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Sévère dissonance dans les rythmes scolaires

Le 02 October 2013
Enquête commentaires
Par Fabien Dorémus

Un mois après la rentrée, la réforme des rythmes scolaires est loin de faire l'unanimité. Pas sur le fond, mais sur la forme. Sur le fond, un consensus entre le ministère, les enseignants et les parents d'élèves s'était dégagé pour en finir avec la semaine des quatre jours, imposée depuis 2008 par le précédent gouvernement. Cette semaine de quatre jours, mise en place pour réaliser des économies, était accusée de fatiguer les enfants, nuisant ainsi à la qualité de leurs apprentissages.

C'est la raison pour laquelle le ministère de l'Éducation nationale a lancé, l'an dernier, la réforme dite des rythmes scolaires. Au programme: une semaine de cours étalée sur neuf demi-journées au lieu de huit. C'est-à-dire que les enfants iront désormais à l'école le mercredi matin (ou le samedi matin, selon la décision des communes) mais que les autres jours de la semaine seront moins chargés. «C'est une réforme avant tout pédagogique, aime à rappeler le recteur de l'académie d'Amiens, Bernard Beignier. Le but profond de la réforme, c'est d'améliorer les résultats scolaires.»

Seulement, voilà. Si seules 18% des écoles picardes ont modifié leur organisation de la semaine de cours en 2013, des difficultés apparaissent déjà. Dans la métropole amiénoise, deux communes, Boves et Dury, ont franchi le pas. Deux communes seulement, mais des situations bien différentes qui laissent imaginer le nombre de situations particulières que la réforme engendrera à la rentrée prochaine, quand toutes les communes devront l'appliquer.

Le problème des activités périscolaires

À Dury, ça se passe bien. «Très bien», même, assure Pascal Ourdouillé, le président départemental de la FCPE (parents d'élèves). Il indique surtout n'avoir eu aucune remontée d'information affirmant le contraire. Du côté du Snuipp-FSU, syndicat majoritaire chez les profs des écoles, on regrette que les activités périscolaires mises en place par Dury soient payantes.

Les activités périscolaires, voilà invariablement la pomme de la discorde. Il faut rappeler que la réforme des rythmes à l'école induit la création de temps d'activités périscolaires (TAP). Ce sont des périodes propices à l'initiation aux arts, à la pratique du sport, à l'aide au devoirs, etc. Si l'instauration de ces TAP est obligatoire, elle est à la charge des communes qui doivent s'arranger pour proposer des activités grâce au tissu associatif local. Ces TAP doivent-ils être gratuits? À quelle période de la journée faut-il les placer? Le ministère ne dit rien. Et c'est bien le problème.

Jusqu'à 30 euros par mois

Dans la commune de Dury, les activités ont lieu chaque jour de 16h à 17h. «Nous avons fait des réunions avec les parents et nous avons rapidement considéré que c'était la solution la plus simple», indique Benoît Mercuzot, le maire UMP. Placer les TAP le midi a été exclu rapidement, «puisque ça ne permettait pas de réduire l'ampleur de la journée», le but de la réforme. Là, à Dury, les enfants qui ne souhaitent pas prendre part aux activités périscolaires peuvent rentrer chez eux dès 16h.

Mieux vaudrait d'ailleurs dire «les enfants qui ne souhaitent pas ou qui ne peuvent pas» prendre part aux activités. Car à Dury, les TAP sont payants. Entre 1,20 euro et 1,80 euro par heure et par élève, en fonction du quotient familial. Sur un mois, la dépense est vite calculée: entre 20 et 30 euros par enfant à la charge des familles.

Deux situations totalement différentes

Un choix assumé par la municipalité: «Nous avons adopté ce principe, qui est contestable, mais il fallait faire un choix, explique Benoît Mercuzot. Sinon il aurait fallu en passer par une augmentation d'impôts pour tout le monde. Et puis, nous avons jugé que c'était une manière de responsabiliser les gens.» Sur 120 écoliers duriens, environ 70 participent aux temps d'activités périscolaires (musique, sport, étude surveillée, arts plastiques, etc.).

Pour offrir ces activités, le tissu associatif communal ne suffisait pas, il a fallu prospecter plus loin. C'est notamment l'une des raisons qui ont poussé Dury à passer aux nouveaux rythmes dès 2013: «On craignait que, l'an prochain lorsque toutes les communes seraient en recherche d'associations, ce soit plus difficile pour nous.» Premiers arrivés, premiers servis, en quelque sorte. Coût de l'opération pour la commune ? Avec le paiement des parents et si la Caisse d'allocations familiales (Caf) participe, comme c'est envisagé, Dury ne devrait y consacrer que 7000 euros de son budget.

Affrontement entre le maire et les parents

Autre ville, autre situation. À dix kilomètres à l'est de Dury, la ville de Boves consacre un budget bien plus important aux nouveaux rythmes scolaires. Le maire parle d'une dépense communale de plus de 150 000 euros. Il faut dire que la situation n'a rien à voir avec l'exemple précédent.

À Boves, déjà, les activités sont gratuites. Elles peuvent donc concerner tous les élèves, de la maternelle au CM2, soit 335 personnes. Ça, c'est le côté positif. Pour le reste, c'est plus compliqué. Et l'on en est arrivé à un point de blocage entre les parents d'élèves et les enseignants, d'un côté, et la mairie, de l'autre.

Tout a commencé en mars 2013. Le conseil d'école de Boves a voté très largement (unanimité moins une voix) pour le report de la réforme en 2014. Ce conseil est composé des enseignants de l'école, du maire, du conseiller municipal en charge des affaires scolaires et des représentants élus des parents d'élèves. Il a en outre voté aussi largement en faveur de la mise en place des TAP l'après-midi, comme à Dury.

Mais ce conseil d'école n'est pas décisionnaire, c'est le maire qui a le dernier mot. Et pour lui, les TAP devaient se dérouler le midi, entre 11h45 et 14h15. La seule manière, selon lui, de garder ces activités gratuites.

Deux services alternés pour la cantine

Mais ce choix est aussi opéré pour d'autres raisons, qui sont liées à la cantine scolaire de la commune. À Boves, la cantine ne peut accueillir que 150 élèves maximum. Ce n'est pas assez pour les 335 élèves de l'école, même si tous n'y mangent pas. Pas assez de place à la cantine. Alors comment faire ? Jusqu'à l'an dernier, une solution avait été trouvée: «Les enfants de l'école maternelle commençaient par manger, tous, dès 11h45. Les élèves de primaire, quant à eux, allaient à la cantine alternativement», raconte le maire Daniel Parisot. Quatre groupes d'élèves de primaire se relayaient ainsi pour s'alimenter jusqu'à la reprise des enseignements à 13h30.

«Ce n'était pas satisfaisant, explique Daniel Parisot. Et bien avant que l'on parle de rythmes scolaires, nous avions décidé de changer tout ça.» L'idée ? Ne constituer que deux groupes. Ainsi la moitié des élèves de maternelle et la moitié des élèves de primaire commenceraient à manger ; ensuite ce serait au tour de l'autre groupe. Une solution qui permettait en outre de n'avoir pas à s'occuper en même temps de tous les élèves de maternelle, qui demandent davantage d'attention lors du repas.

Les parents d'élèves s'organisent

Voilà donc l'organisation qu'a mise en place le maire: quand un groupe mange, l'autre profite du temps d'activités périscolaires. Une organisation qui nécessite de prolonger la pause méridienne jusqu'à 14h15, au lieu de 13h30 l'an passé.

Mais une organisation qui n'est pas du tout du goût des parents d'élèves. Sylvain Pioli fait partie de ceux-là. Représentant élu des parents d'élèves, membre de la FCPE, il est aussi l'ancien directeur périscolaire de la commune de Moreuil (Somme): «C'est mon métier, je connais la partie», sourit-il.

Sylvain Pioli explique que les élèves de Boves sont très fatigués par l'organisation actuelle des TAP. Pour plusieurs raisons. D'abord, les enfants sortent de l'école à 16h30, ce qui ne raccourcit par leur journée: «Avec des activités périscolaires l'après-midi, certains pourraient rentrer chez eux puisqu'elles ne sont pas obligatoires». Ensuite, il se pose la question de l'intérêt pédagogique de certaines activités proposées: «On a parlé d'activité coiffure, bataille d'eau, ou vernis à ongle, etc. Ce n'est pas adapté.» Mais surtout, l'organisation du midi en deux groupes implique qu'une partie des enfants ne peut pas manger avant 13h15. L'attente est trop longue pour certains enfants. «Et on leur propose parfois du sport avant de manger, ça ne va pas.»

L'après-midi ? Ce sera payant

Plus de 250 parents d'élèves de Boves ont signé un texte demandant au maire de déplacer le temps périscolaire à 15h45. «Ceci permettrait au moins en compensation du réveil du mercredi de nos enfants de gérer leur fatigue en écourtant quand cela sera nécessaire leur journée», indique le texte.

Suite à cela, une réunion sur le sujet a eu lieu mercredi dernier à Boves. Très remontés, les parents d'élèves ont réaffirmés le besoin de modifier l'organisation en place. En retour, le maire a expliqué que s'il déplaçait les TAP l'après-midi, les parents devraient mettre la main à la poche, à hauteur de deux euros par jour.

«Je ne suis pas opposé à changer mais chacun doit prendre ses responsabilités.» Daniel Parisot indique qu'il a recruté dix personnes pour le temps du midi (dont six sont titulaires du Bafa), et que la ville met parallèlement à contribution sept employés permanents. «Si je déplace les activités l'après-midi, la masse salariale augmentera de 65% car il y aura toujours deux services le midi à la cantine.»

De leur côté, les parents d'élèves comptent organiser un référendum sur la question dans la commune. Ils espèrent trouver une solution pour garder gratuites les activités tout en les déplaçant en fin de journée.

À Boves, chacune des parties accuse l'autre d'être arc-boutée sur ses positions. Il n'y a, pour l'heure, pas de solution en vue. Pour Maryse Lecat, du Snuipp-FSU, il faudrait littéralement réécrire le décret instaurant ces nouveaux rythmes scolaires. «Parce que là, toute la responsabilité est donnée au maire. La réforme s'est faite sans l'avis des enseignants ni des parents.» Pour le moment, aucune réécriture du décret n'est prévue.

Dans l'œil du Télescope

Je me suis rendu à Boves lundi matin pour rencontrer le maire. Les autres témoignages sont issus d'interviews téléphoniques réalisées entre vendredi et mardi.