«Chèque en bois! Chèque en bois!» Devant la mairie d'Amiens et sous la pluie, les sympathisants de la liste de Brigitte Fouré et d'Alain Gest attendent patiemment le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, pour lui remettre un chèque géant: «Cinquante millions de promesses intenables».
Le ministre, ce jeudi 20 février en visite à Amiens, ne s'attendait peut-être pas à recevoir cet accueil mais, bonhomme, il vient saluer Alain Gest. Le ministre et le député se connaissent bien puisqu'Alain Gest était président de Voies navigables de France (VNF) jusque récemment. Frédéric Cuvillier emporte le chèque géant en remerciant les candidats: «Je connais bien les chèques en bois, j'en ai eu un de 245 milliards de promesses non financées quand je suis arrivé au ministère», plaisante-t-il, faisant référence au Schéma national des infrastructures de transports (SNIT) conçu par le précédent gouvernement.
Devant la mairie, les colistiers de Brigitte Fouré avaient préparé leur plan de comm'.
Scène typique de campagne électorale, semble-t-il, puisque ni le service de sécurité du ministre ni la police locale ne s'émeut de cette foule hostile qui attend le ministre. «Ce sont des élus, ce ne sont pas des extrémistes», résume un membre du renseignement intérieur.
Si ces élus UDI-UMP se sont réunis pour accueillir le ministre, c'est qu'ils ont fait de l'opposition au tramway l'argument le plus médiatique de leur campagne électorale. Et qu'ils savent que le ministre, en se déplaçant à Amiens, marche sur des œufs. À partir de quel moment un ministre du gouvernement franchit-il la ligne qui sépare les missions de sa fonction et le coup de pouce aux candidats de sa sensibilité? «Un déplacement électoraliste», dénonce-t-on, du côté des candidats de la liste Rassemblés pour agir.
Depuis le mois de janvier, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a fermement appelé ses ministres à respecter quelques règles pour ne pas interférer dans la campagne électorale ou, du moins, pour que l'argent de l'État ne soit pas dépensé pour soutenir des candidatures. Ainsi, il rappelle dans une circulaire que, six mois avant un scrutin, les documents publicitaires sont interdits, ainsi que toutes «manifestations publiques dont l'objet est clairement promotionnel (par exemple la pratique de cérémonies d'inauguration multiples ou différées)», précise la note.
Et ces interdits se durcissent encore trois semaines avant un scrutin avec la période de réserve préélectorale. Ainsi, à partir du 3 mars, date butoir de dépôt des listes, impossible à un ministre de prévoir un déplacement officiel, sauf urgence, sinistre ou «fait divers d'une particulière gravité».
Les dossiers ferroviaires sur le feu
Jeudi dernier à Amiens, Frédéric Cuvillier se livre donc à un véritable numéro de funambule. Car sa visite va s’intéresser à plusieurs dossiers de la Ville et de la Métropole, sous l'oreille attentive des élus locaux. Tout d'abord, loin des controverses, le ministre évoque la situation de la ligne SNCF Amiens-Paris, avec ses trains Corail des années 70 et ses locomotives vétustes et sujettes à des pannes multiples, source de nombreux retards et annulations de trains sur la ligne.
Frédéric Cuvillier vient donc «réassurer de l'engagement de l'État à remplacer le matériel roulant» et s'assurer du bon déroulement des travaux de cette ligne sur sa portion longacoissienne. Il rappelle aussi que le barreau TGV Creil-Roissy devrait permettre, à l'horizon 2020, de faire venir les TGV depuis la région parisienne. «Amiens est une capitale régionale au cœur d'une logique Paris-Londres-Bruxelles» pour le ministre, et celui-ci vient assurer que son ministère en a conscience.
Il rappelle aussi son attachement à l'électrification de la ligne Amiens-Boulogne-sur-mer, la ville du Pas-de-Calais dont il est maire. Et il en profite pour assurer son soutien à Colette Finet, la maire PCF de Longueau, pour le développement du fret ferroviaire dans l'amiénois.
Des mises au point qui rassurent probablement les élus locaux présents à la mairie d'Amiens, jeudi après-midi. Mais, concrètement, aucun nouvel élément dans ces dossiers.
L'annonce principale, en ce qui concerne Amiens, a été le «soutien» du ministre au projet de tramway amiénois. «Votre projet fait partie des priorités car il a du sens» a répété le ministre, évoquant «l'intelligence des dossiers» et «le sens de la bonne gestion» des conventions de groupement de commandes signées ou à venir avec le syndicat des transport de Caen (voir notre article). Il a aussi souligné la pertinence, à ses yeux, du tracé envisagé.
«L'État financera. Il le fera en fonction du nombre de candidatures», a tranché le ministre, pour faire taire les opposants au tram qui laissent entendre que le report de l'éco-taxe rend impossible le financement promis des projets de transports en commun. De la même façon qu'il avait assuré, en décembre dernier, que l'enveloppe de 450 millions d'euros prévue pour répondre à cet appel à projets serait «sanctuarisée». Même si son attribution, prévue initialement en décembre 2013, serait reportée après les élections municipales. La question qui reste en suspens est: à quelle hauteur l'État financera-t-il le projet?
En effet, selon les critères de l'appel à projet, la ville d'Amiens pouvait espérer 44 millions d'euros d'aide. Soit 20% du total du projet auxquels s'ajouterait une prime de 10% de ces quarante millions pour le désenclavement de quartiers de «politique de la ville». Mais près de 70 dossiers ont été déposés, dont une quinzaine de dossiers concernant des lignes de tramway, ce qui correspondrait à un montant de 6 milliards d'euros de projets à financer.
Bien entendu, dans ces 70 prétendants, il y a des dossiers plus légers, comme des aménagements routiers ou des systèmes de vélo en libre service. Mais aujourd'hui, on ne sait pas si le ministère, qui a examiné les dossiers, décidera d'un saupoudrage ou d'un financement massif des projets qui répondent aux critères.
Qu'en est-il de ce financement? Là non plus, la visite du ministre n'apportera aucune information décisive. «Je ne peux pas vous annoncer de chiffre, plaisantait Frédéric Cuvillier, cela serait susceptible de rentrer dans un compte de campagne». C'est bien le problème. Le ministre est venu pour signaler qu'il «suivait les dossiers» mais aucune annonce n'a été faite et aucun chèque n'a été signé ce jour-là. Mais la parole est d'argent, paraît-il.