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Recherche : pour en finir avec les rats alcooliques

Le 30 January 2013

Début janvier, le professeur Naassila et son équipe de chercheurs basée à Amiens avaient déjà montré comment l'accoutumance à l'alcool chez les rats juvéniles favorisaient leur dépendance à l'âge adulte. Cette fois, le Grap (Groupement de recherche sur l'alcool et la pharmacodépendance) a réussi à détourner de l'alcool des rats alcoolodépendants. De façon assez spectaculaire.

Dans le cerveau des rongeurs, comme chez l'homme, certaines zones sont impliquées dans la gratification et la dépendance. Sur les neurones qui peuplent ces zones, apparaît souvent un récepteur appelé A2A: «On s'est rendus compte qu'en désactivant le gène du récepteur A2A chez certaines souris, elles consommaient bien plus d'alcool», explique Hakim Houchi, post-doctorant du Grap qui signe cette étude. En somme, activer le récepteur A2A nous aide à restreindre notre soif d'alcool.

Des scientifiques avaient déjà identifié une molécule, le CGS-21680, capable d'activer, de façon assez sélective, ce récepteur A2A. Les chercheurs amiénois lui ont trouvé un intérêt particulier. «L'originalité de cette étude, c'est que cette molécule CGS-21680 a été testée dans le cadre d'une addiction à l'alcool et sur des rats alcoolodépendants», explique Mickaël Naassila.

Pour l'université de Picardie Jules-Verne, Mickaël Naassila et Hakim Houchi ont testé la dépendance des rats à l'éthanol.

«On montre aussi que la molécule est plus efficace chez les rats dépendants que chez les rats sains.» 75% de réduction de la consommation chez des rats alcooliques, et 57% chez des rats qui ne présentent pas de dépendance à l'alcool. «Il y a sûrement, chez les animaux dépendants, des adaptations qui font que l'animal est plus sensible à la molécule

Des rats pas comme les autres

Grâce aux financements de l'Inserm et du conseil régional de Picardie, l'équipe du professeur Naassila élève précieusement des rats alcooliques. Pour ce faire, pendant sept à dix semaines de leur "adolescence", les rongeurs ont passé plusieurs heures par jour dans des armoires spéciales où est vaporisé de l'alcool. Par inhalation, les rats s'enivrent et développent, à terme, des modifications propres à une dépendance alcoolique.

Mais comment vérifier que les rats sont bien dépendants à l'alcool ? Hakim Houchi et Mickaël Naassila retiennent deux critères: «Tout d'abord ils ont une motivation excessive pour l'alcool : nos rats doivent effectuer un travail pour avoir une dose d'alcool. Nos rats dépendants sont prêts à travailler plus pour obtenir de l'alcool

Ainsi, ces rats sont prêts à pousser le levier un grand nombre de fois pour obtenir de l'alcool, là où des rats sains se lasseraient assez rapidement. «Ces animaux ont aussi une consommation compulsive. On peut rajouter un composé amer dans l'alcool, comme la quinine, que les rats n'aiment pas. Les rats dépendants continueront à boire cette solution. C'est ce qu'on appelle la compulsion, ils consomment en dépit des effets négatifs», explique le professeur Naassila.

Dans leur cage, les rats sont entraînés à presser un levier pour recevoir de l'alcool. ou de l'eau.

La prescription du CGS-21680 pourrait donc être une réponse à la consommation d'alcool excessive et compulsive. Son avantage, c'est d'avoir, au bon dosage, peu d'effets secondaires indésirables.

Mais ces effets ont dû être finement étudiés. Car d'autres récepteurs ressemblant au A2A peuvent être activés par le CGS-21680. Avec des effets qui peuvent être radicaux, puisque ces récepteurs sont plutôt présents sur les neurones qui traitent des opérations motrices. À dosage trop élevé, c'est la catalepsie qui guette les rongeurs.

Un médicament, un vaccin, un génotypage

Ces recherches, seront-elles utiles chez l'homme? D'après Hakim Houchi, les récepteurs existent à l'identique dans les mêmes zones du cerveau humain. Leur modulation pourrait donc bien être accessible à cette molécule CGS-21680 qui, par ailleurs, est connue pour ses effets contre Alzheimer ou Parkinson.

Une prochaine étape pourrait donc être de poursuivre des essais cliniques sur des humains. Mais les chercheurs n'en sont pas là. Prochainement, l'équipe du Grap va étudier, selon des protocoles assez similaires, l'action d'une autre molécule sur ces récepteurs A2A. «On va tester un anticorps spécifique de ce récepteur A2A, qui est doté de la même activité que la molécule CGS-21680. On le testera dans les mêmes conditions que le CGS, mais en l'injectant directement dans le cerveau», explique le chef de l'équipe.

Une autre piste: le vaccin contre l'alcool

Si les bons résultats obtenus dans cette première étude du Grap orientaient un éventuel traitement de l'alcoolodépendance sur une voie pharmaceutique, cette deuxième étude pourrait, au contraire, mener à une voie vaccinale. En effet, les anticorps sont des molécules produites par les cellules chargées de défendre un organisme. C'est la vaccination qui permet de faire produire ces anticorps aux cellules de l'immunité.

«Aujourd'hui dans la lutte contre l'addiction, la vaccinothérapie est en plein essor: des vaccins contre la cocaïne, contre la nicotine, pour empêcher les molécules d'arriver au cerveau», recense Mickaël Naassila. Mais pour l'instant, peu d'avancées dans la lutte contre l'alcoolisme: raison de plus pour mener ces recherches.

D'autant que l'anticorps leur est gracieusement fourni par un laboratoire marseillais qui travaille sur le même type de récepteurs neuronaux, mais dans un domaine assez différent pour que les équipes ne se marchent pas sur les pieds.

En attendant d'éventuelles recherches chez l'homme, les équipes du Grap doivent approfondir leurs connaissances sur le récepteur A2A. Certaines personnes présentent-elles des différences importantes dans l'expression du gène de A2A? Si c'est le cas, elles pourraient être plus sensibles ou, au contraire, plus résistantes face à la dépendance.

Une vraie piste à explorer pour améliorer le suivi, le sevrage ou la prévention chez les personnes abîmées par l'alcool.

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré le professeur Naassila et le docteur Houchi dans l'après-midi du 29 janvier.

L'article qu'ils ont dernièrement publié dans "Addiction Biology" s'intitule The adenosine A2A receptor agonist CGS 21680 decreases ethanol self-administration in both non-dependant and dependant animals.