Hervé Lybohy et Chouaib Sagouti, deux joueurs amiénois animés par le même projet.
Ce n'est pas encore la saison des transferts, mais la mairie d'Amiens vient de "recruter" deux fameux footballeurs. Hervé Lybohy, défenseur central de l'Amiens SC et Chouaib Sagouti, capitaine de l'Athletic club Amiens (ACA).
Une rencontre a déjà eu lieu. Pas sur une pelouse, mais à l'Odyssée, le centre culturel municipal d'Amiens Nord. Ces deux footballeurs des clubs amiénois ont participé hier à la présentation d'une exposition destinée aux jeunes des Centres d'animation jeunesse (CAJ). L'expo, acquise par la Maison de l'égalité, s'intitule «Ces Bleus venus des quatre coins du monde... Un siècle de présence ultramarine et des immigrations en équipe de France (1908-2010)».
Montée en 2010 en réaction aux propos jugeant qu'il y a trop de joueurs issus de l'immigration dans l'équipe de France, ces panneaux retracent l'histoire des joueurs issus de l'immigration d'Europe, du Maghreb, d'Afrique et d'Amérique latine au sein de la sélection nationale.
Pour cette fois, les deux footballeurs amiénois ont rencontré les jeunes des différents CAJ d'Amiens, autour de cette expo et du film Des noirs en couleur.
Cette première réunion tenait plutôt de la séance de dédicace, mais Karim Bounous, porteur du projet pour la Ville, a l'ambition de bâtir un partenariat au long cours avec les deux footballeurs. «Pour le moment on les associe à l'exposition sur l'équipe de France mais, demain, on réfléchit à la façon de les associer sur d'autres projets de l'Odyssée, pour les 6 à 25 ans.» Le but, pour Karim Bounous, c'est d'«encadrer une jeunesse qui a besoin de repères, de montrer aux jeunes des exemples positifs.»
Et ces deux footballeurs sont, à leur façon, de bons modèles. «Ils sont exemplaires sur le terrain et dans leur vie», estime le porteur du projet, et c'est pour cette raison qu'il leur a demandé de s'investir avec l'Odyssée. Chouaib Sagouti, le capitaine de l'ACA, a grandi à Amiens Nord et il y vit toujours. Hervé Lybohy, Ivoirien qui a grandi à Sarcelles «dans un quartier», est arrivé à l'ASC il y a trois ans et réside, depuis, en voisin du quartier nord, plutôt heureux de retrouver ici une atmosphère familière.
Les deux joueurs ont beaucoup d'impatience à propos du projet, l'envie de parler aux jeunes de foot, et d'autres choses. Si le projet est en construction, des moments d'échange, des discussions entre jeunes et parrains footballeurs font partie des idées de Karim Bounous.
Quelles sont les attentes de ces joueurs? Quelles sont leur ambitions? Entretiens.
Le Télescope d'Amiens: Comment s'est passée la prise de contact pour ce projet ? Aviez-vous déjà collaboré avec la mairie auparavant?
Chouaib Sagouti: Non, je n'avais jamais eu d'autres expériences avec la mairie. Par contre je connaissais déjà Karim depuis un moment. Il m'a appelé, tout simplement, il m'a brièvement présenté son idée au téléphone, on a discuté du projet, du quartier. J'ai tout de suite accepté parce que c'était intéressant, et parce que c'était Karim qui le portait.
En plus, l'exposition est vraiment intéressante. Quand je suis arrivé au premier rendez-vous, elle était déjà en place. J'ai pu y jeter un œil et j'ai vraiment été surpris par certaines anecdotes. Notamment ces joueurs algériens qui, à la veille d'un match officiel, repartent en Algérie pour la guerre [Pour jouer dans la sélection du FLN, ndlr.] J'ai trouvé ça extraordinaire. Je connais le foot, depuis tout petit je suis dedans, mais cette histoire je n'en avais jamais entendu parler.
Hervé Lybohy: Moi je suis à Amiens depuis trois ans. J'ai fait la connaissance de Karim car il vient régulièrement voir les matches à la Licorne, et qu'on a des amis communs. On a sympathisé, le contact est passé rapidement entre nous deux. Quand il m'a parlé de son idée, j'ai dit «pas de souci.»
Comment ce partenariat va-t-il se concrétiser?
CS: Pour l'instant il s'agit de parrainer, faire venir les gens à l'Odyssée, autour de cette exposition. Aujourd'hui on amène un maillot avec toutes les signatures de notre équipe, un maillot floqué à mon nom que l'on va remettre aux jeunes du CAJ. Et l'Amiens SC va faire de même. Pour le reste, on en a discuté avec Karim, ça reste expérimental, l'idée générale c'est de sensibiliser les jeunes qui sont ici.
HL: Je découvre un peu aussi le projet. Karim m'en a parlé il y a quelques jours, et j'ai dit oui tout de suite parce que tout ce qui touche les jeunes m'intéresse. Même si j'ai 29 ans, dans ma tête je me sens encore jeune.
Karim m'a parlé de l'exposition, et qu'il allait essayer de faire venir des joueurs de l'équipe de France par la suite pour une autre exposition, de faire participer les jeunes du CAJ, en tant que joueur de foot ça m'a intéressé!
Vos motivations personnelles pour participer? Allez-vous servir d'exemple?
CS: Ma motivation c'est de parler foot car c'est ma passion. Le message que j'aimerais véhiculer aux jeunes présents, c'est que s'ils croient à une passion, le sport, l'art, le chant, la cuisine, peu importe, il faut qu'ils vivent à fond cette passion. Parce qu'une passion, c'est une discipline. Le sport m'a aidé, pour moi ça a été une deuxième école. Même s'il faut continuer de travailler à l'école, ça c'est sûr (rire), mais le foot m'a beaucoup aidé personnellement.
Respecter une passion ça permet de garder les pieds sur terre. Je vais pas vous le cacher, on habite un quartier difficile. Alors il faut faire prendre conscience aux jeunes qu'il faut s'accrocher à quelque chose et pas suivre les exemples négatifs de la rue. Donner un exemple positif.
Chouaib Sagouti se voit «un peu comme un grand frère» à Amiens Nord.
Je me vois un peu comme un grand frère: j'ai grandi ici, je vis ici, mon club est dans le quartier. J'ai le même parcours qu'eux, je suis passé par une structure semblable au CAJ: je me revois quelques années en arrière.
HL: Moi j'ai grandi dans un quartier, en Île-de-France, je viens de Sarcelles. J'aurais bien aimé, à leur âge, participer à ce genre d'événement. Si je peux aider les jeunes avec quelques conseils ou quoi que ce soit, ce sera avec grand plaisir.
Rencontrer des jeunes d'Amiens, Amiens nord et les autres, discuter, partager des choses avec eux... Quand je suis arrivé à Amiens, on m'a dit «si on te propose un truc sur Amiens nord n'y va pas parce que c'est un peu chaud», moi ça m'a fait rire parce que je sais comment ça se passe dans les quartiers.
Ça fait trois ans que je suis ici, ça se passe bien. Bien entendu, c'est parfois c'est un peu difficile sur le quartier, quand on voit certains événements. Dans un quartier, il y a des mauvais moments mais il y en a aussi des bons. Les meilleurs moments de ma vie je les ai passés dans un quartier.
Malgré tout, c'est grâce au football que je suis sorti un peu de mon quartier. Si je peux donner deux-trois conseils aux jeunes ou leur servir d'exemple, c'est tant mieux.
L'exposition présentée à l'Odyssée aborde le sujet du racisme dans le sport. C'est quelque chose que vous avez ressenti?
CS: Cette situation est plus répandue dans le monde professionnel, à mon avis. Nous on est dans le monde amateur. Dans le football national il y a des problèmes de phrases, de comportements racistes. Mais chez nous on croise des Arabes, des Noirs, des Français, pour nous y'a pas de frontières. Les insultes racistes sont très très rares, dans le monde amateur ça n'existe presque pas.
LH: Dans ma carrière, je ne l'ai pas trop ressenti. Cela a pu arriver sur le terrain, pendant certains matches où malheureusement j'ai vécu des insultes racistes, certains stades où les supporteurs n'étaient pas très courtois. Mais au sein des clubs, je n'ai jamais été confronté au racisme. En général les propos venaient de la part des supporteurs.
À part dans certains gradins, Hervé Lybohy n'a pas trop souffert de racisme dans sa carrière.
En 1998, les médias ont parlé de «réconciliation de la France avec sa diversité», on montrait en exemple ces joueurs «issus de la diversité». En 2010 et 2011, au contraire, il y a eu résurgence de propos racistes, et proposition de quotas de joueurs «blacks» en équipe de France. Comment avez-vous vécu ce basculement?
CS: Ça a été choquant: autant les comportements de certains joueurs de l'équipe de France lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud, que les histoires de quotas évoqués par la fédération.
Mais ici, à notre niveau amateur, ça nous touche moins. Il y a un monde qui sépare les amateurs et les professionnels. On en a beaucoup parlé entre nous, mais ça s'arrête là. On se dit que dans le monde professionnel il y a beaucoup d'argent en jeu.
HL: À mon avis, tout va avec les résultats: en 98 la France a gagné la Coupe du monde, tout le monde a été content, tout le monde a parlé de l'équipe «black blanc beur», etc., c'est normal.
Ce qui s'est passé après, en 2010, les propos qui ont été tenus sont malheureux. Pour moi ce sont les mauvais résultats et certains comportements chez les joueurs qui ont fait que les gens sont arrivés à parler comme ça. Mais si on avait eu des résultats positifs on n'aurait jamais parlé de quotas, on n'aurait jamais parlé de tout ça.
Est-ce que dans ce projet vous avez l'impression d'être comme un des joueurs de 98, un exemple, un outil pour faire passez des messages les jeunes?
CS: Oui, bien entendu, pour faire passer un message positif. Mais pour moi, mélanger football et politique ce n'est pas bon pour le sport, cela créée des problèmes. J'ai eu envie de participer au projet parce que je suis d'ici, tout simplement. Et que ce que vivent les jeunes aujourd'hui je l'ai vécu. Je suis issu du quartier, je vis dans le quartier. Cela veut dire qu'il y aura peut-être des enfants qui vont s'identifier à moi et, moi, lorsque je vois des enfants au CAJ ou en dehors, je me revois en eux, exactement. C'est plus dans ce rôle-là que je me vois.
HL: Ce n'est pas l'impression que j'ai. Les joueurs de 98 ont fait ce qu'ils avaient à faire, moi je suis juste un joueur de l'Amiens SC. Le foot m'a apporté beaucoup de choses et ce sont ces valeurs-là que j'aimerais transmettre aux jeunes, c'est pour cela que je suis là aujourd'hui.
Les entretiens ont été réalisés le mercredi 27 février, de façon séparée, à l'Odyssée.
L'exposition «Ces Bleus venus des quatre coins du monde... Un siècle de présence ultramarine et des immigrations en équipe de France (1908-2010)» est visible pour quatre semaines encore à l'Odyssée, avenue de la Paix.