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Un élevage de 300 000 poules en projet dans la Somme

Le 30 May 2013

«Il n'y a encore rien de fait, explique le maire de Doullens, Christian Vlaeminck. Il cherche un terrain dans le Doullenais, il a présenté son projet à la commission économique de la communauté de communes. Mais il n'a pas encore déposé de demande à la mairie. Nous sommes encore loin des décisions».

Lui, c'est Pascal Lemaire, agriculteur et patron de l'entreprise de conditionnement d’œufs, Œuf nord europe (One). Il veut investir 8 millions d'euros dans un élevage de poules pondeuses, en association avec un négociant en céréales, Frédéric Carré.

Le projet a été présenté jeudi dernier devant la commission économique de la communauté de communes du Doullenais. «Les réponses apportées par le porteur de projet ont semblé rassurer les personnes présentes, notamment en terme de nuisances. C'était plutôt courtois comme réunion», raconte prudemment le maire.

Beaucoup de démarches restent à entreprendre pour ce projet que Pascal Lemaire voudrait voir sortir de terre en février-mars de l'année prochaine. Pour cela l'entrepreneur devra trouver un terrain et en passer par une enquête publique, comme ce fut le cas pour le projet des 1000 vaches à Abbeville.

300 000 poules pour approvisionner l'agroalimentaire

C'est à Doullens, où son entreprise conditionne déjà des œufs de poules que Pascal Lemaire voudrait implanter son projet. Les seules contraintes sont d'ordre technique: «Il faut être situé sur une route hors-gel, pouvoir consommer plus de 400 kilowatt-heure et 80 000 litres d'eau par jour», explique l'entrepreneur.

Ses 300 000 poules produiraient chaque année des millions d’œufs, qui ne seraient pas commercialisés tels quels en grande surface, mais vendus à l'industrie agroalimentaire sous forme d'ovoproduits (bidons de blancs d’œufs, de jaunes d’œufs...).


Pascal Lemaire en 2011

Pascal Lemaire aurait déjà trouvé son client. Dans le rapport intitulé «Poules au sol», qu'il a transmis au Télescope, l'entrepreneur assure que la société italienne Eurovo, filiale de Lactalis, dont la casserie la plus proche est située à Béthune (62), serait prête à acheter ses œufs pendant trois ans.

Selon les professionnels du secteur, ce projet serait le plus gros élevage de poules pondeuses au sol au nord de Paris. 

Le pari des poules pondeuses au sol

Le projet de Pascal Lemaire serait composé de trois bâtiments pouvant accueillir 100 000 poules chacun. «Vous allez me demander, pourquoi faire aussi gros? C'est une question de rentabilité. Pour concurrencer l’œuf industriel, il faut atteindre le même coût de production», explique Pascal Lemaire.

L’œuf industriel dont parle l'entrepreneur, c'est l’œuf marqué du code 3 dans nos magasins, pondu par des poules élevées en cages. Les poules en cages, c'est le mode d'élevage prédominant en France. En 2011, 73% des poules pondeuses étaient élevées en cages (code 3), 16% en Plein-air (code 1) et 6% en Bio (code 0).

 


Elevage de poules pondeuses Bio de Pascal Lemaire, 2011

Entre l'élevage en cage et l'élevage Plein-air, il existe un «intermédiaire» encore très marginal: c'est l'élevage dit «au sol» qui correspond au code 2. Seulement 5% des poules en France sont des poules pondeuses «au sol» (code 2).

Poules en liberté confinée

En Allemagne, les poules pondeuses élevées «au sol» représentaient 45% du marché en 2009, et 41% aux Pays-Bas. Le pari de Pascal Lemaire, c'est que la France suive le même chemin que ces deux pays. «La France est encore très réservée sur ce type d'élevage. Nous espérons que cet œuf va prendre des parts de marché à l’œuf industriel, comme cela s'est passé en Allemagne et en Belgique».

Dans le système des poules au sol, les volatiles ne sont pas enfermés dans des cages, mais ils sont en liberté...dans un hangar, à raison 1100 cm² par poule, soit deux feuilles A4. Ce hangar peut être composé de deux étages, et chaque étage de volières pour limiter la surface du bâtiment.

En volière, la surveillance des animaux est primordiale. «Une poule en liberté, c'est plus difficile à suivre qu'une poule en cage», explique Pascal Lemaire. Prendre soin de 300 000 poules, cela devient une entreprise colossale et couteuse. Les poules au sol consomment 5% d'alimentation en plus que celles élevées en cages «Elles sautent plus, elles bougent plus».

Le problème, c'est que les consommateurs français n'acceptent pas de payer plus cher les œufs de code 2 (au sol) que les œufs de code 3 (en cages). Ils ne font pas la différence.

Produire au même prix que l’œuf industriel

Cela ne décourage pas Pascal Lemaire qui possède déjà 14 bâtiments d'élevage Bio (42 000 poules au total) et deux en Plein-air (20 000).

«L'investissement sera le même qu'en œufs industriels, prévoit Pascal Lemaire. Et je vendrai mes œufs au même prix que les œufs industriels». Pour faire aussi peu cher que les poules en cage, il faudra faire des économies: main d’œuvre, ventilation, lumière...


Elevage de poules pondeuses en cages, à Montdidier (80)

Quid du bien-être des poules? «C'est un système soutenu par L214 et WWF», assure Pascal Lemaire. Faux, répond le service communication de la WWF. Faux, assure également Martial Mouqueron, délégué département de l'association de protection animale L214. «Même s'il n'y a pas de cage, c'est de l'intensif. Les poules ne voient jamais le jour. Pour nous, il faut se passer complètement des œufs. Mais comme tout le monde n'est pas prêt à le faire, le moindre mal, c'est le Bio ou le Plein-air. Mais pas les poules au sol.»

L'association s'est distinguée récemment en convaincant Monoprix, après deux ans de négociation et de manifestations, de retirer les œufs industriels commercialisés sous sa propre marque. «Ils tenaient un discours très porté sur l'éthique, nous leur avons demandé d'être cohérents.» Et l'association ne compte pas s'arrêter là. «Ils ne vendent presque plus d’œufs en cage, mais ils pourraient arrêter complètement».


Martial Mouqueron, à Amiens

«Je ne chercherai pas le bras de fer. Je ne suis pas là pour emmerder le monde», explique Pascal Lemaire. Si le projet de 300 000 poules voit le jour, d'autres pourraient suivre. L'entrepreneur souhaite vérifier la faisabilité technique du projet avec un premier investissement de 300 000 poules, avant de lancer d'autres investissements de même taille.

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré Pascal Lemaire la semaine dernière, dans les locaux de son entreprise, Oeufs nord europe (ONE). Je l'avais déjà rencontré en 2011 pour le journal agricole Horizons Nord Pas de Calais. Les photos sont tirées de cette rencontre.