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Vers une première école expérimentale à Amiens

Le 14 December 2012
Enquête commentaires
Par Fabien Dorémus A lire aussi

«Nous croyons aux valeurs de l'école républicaine.» Voilà le décor posé, sans ambiguïté. Pour l'association L'effet papillon qui travaille à la création d'une école privée alternative sur Amiens, l'idée est davantage d'inspirer l'Éducation nationale que de la concurrencer. L'établissement sera gratuit et laïque. Dans l'idéal, l'association voudrait ouvrir son école en septembre 2013. Dans les faits, cela risque d'être plus long.

L'effet papillon existe depuis octobre 2011. L'association compte une soixantaine de membres «et autant de sympathisants» explique Florence Dorent, membre fondateur. Parmi les adhérents, une dizaine travaillent dans l'Éducation nationale : «Ce sont des enseignants qui veulent changer des choses mais n'y parviennent pas.»

Difficile en effet pour ces fonctionnaires de modifier le système d'évaluation des élèves, jugé stressant, de faire venir des intervenants extérieurs en classe ou de modifier les rythmes scolaires. «Nous voulons montrer qu'une école idéale est possible. L'idée est qu'ensuite l'Éducation nationale se saisisse de notre expérience, précise-t-elle. Nous sommes des militants des droits des enfants et de leur famille.»



Florence Dorent, chef de projet pour l'association L'effet papillon.

Florence Dorent a exercé pendant 10 ans le métier d'éducatrice spécialisée dans une association du quartier Saint-Maurice à Amiens. Voulant quitter ses fonctions en raison du «fonctionnement interne», elle projette d'abord de se tourner vers l'horticulture. Puis tombe enceinte. «Je me suis posé une question que se posent tous les parents : où vais-je scolariser mon enfant?» C'est le déclic. Il y a deux ans. «J'ai fait des recherches pour savoir s'il y avait des établissements qui utilisaient des méthodes alternatives dans la région mais il n'y avait rien.»

En France, plusieurs centaines d'écoles alternatives existent déjà. «Mais elles sont payantes : 100 ou 200 euros par mois. Ce n'est pas notre modèle.» L'association veut rendre son école accessible à tous. Mais le coût n'est pas le seul reproche fait à ces écoles alternatives. «Ce sont souvent des écoles dogmatiques, essentiellement catholiques. Moi, je cherchais une école laïque!»

Des méthodes par dizaines

La question des pédagogies pose également problème : «Les 700 écoles alternatives que compte la France utilisent une centaine de méthodes pédagogiques différentes. Laquelle choisir ? Je les ai étudiées, j'ai vu des défauts dans chacune d'elles.» Le souci principal, pour Florence Dorent, se situe surtout au niveau de la «posture éducative» des enseignants de ces écoles.

Pour comprendre, elle donne un exemple : «J'ai visité une école dite alternative, quand je suis entré dans la classe, l'enseignante ne m'a pas présentée aux enfants. Je n'avais pas le droit de leur parler, et eux non plus n'avaient pas le droit de me parler.» Pour Florence Dorent, c'est l'illustration de l'archaïsme de certaines méthodes : «Elles se réclament de la science mais n'ont pas pris en compte les évolutions des savoirs sur les questions pédagogiques.»

Des maths et des cabanes

La posture éducative est «l'attitude générale de l'enseignant/éducateur et tout autre adulte de l'école» explique-t-on sur le site de l'association. C'est une commission qui se charge d'en définir les contours. Et c'est là l'une des originalités du projet : l'association a mis en place des «commissions thématiques participatives» composées d'adhérents afin d'élaborer les contours précis de la posture éducative, du contenu des enseignements, de l'environnement de l'école, etc.

Mais sur le contenu des enseignements, pas question de faire n'importe quoi. «Nous allons respecter le socle commun de connaissances. Ce qui va changer c'est la méthode d'apprentissage, l'évaluation.» L'enfant sera évalué tous les jours, de manière continue : «Un élève ne passera pas à la suite du programme si le savoir n'est pas acquis. Pas question d'aborder la soustraction si l'addition n'est pas comprise. Et, par exemple, si un enfant ne comprend pas les additions, on pourra l'emmener dans le jardin compter les carottes», sourit Florence Dorent.

Une méthode qui, selon l'éducatrice, serait plus efficace : «Lorsqu'un enfant ne comprend pas une notion et que l'on passe à la suite, le fossé se creuse. C'est alors de plus en plus difficile pour lui. Alors au final, la méthode la plus rapide, c'est la nôtre.»

Par ses méthodes d'apprentissage, L'effet papillon veut que les enfants acquièrent leur autonomie. Et prennent surtout le goût d'apprendre, en liant savoir et savoir-faire : «À l'école, souvent, un enfant travaille soit pour obtenir l'approbation de l'enseignant et des parents, soit pour éviter la punition. Nous, on veut un autre profil d'enfant. Qu'il se dise: “Si j'apprends bien les maths, je vais pouvoir construire une cabane.»

Le contrôle de l'État

La future école amiénoise souhaite ouvrir une première classe en septembre 2013. Elle accueillerait une quinzaine d'enfants âgés de 3 à 6 ans. Dans les années à venir deux autres classes supplémentaires verraient le jour, respectivement pour les 6/9 ans et les 9/12 ans. «Nous ne voulons pas ouvrir plus de trois classes afin de garder une échelle humaine.»

Quel sera le statut de l'école ? Il lui faudra attendre cinq ans d'existence pour pouvoir demander à se lier contractuellement avec l'Éducation nationale. Pendant cinq ans, l'école amiénoise sera donc «hors contrat» ce qui signifie sans aide financière de la part de l'État. En revanche, comme tout établissement d'enseignement privé, l'école sera soumise à un contrôle de l'État. Ainsi le niveau des élèves sera évalué au moment de leur entrée en sixième.

La question du local

Mais venons-en au nerf de la guerre. Comment financer une telle aventure? Pas simple, lorsque l'on veut créer une école gratuite. Alors, quel budget faut-il ? Les calculs sont encore en cours mais selon Florence Dorent, il faudra compter plus de 100 000 euros par an pour une seule classe. Et encore ! La question de la location d'un local n'est pas intégrée à ce calcul.

«Nous sommes en contact depuis plusieurs mois avec Amiens métropole pour savoir s'ils ont un local de disponible. Vu notre projet, j'ai l'impression que ça correspond à l'idée que cette municipalité se fait de l'éducation», explique l'éducatrice. Mais les contacts avec la métropole se seraient distendus ces dernières semaines : «Je n'ai plus de nouvelles depuis septembre», regrette-t-elle. En attendant, elle cherche d'autres pistes.

Contactée à ce propos par nos soins, la Ville a apporté, par mail, la réponse suivante : «La Ville est d’abord soucieuse du bon fonctionnement des écoles publiques, dont elle a notamment en charge les bâtiments. […] Cette mission mobilise pleinement (ses) services, dont la vocation première est et restera de soutenir le système public et gratuit qu’offre l’Éducation nationale. Cependant, la Ville est ouverte au dialogue: l’association a d’ailleurs déjà été reçue à deux occasions en mairie[...]. Le projet de l’association a bien été compris, et la collectivité ne doute pas du sérieux de ceux qui le portent. La Ville entend ainsi rester à l’écoute de l’association, comme elle l’est de l’ensemble du tissu associatif, et Marion Lepresle est tout à fait prête à rencontrer de nouveau ces représentants.»

Un financement hybride

Quoiqu'il en soit, L'effet papillon est en train de monter un financement hybride qui mêle trois genres d'apports différents. D'abord des subventions, sachant que l'association a déjà obtenu 23 000 euros de la part du Fonds social européen. Une somme qui sert à financer pendant 7 mois le poste de chef de projet occupé par Florence Dorent.

L'association est aussi en train de monter une recherche-action avec une chercheuse en psychologie et sciences de l'éducation de l'université de Strasbourg : «Nous avons eu son accord ! Elle nous aidera à travailler sur la pédagogie et nous, de notre côté, nous lui fournirons des données utiles à sa recherche.» Grâce à ce partenariat, l'association pourrait bénéficier de l'aide du fonds d'expérimentation.

Les parents vont également être mis à contribution. Sans toucher à leur porte-monnaie. Le principe est de «mettre leurs compétences à disposition». En clair, les parents seraient amené à donner des coups de main pour le ménage, le jardin, la bibliothèque, le secrétariat, etc.

Des poissons et des impôts

Des compétences qui seraient également mis à profit en classe : «Un poissonnier peut venir expliquer aux enfants les types de poissons et de pêche, un inspecteur des impôts peut aussi venir expliquer ce que sont les impôts» égraine Florence Dorent. Un dispositif qui aurait une double vertu : faire des économies et renforcer les liens entre les parents et l'école.

Mais le cœur du projet, et la source de revenus potentiels la plus importante, c'est le système global dans lequel s'insère l'école. «L'écosite éducatif et pédagogique», c'est le nom donné à ce système.



Comme le montre le schéma ci-dessus, il s'agit de développer des activités tournées vers les arts, l'environnement ou l'accompagnement à la parentalité. Des activités connexes «qui vont nous permettre d'être orientés vers l'extérieur, de nous ancrer dans le territoire et de générer des revenus.»

La dernière étape pour l'association sera de recruter un(e) enseignant(e) diplômé(e). «Nous lui donnerons une formation complémentaire» dirigée vers la gestion pro active de la classe. Avant d'en arriver là, Florence Dorent sait les épreuves qui l'attendent encore. Rendez-vous dans quelques mois pour faire le point.