nommé à la Sorbonne en 1941, il rejoint Libération en zone nord et fonde, en 42, le réseau Cohors, estimant que la priorité de l'action résistante est celle du combat de type militaire contre l'armée allemande.

Dès lors, les événements se précipitent. Convoqué à Londres, il est arrêté sur une plage des environs de Narbonne au moment d'embarquer à bord du sous-marin qui doit l'y mener. Lucie Aubrac organise son évasion de la prison de Montpellier que des scrupules de Cavaillès feront échouer. L'évasion aura lieu depuis un camp situé dans le Limousin et sera suivie de la révocation et de l'entrée en clandestinité. En février 43 il est enfin à Londres et rencontre de Gaulle qui lui proposera, après l'arrestation de Jean Moulin en juin, de devenir l'adjoint de son successeur, Georges Bidault. Cavaillès refusera, préférant poursuivre l'action directe. Il est de retour à Paris en avril, ignorant que son réseau a été infiltré. Le 28 aôut, il est arrêté par l'Abwerh. Les derniers mois, il passe de la prison de Fresnes au camp de Compiègne avant que les services allemands ne découvrent ses responsabilités et le transfèrent devant l'un de leurs tribunaux militaires.

Durant sa détention au camp de St Paul d'Eyjeaux, Cavaillès rédigera le manuscrit de l'oeuvre qui sera publiée en 1947 : Sur la logique et la théorie de la science. Mort à l'âge de 41 ans il a assumé sans hésitation de sacrifier l'apport potentiel dont il était capable à la pensée des mathématiques, au combat pour la liberté. Sans attache partisane il s'est tenu à l'écart des querelles politiques entre chefs de la Résistance. Peut-être cette indépendance d'esprit a t-elle contribué à l'oubli relatif de son action et de son nom ?

Ce lundi 17 février, un hommage d'une journée, placé sous le haut patronage du ministre de l'Education Nationale, lui sera rendu à l'Ecole Normale Supérieure puis dans la crypte de la Sorbonne où reposent les restes de l'inconnu n°5 des fossés de la citadelle d'Arras. France-Culture lui a consacré l'émission Science publique de ce vendredi 14. Plusieurs universitaires y ont témoigné de leur fidélité au penseur prometteur comme au héros de la Résistance.

A Amiens, les professeurs de philosophie qui avaient obtenu de la municipalité, en octobre 2010, que la mémoire de son passage dans la ville soit entretenue par l'attribution de son nom à la salle dévolue aux réunions publiques, attendent, depuis plus de trois ans, l'installation du tableau mural dont le projet avait été retenu pour présenter ce parcours d'homme de science et de courage.


Le mot de la rédaction

L'auteur de ce billet est membre de la Société des amis de Jean Cavaillès.

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