Avant 1968, les résidences étudiantes mixtes n’existaient pas. Sur les campus universitaires, filles et garçons étaient priés de dormir chacun de leur côté, dans des bâtiments différents.

Depuis, toutes les résidences étudiantes gérées par le Crous (organisme public) sont devenues mixtes. Toutes, sauf une. C'est la résidence Saint-Leu à Amiens, située en plein centre-ville. Un cas unique en France. Près de 200 filles y trouvent un logement à l'année.

Une seule salle de douches par étage

Pourquoi cette situation ? La raison est simple. Pour loger filles et garçons dans une même résidence, il aurait fallu procéder à des travaux. À Amiens, les résidences étudiantes du Crous ont toutes été rénovées et réhabilitées. Sauf la résidence Saint-Leu. «Il n’y avait pas de nécessité de rénovation, explique le directeur adjoint du Crous Amiens-Picardie, Régis Hoyer. Le Crous a donc décidé de laisser la résidence en l’état. Elle est restée non-mixte».

Seules les filles ont le droit d'entrer dans la résidence Saint-Leu.

À l'intérieur,  l'organisation diffère quelque peu des autres résidences. Chaque étage ne dispose que d'une seule salle de douches et d'un seul WC. Les salles d’études, de télévision et d’informatique, et les cuisines sont également des parties communes. «Comme  nous n’avons pas toutes les mêmes horaires, c’est assez fluide. Il n’y a jamais beaucoup de personnes dans un endroit», témoigne Aurélie, 24 ans, étudiante en droit, résidente depuis trois ans. «Et puis, entre filles, ce n’est pas du tout un soucis, commente Narjisse, 20 ans, résidente depuis deux ans. Cela dit, il existe quelques difficultés pour l’hygiène des toilettes avec des résidentes…».

Pourquoi avoir choisi de vivre dans cette résidence ? Certaines étudiantes, comme Aurélie, avaient postulé pour avoir «une chance de plus de bénéficier d'une chambre». Pour Narjisse par contre, le choix de cet hébergement a «arrangé [ses] parents. […] Ils se sentent rassurés».

«La résidence Saint-Leu est un peu un coffre-fort pour eux», lance le directeur adjoint du Crous Amiens Picardie. 

Une résidence proche de tout

La résidence Saint-Leu compte une majorité d’étudiantes étrangères. Elles viennent de Chine, des États-Unis ou encore de Tunisie, comme Chadlya, 29 ans, en thèse de doctorat. «J’ai résidé ici plusieurs fois en plusieurs mois depuis plusieurs années. Le point le plus positif? La proximité avec mon travail», explique-t-elle.

Les garçons ont de quoi être jaloux. Le Pôle universitaire cathédrale (droit, économie, sciences politiques), l'UFR de sciences et l’École supérieure de commerce se trouvent à quelques pas de la résidence Saint-Leu. «Nous sommes bien placées. Étant dans le centre-ville, les commerces sont proches. À Amiens, le principal est regroupé dans le centre-ville. Je n'ai pas besoin de bus. Et puis la gare n’est pas loin. Même la culture est à nos pieds!», s’exclame Aurélie.

Le cinéma Saint-Leu, la Maison du théâtre, la bibliothèque ne sont pas loin de la résidence. Pratique pour une sortie de dernière minute. «Toutes les résidences n’ont pas cet atout, continue Régis Hoyer. Elles se trouvent bien souvent hors du centre. Les étudiants hommes aimeraient pouvoir être si proches des commerces et de leurs lieux d’étude. Ce n’est malheureusement pas le cas». La non-mixité n'est donc pas la seule raison qui attire les étudiantes à la résidence Saint-Leu.

Dehors les hommes !

Devant la résidence, deux jeunes hommes sont assis sur les marches. L'entrée dans le bâtiment leur est strictement interdite, même pour travailler. «On n’a pas le droit d’inviter nos amis de sexe masculin ici, ni du coup notre petit-copain, explique Aurélie. Ce n’est pas si grave après tout. On ne restera pas toute notre vie dans cette résidence universitaire».

Une règle qui peut paraître extrême pour des étudiantes majeures. Mais plusieurs résidentes de Saint-Leu ont justement choisi cette résidence sur ce critère de stricte non-mixité.

Le personnel, pour l’administration et l’entretien de la résidence, est par conséquent lui aussi féminin. « Elles sont sympathiques et accueillantes. L’ambiance s’en ressent», sourit Aurélie. Pas de présence masculine à l’intérieur donc, si ce n’est le gardien de la résidence…

Un prix bas pour une chambre des années 60

Dernier critère qui convainc les jeunes femmes de choisir cette résidence: le loyer. Il est ultra-compétitif. «C’est le moins cher que j’ai trouvé, commente Chadlya. Avec les bourses et les aides, je ne paie que 80 euros. Plus que l’aspect non-mixte de la résidence, le loyer peu élevé importe aux filles». Selon le directeur adjoint du Crous, c'est surtout pour cela que la résidence ne désemplit jamais.

Niveau qualité-prix, ça donne quoi ? «On a le nécessaire», certifie Narjisse. Une chambre de 9m² avec un bureau, un lit d’une place, un petit point d’eau et un réfrigérateur, le tout dans un style années 60, voilà le logement de chaque résidente. «Les lieux restent en bon état, même s’ils vieillissent», assure Régis Hoyer.

La résidence Saint-Leu n'a jamais été rénovée ni réhabilitée.

La résidence pourrait bien devenir mixte à l'avenir. Mais pas avant longtemps. La nouvelle salve de travaux de  rénovation et réhabilitation des résidences du Crous d’Amiens ne démarrera pas avant 2015-2016, et la résidence Saint-Leu ne fait pas partie des bâtiments prioritaires.

Le directeur adjoint du Crous Amiens-Picardie, Régis Hoyer envisage d'ores et déjà de convertir de normaliser le fonctionnement de la résidence «On souhaite faire des studios et pourquoi pas rendre cette résidence mixte». Mais cette question devra être tranchée par les élus étudiants et les autres membres du conseil d’administration du Crous Amiens-Picardie.