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Turfistes du dimanche et parieurs professionnels

Le 08 March 2013
Reportage commentaires
Par Rémi Sanchez A lire aussi

13h15, juste avant le lancement de la première course, on pouvait croiser Mireille, Christian et Anthony à la tribune. Le couple, qui habite Contay, vient quatre à cinq fois par an, selon que les courses sont régionales ou, comme aujourd'hui, nationales.

«Je joue aux courses depuis que j'ai 18-20 ans! Aujourd'hui j'en ai 63, vous imaginez!» Mais son épouse veille: «C'est un petit joueur.»

Du coup, même quand il gagne, ce n'est jamais suffisant pour payer un resto ou autre chose. Christian trouve que dans le temps «ça gagnait mieux. Aujourd'hui on a l'impression que ça rapporte moins.»

Si Monique n'est pas une habituée des paris, elle se laisse prendre au jeu sur l'hippodrome.

Ils ont découvert les courses à l'hippodrome du Petit Saint-Jean grâce à des amis qui les y ont amenés. Sinon, Christian aurait pu continuer à suivre les courses depuis le PMU. Mais ni lui, ni Mireille ne regrettent: «Ici il y a le spectacle, l'ambiance. On peut aller voir les chevaux, Je trouve que le cheval est un animal noble.»

Justement, Mireille et Christian en profitent souvent pour aller voir les animaux dans les écuries. Mais pour cette fois ils n'ont pas encore eu l'occasion d'y aller. Leur petit-fils Anthony, en vacances chez eux, foule pour la première fois un hippodrome, alors ils vont profiter à fond des courses.

Parier les casaques préférées

Tous trois sont allés déposer des paris au guichet. Trois paris différents, sans s'influencer. Les trois ont chacun une méthode différente: Mireille a choisi les favoris, la voix de la sagesse. Christian a parié sur trois favoris et un outsider qui pourrait faire un bon résultat. «Parfois cela fonctionne» mais c'est plus risqué.

Enfin Anthony a choisi ses favoris sur la couleur de leur casaque. Pas commun, mais pourquoi pas ? «Si jamais il a eu raison, il touchera le pactole», l'encourage sa grand-mère.

À 14h00, c'est l'arrivée du prix de la ville d'Amiens, pour lequel Alain Jauny, adjoint au sport de la métropole, remettra le prix au vainqueur, accompagné de l'ancien footballeur Emmanuel Petit. Le maire Gilles Demailly, présent le midi, ne pouvait pas rester.

Alors que les juges travaillent pour confirmer l'ordre d'arrivée (14-2-5-8-4, si vous vous demandiez), Odette examine le récapitulatif des partants de la journée.

Avec son mari, elle vient de Belgique pour voir courir sa jument Viva Visais, qui portera le numéro 6 dans la cinquième course. Souvent, le week-end, ce couple parcourt la France et la Belgique avec leur animal et Gérard Vergaerde, son jockey. La semaine dernière ils étaient à Ghlin et à Mons pour d'autres courses de trotteurs.

Mais, pour la première fois, sa jument courra sous les couleurs du PMU.

Pour Odette et son époux, c'est le résultat de Viva Visais qui importe !

«On est très fiers, c'est une course importante! Elle a déjà eu quelques bons résultats et on espère qu'elle sera bien placée cette fois-ci. Elle est toujours un peu difficile au démarrage, mais son driver est très bon et on lui fait confiance!» L'espoir d'Odette ? Que Viva finisse dans les trois premiers.

Parier sur sa propre jument

Pour Odette, les courses c'est une «passion», héréditaire: ses parents et ses grands-parents possédaient des trotteurs.

Elle parie aussi, cela fait partie du plaisir de venir à l'hippodrome. Elle fait même des infidélités à Viva Visais : elle joue sur d'autres chevaux mais dans d'autres courses.

Venir à l'hippodrome c'est aussi pouvoir discuter avec les parieurs, qui viennent voir la jument dans son box pour demander de ses nouvelles. «On leur a répondu qu'elle est en forme, mais ses concurrents aussi peuvent être en forme et avoir de bons résultats, on ne sait jamais comment une course va se dérouler.» La propriétaire sait qu'il y a une part importante de chance, sur le champ.

Pendant ce temps, les résultats du prix de la ville d'Amiens ont été confirmés et le jockey Thierry Duvaldestin est monté sur le podium pour recevoir la récompense gagnée avec l'aide de Swedishman.

C'est Emmanuel Petit en personne qui remet le trophée, des stars du football étant dépêchées pour promouvoir les courses du Grand national du trot.

À l'intérieur du hall, les parieurs font déjà la queue aux guichets pour la course suivante.

Tous les jours le même couplé

Vers 15h00, entre la troisième et la quatrième course, Dominique évalue ses chances avec son père et ses frères. Dominique est un vrai joueur. Il parie souvent, voire tous les jours, mais plutôt sur internet. «C'est pour le côté plus confort de jouer de chez soi! Et comme j'ai Equidia, je peux avoir les derniers tuyaux.»

Pour Dominique, c'est un couplé quotidien, et un peu plus lorsqu'il va au PMU ou à l'hippodrome. «C'est mon loisir, ma passion, j'ai toujours aimé.» Ne lui parlez pas de jeux de hasard: le Saleusien n'aime pas. «Les courses, ce n'est pas un jeu de hasard! On étudie les chevaux, leurs résultats, on y passe du temps». Et le résultat recherché: c'est le gain. «Évidemment, je joue plutôt pour gagner, comme tout le monde. Même si je ne joue que rarement des grosses sommes».

Dominique fréquente l'hippodrome du Petit Saint-Jean cinq à six fois l'an. Surtout lorsqu'il y a des courses nationales, puisqu'en téléspectateur assidu, il connaît mieux les chevaux qui concourent pour celles-ci que ceux qui pratiquent en régionales.

Comme Dominique, on peut être parieur averti et parier en famille.

Cette fois, il est venu aussi grâce à une entrée gratuite distribuée par le PMU qu'il fréquente de temps en temps. Plutôt un prétexte: l'entrée à l'hippodrome coûte 4 euros à plein tarif. Mais pour les gérants de l'hippodrome, cette opération n'est pas anodine: s'ils touchent une partie des paris joués sur leur site, rien ne leur revient en cas de paris sur le net ou depuis un PMU.

Dominique, ses frères et son père s'arrêtent sur quatre chevaux: chacun en choisit un et ils vont les jouer, sur le même ticket, non placés. Une technique de pari conviviale. «Je viens aussi pour être la famille, seul je ne viendrais pas!» Dominique griffonne les numéros des chevaux joués par ses frangins et son père sur une page froissée de Bilto, et part valider le billet commun.

Pendant ce temps, sous les tribunes, Emmanuel Petit se détend. Il joue une partie de baby-foot, devant le regard des plus jeunes ou des moins intéressés par les chevaux. Pendant plusieurs heures il a signé des autographes, en attendant le Prix Emmanuel Petit, la cinquième course de la journée.

Un moment à immortaliser : petit "baby" pour la star du siècle dernier.

À quelques mètres de son stand, les joueurs de la Licorne se livraient aussi à la dédicace, toutefois moins sollicités que le champion du monde 98.

«On ne vient pas pour l'ambiance !»

Devant l'entrée du restaurant de l'hippodrome, en haut des tribunes, vue plongeante sur le champ: c'est là qu'on retrouve Jérôme et Julien, juste avant 16h. Eux, ils n'ont pas fait les 80 kilomètres qui séparent Amiens de Neuchâtel-en-Bray pour serrer la louche à des footballeurs. «Nous, on ne vient pas pour voir les gens ou pour l'ambiance, on vient pour voir les chevaux!». Et pas n'importe quelles courses : «Le plat je n'aime pas, je n'aime que le trot», explique Jérôme. Son comparse opine.

L'hippodrome, ils y vont tous les quinze jours, environ. Toujours à deux, et sans les femmes. «On ne les prend pas avec nous, elles portent la poisse!», plaisante Jérôme. «Parfois elles jouent, mais elles veulent toujours connaître nos jeux à nous. On ne veut pas leur dire, on veut qu'elles se débrouillent un peu».

Julien et Jérôme: c'est pour les chevaux, et rien d'autre, qu'ils viennent.

Armé de leur journal "Le Turf" qu'ils épluchent, ils discutent des chevaux qu'ils ont déjà vu courir, et s'ils ne les connaissent pas encore, ils jaugent les élevages dont proviennent les bêtes pour se faire une idée. Clairement pas un jeu de hasard, pour eux non plus. «Le plus gros que j'aie misé? Deux cents euros! Heureusement ça a payé mais je m'en doutais, sinon je n'aurais pas misé autant».

Ils ne joueront pas à toutes les courses mais, pour aujourd'hui, ils ont déjà eu de la chance avec la première course : ils avaient facilement deviné que Swedishman remporterait le prix.

Parier sur la famille de ses juments

Un peu plus loin, on rencontre François. Lui aussi est prêt à faire pas mal de kilomètres pour voir courir les chevaux. Paris, Rouen, Vincennes, Enghien... «On n'irait pas jusqu'à Cagnes-sur-mer, mais celles à proximité, on essaie de pas les rater.»

François profite des courses pour surveiller les étalons les plus prometteurs.

François est venu avec ses parents. Ils possèdent un élevage, tout jeune, à Puchevillers, près de Doullens. Du coup, lui et ses parents sont aussi venus pour le travail. «On n'a pas de chevaux qui courent mais on peut prendre des contacts avec des entraîneurs.» Parfois ils en profitent pour observer les étalons reproducteurs qu'ils connaissent, contacter les propriétaires des plus prometteurs et suivre les performances de la famille de leurs juments.

«Je joue quand je connais les chevaux» Du coup, François joue plutôt sur les grosses courses, celles qui sont plus médiatisées: nationales, groupe 1, groupe 2. Il suit, tous les jours, les courses à la télévision et parie aussi sur les hippodromes.

Aujourd'hui, arrivé à la sixième course, le Prix de l'Union nationale des amateurs du trot, il préfère s'arrêter de parier. Il est «à l'équilibre». En jetant un coup d'œil aux résultats, on voit que Viva Visais, la jument d'Odette, n'a pas réussi à percer.

Première fois pour les habitués du PMU

Mais cette sixième course, elle aura porté chance à Kamel et ses amis Ludo et Rudy. Pour Kamel et Rudy, c'était la première fois sur un hippodrome. Les trois se connaissent du PMU, qu'ils fréquentent assidûment. Ils sont venus tous ensemble: eux aussi ont gagné des invitations à l'hippodrome dans leur PMU habituel.

Ils sont également venus sur les conseils de Ludo, turfiste depuis quinze ans. Il fréquente aussi bien les bars que l'hippodrome du petit Saint-Jean. «C'est une passion qui se transmet, avant je venais avec mes parents.» Comme c'est le plus aguerri de la bande, il dispense des conseils. «Y'a pas de secret, pour gagner il faut suivre les courses! Il y a toujours une logique, même infime dans les résultats. Le deuxième conseil, c'est qu'il ne faut pas s'attendre à devenir riche en jouant 1€50.»

«Les courses, ça peut être pire que la drogue» mais Kamel garde le contrôle.

Pour les trois amis, gagner c'est vraiment la motivation. Une émotion qui les effraie. «Je connais quelqu'un qui a gagné 19 000 euros. Il avait des projets de vacances, tout ça... Finalement il a tout reperdu en trois semaines. Ça peut être plus fort que la drogue, les courses», met en garde Kamel.

Il sait aussi, d'expérience, que ça peut être un sujet de discorde dans le couple. Mais il garde le sourire. Il semble qu'une «bonne étoile» l'a accompagné aujourd'hui. Ou bien ce seront les tuyaux qu'il a eu de la part des propriétaires et des drivers. Toujours est-il qu'à la fin de cette sixième course il repart avec un solde positif. C'est aussi le secret: savoir s'arrêter.

Dans l'œil du Télescope

Toutes les personnes qui s'expriment ont été rencontrées mercredi 6 mars, entre 12h et 17h.