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Villages isolés cherchent permanences de soins

Le 02 September 2013

En Picardie, il y en aurait déjà 29. Onze sont ouvertes, et dix-huit en construction. Ces Maisons de santé pluri-professionnelles (MSP, voir le cahier des charges édité par l'ARS) sont des cabinets médicaux, labellisés par l'Agence régionale de santé (ARS) qui regroupent à la fois médecins et paramédicaux: infirmiers, kinésithérapeutes, diététiciens, orthophonistes voire psychologues ou dentistes.

Ce label «MSP» a été mis en place suite à une circulaire du 27 juillet 2010. Par la création de ce label, le gouvernement entendait enrayer l'exode rural des médecins et des professions paramédicales libérales. En région, c'est l'ARS, sorte de préfecture pour le domaine de la santé, qui relaye cette politique.

«L'idée, c'est de fixer ensemble les professionnels dans les zones de campagne, explique Ghislaine Gilliers, responsable du service des soins de premier recours à l'ARS Picardie. C'est aussi promouvoir une nouvelle pratique médicale, en coordination avec les paramédicaux, et en relation avec les centres hospitaliers de proximité ou les EHPAD, par exemple.»

Si cette organisation peut être profitable aux patients dont les pathologies requièrent l'intervention de différentes professions de santé, cette labellisation permet aussi à l'ARS d'amener les politiques de santé publique dans ces zones reculées: ainsi les praticiens s'engagent à relayer des actions de vaccination et organiser des ateliers de prévention ou d'éducation thérapeutique.

Pour voir son cabinet obtenir le label MSP, les médecins doivent soumettre leur projet à l'ARS. «Ils doivent nous présenter des axes de travail, qui vont correspondre aux besoins de la zone» explique Ghislaine Gilliers. Ce projet de santé, de même que le projet de fonctionnement de la maison de santé, seront évalués par l'ARS, avec la participation des Unions régionales de professionnels de santé (URPS), instances représentative des médecins, infirmiers ou kinésithérapeutes libéraux. Voilà pour la théorie.

Sept ans de réflexion à Warloy-Baillon

Cas pratique: Warloy-Baillon, au nord-est d'Amiens. Bourgade tranquille de 800 habitants qui, il y a encore quelques années, comptait deux médecins, une infirmière, une maison de retraite de soixante lits -le plus gros employeur de la ville, une pharmacie et... peu d'autres commerces. «Nous avions nos deux médecins, mais l'un d'entre eux est parti à la retraite. Le second, le docteur Desobry prenait de l'âge lui aussi», explique Frédéric Martin, le maire de Warloy-Baillon.

Pour que la commune de devienne pas un désert médical, le maire se devait d'agir. Depuis plusieurs années, l'élu préparait la commune à investir pour attirer des médecins. «Cela représente sept ans de préparation. Au début, on pensait créer un cabinet médical avec deux médecins au sein de l'ancien presbytère.» Une simple réhabilitation aurait suffi.

Au final, c'est un projet d'une toute autre envergure qui a vu le jour. La ville a pu construire un bâtiment de 750m² accueillant quatre médecins, deux kinésithérapeutes, deux infirmières, une sage-femme, un podologue, un ostéopathe, un diététicien deux orthophonistes et, bientôt, un chirurgien-dentiste. Un projet qui aura coûté un 1,4 million d'euros. Un coût colossal pour une petite commune.

Mais la commune de Warloy-Baillon n'en aura payé que la moitié. 700 000 euros ont été amenés par d'autres sources: Conseil général, Conseil régional, État, Europe. «Nous n'aurions pas pu faire construire ce bâtiment seuls», reconnaît Frédéric Martin. Depuis l'ouverture de la MSP, en mars dernier, la pharmacie du village semble sentir un regain d'activité. Ce qui rassure le maire: pour son prochain mandat, il tentera de faire venir des commerces, à proximité de la maison de santé.

Les médecins de la zone se regroupent

Les autres porteurs du projet de la maison de santé de Warloy-Baillon, ce sont deux médecins généralistes, Philippe Desobry et Jean-Yves Borgne. Le premier, esseulé à Warloy-Baillon depuis le départ à la retraite de son collègue, le second, seul à Ribemont, à six kilomètres de là.

Jean-Yves Borgne, lorsqu'il s'est installé en 1993, n'envisageait pas de travailler en groupe. «Et puis la solitude est arrivée et, surtout, les difficultés d'organisation de mon emploi du temps». En effet, le médecin est élu au sein de l'URPS de sa branche, et il est aussi maître de conférence à la faculté de médecine d'Amiens. Il y a quatre ans environ, les deux médecins commencent à évoquer l'opportunité de se regrouper. Au fil des réunions avec les médecins et paramédicaux du territoire, des intérêts se manifestent et une équipe se forme. À Acheux, par exemple, un autre médecin partait en retraite. Sa remplaçante ne se voyait pas travailler seule: elle a rejoint le projet de MSP.

750 m² flambant neufs et un secrétariat pour les médecins et patients de Warloy-Baillon.

Jean-Yves Borgne est enthousiaste. «L'expérience est très positive de mon point de vue! Je peux bénéficier des services du secrétariat, nous travaillons dans des locaux neufs, nous partageons notre expérience entre professionnels et nous discutons des cas complexes...»

Les contreparties du label

En contrepartie de cette installation, les médecins s'engagent à accueillir des stagiaires médecins. Les soignants de la MSP s'engagent aussi à organiser des réunions interdisciplinaires. À Warloy-Baillon, c'est le cas: tous les lundis midi, les généralistes déjeunent ensemble, et une fois par mois tous les occupants de la MSP se réunissent. L'occasion d'aborder les campagnes nationales de prévention ou tout autre sujet. C'est dans le cahier des charges.

Depuis l'accueil et la formation de stagiaires jusqu'aux séances d'éducation thérapeutique, toutes les activités annexes demandées par l'ARS nécessitent une bonne coordination sont coûteuses en temps. Pour ces professions libérales, rémunérées à l'acte, cela pose un problème: en effet, aucun salaire ne viendra compenser toutes ces obligations.

Or ces associés au sein des MSP ne gagnent rien à s'associer. Au contraire, les salaires des secrétaires et des femmes de ménage peuvent représenter des charges de fonctionnement importantes, divisées entre les sociétaires, selon leur occupation du local.

«Dans les campagnes, il n'y a plus rien»

Luc Guiheneuf est médecin généraliste à Corbie. Visites, consultations, à ses heures perdues il est aussi régulateur du Samu et médecin légal pour les policiers et les gendarmes du canton. Les soixante-dix heures de travail hebdomadaire des généralistes ne sont pas forcément une légende.

Il y a quelques années, il a sauté le pas et a monté une Société civile de moyens (SCM) avec six autres médecins. «Aujourd'hui, les médecins ne veulent plus s'installer seuls», constate Luc Guiheneuf. Il prend comme exemple le dernier «jeune» médecin qui s'est joint à leur SCM. Il habite Amiens, et peut faire la route tous les jours. «Dans les campagnes, il n'y a plus de postes, plus de boulangers, plus d'écoles et il faudrait que les médecins aillent y vivre?»

Des médecins, des paramédicaux... mais pas encore de label pour le cabinet de Luc Guiheneuf.

En 2008, lorsque l'un des médecins part à la retraite, les autres généralistes décident de faire venir des paramédicaux. Aujourd'hui, dans la maison de santé pluri-disciplinaire, on trouve infirmières, diététicienne, psychologue...

Au début de l'année 2013, le docteur Guiheneuf a présenté son projet à l'ARS, lui aussi, aimerait que son cabinet pluri-professionnel soit étiqueté «MSP». Il ne touchera pourtant pas d'aide à la construction puisqu'il ne changera pas de local, et son équipe est déjà constituée en grande partie. Il devra, par ailleurs, répondre à toutes les exigences du cahier des charges.

Hors la MSP, point de rémunération

Alors pourquoi vouloir le label? Parce que seules seront dédommagées les actions d'éducation thérapeutique menées dans les MSP dûment labellisées. Résultat: tant que le docteur Guiheneuf n'aura pas obtenu le sésame, il ne pourra pas mener ces actions de prévention et de sensibilisation. Ces dédommagements, toujours à l'étude au ministère de la santé, sont appelés NMR, pour Nouveaux modes de rémunération.

Mais le label lui-même peut représenter un attrait pour les généralistes qui hésitent à se lancer en zone rurale. Pour que les charges de la maison de santé soient plus légères, Luc Guiheneuf aimerait faire venir une septième consœur. «Mais elle n'acceptera de s'installer que si nous obtenons le label.» Les paramédicaux qui se lancent, sans clientèle, peuvent aussi trouver leur intérêt à exercer à côté des médecins généralistes.

Charges superflues pour les infirmières

Si les médecins sont convaincus de l'intérêt de l'exercice en MSP, d'autres professions restent prudentes. Les infirmières libérales, par exemple. «En Picardie, il n'y a pas de désert d'offre de soin en ce qui nous concerne, explique Marie-Odile Guillon, présidente de l'URPS infirmières de Picardie. Toutes les zones sont couvertes!»

Le dispositif MSP, coûteux, serait peu adapté à leur profession. «Depuis longtemps nous fonctionnons en groupe, en assurant, à tour de rôle, des permanences de nuit et de week-end. Quant au secrétariat, nous n'en avons pas besoin: prendre les rendez-vous c'est du travail que nous exécutons nous-même, depuis notre véhicule!» Marie-Odile Guillon est assez réservée sur le dispositif des MSP qui, pourtant, attire quelques-unes de ses collègues.

Les actes infirmiers sont chichement rémunérés. 3,15€ pour une injection, pouvant être majoré d'1,15€ si l'acte est unique. Il en faut beaucoup pour faire fonctionner un cabinet avec un secrétariat et une femme de ménage.

«Les infirmières se posent encore beaucoup de questions, résume la représentante de l'URPS. Si nous sommes rémunérées au sein des MSP, que restera-t-il de l'exercice libéral?» Pour l'infirmière, ces nouveaux modes de rémunération, nécessaires pour que les libéraux puissent mener des actions de santé publique, font peser la menace du salariat sur sa profession.

La liberté des libéraux

«Depuis deux ans, nous avons constaté que les charges des professionnels qui s'installent en MSP sont plus élevées que les charges que dans des cabinets simples, de façon mystérieuse. J'en ai demandé les raisons à l'ARS mais je n'ai pas eu de réponse.»

Chez les kinés aussi, on reste perplexe. Sylvie Desaleux, présidente de l'URPS des masseurs-kinésithérapeutes de Picardie, s'inquiète de ces coûts qui peuvent peser lourd pour ses collègues débutants, dont la clientèle n'est pas encore constituée.

Elle partage quelques autres craintes des infirmières. «Le système des MSP fait qu'il y a une certaine interdépendance entre les praticiens et les collectivités qui restent propriétaires des murs. Nous craignons un peu qu'à terme, nous devenions salariés, dépendants de l'État ou des mutuelles.»

Néanmoins, sans voir à si long terme, elle salue l'idée des MSP. «C'est une bonne idée de se regrouper, alors que l'époque du sacerdoce est terminée pour les soignants. Les professionnels de santé veulent aussi du temps libre, et pouvoir partager leur soucis avec des collègues.» Les kinés, pas plus que les médecins, ne veulent encore s'installer seuls en zone rurale.

Dans l'œil du Télescope

La plupart des propos ont été recueillis par téléphone, sauf en ce qui concerne les docteurs Guiheneuf et Borgne que j'ai pu rencontrer.