Archives du journal 2012-2014

Qui s'intéresse au plan de déplacement urbain ?

Le 13 December 2013
Enquête commentaires
Par Rémi Sanchez

«On a souhaité présenter des messages clairs», explique Gilles Galland, chef du service déplacements à Amiens. Des objectifs simplifiés et pédagogiques, ce Plan de déplacement urbain (PDU) n'en manque pas. Les services de la préfecture, entre autres évaluateurs du document, ont salué la volonté pédagogique du service d'Amiens métropole, chapeauté par le vice-président aux transports Thierry Bonté.

Parmi les messages clairs, il y a celui-ci: qu'en 2020, un déplacement sur deux ne se fasse pas en voiture. Car une enquête réalisée en 2010 l'avait montré, la voiture est actuellement, et de loin, le mode majoritaire de déplacement des habitants de la métropole.

Il s'agirait donc de réduire, de 56% à 50%, la part de la voiture dans ces déplacements. L'autre axe affiché du PDU, c'est le «meilleur partage de l'espace public». Comprendre : que les voitures fassent de la place aux transports en commun, aux vélos et aux piétons.

Le PDU est un document décennal obligatoire pour toutes les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Il doit répondre, légalement, à onze critères dont la diminution générale du trafic automobile, le développement des modes alternatifs à la voiture, ou l'organisation des stationnements. Ensuite, libre à chaque ville de se fixer des objectifs précis et de concevoir les moyens de les atteindre.

Les questions que le PDU aborde sont multiples et cruciales. Elles concernent les transports en commun (extensions, coûts, services), les aménagements routiers (rocades, stationnements). de centre-ville, ou encore les aménagements cyclables, l'environnement, la qualité atmosphérique, etc. Pourtant, le PDU n'a pas galvanisé beaucoup d'élus métropolitains.

Les élus métropolitains peu mobilisés

Le 28 mars 2013, après plusieurs années de travail des services de la Métropole, un projet de PDU est soumis aux 92 élus. C'est un document de 151 pages, conclu par 37 fiches-action, censées assurer la programmation de la réalisation des objectifs et contenant les moyens d'une évaluation de leur efficacité. Les élus d'Amiens métropole sont invités à débattre et à voter ce projet de PDU.

Au Conseil métropolitain du 28 mars, le projet a été voté à une écrasante majorité. Seuls six élus ont pris la parole pour discuter le PDU. La plupart sont amiénois, à l'exception de Benoît Mercuzot, maire de Dury et de Jean-Pierre Hadoux, conseiller municipal de Camon.

Leurs interventions? Souvent en rapport avec l'automobile. Pourquoi autant de restrictions pour la voiture? Se demandent aussi bien Bernard Némitz, conseiller municipal d'opposition amiénoise, que Jean-Pierre Hadoux, l'élu camonais. Mais aussi sur le stationnement. Ainsi Cédric Maisse, communiste dissident d'Amiens, expliquait que le stationnement résidentiel payant était trop précoce, tant que l'offre de transports en commun n'était pas mieux développée.

Benoît Mercuzot évoquait des pistes d'amélioration du Vélam et de l'information aux usagers d'Amétis, ou exprimait «des craintes sur l'accès des personnes de l'extérieur qui ont besoin de se rendre en centre-ville», argumentant que le projet de tramway était trop Amiénois pour avoir un intérêt pour les pendulaires qui arrivent de la rocade.

Du côté des élus écologistes d'Amiens, Jean-Pierre Tétu demandait une extension du stationnement résidentiel payant ainsi que la mise en action concrète d'un «code de la rue», évoqué dans le projet de PDU, pour pacifier la circulation en ville. François Cosserat, communiste amiénois délégué au développement durable, intervenait pour défendre la place du rail (Relire notre article sur l'étoile ferroviaire). Il militait aussi pour que les citoyens s'emparent du projet.

Six élus se sont exprimés, sur un total de 92. Deux votes contre, trois abstentions.

La préfecture s'en empare

Le projet étant voté ce 28 mars dernier, il est rendu public. C'est alors qu'il subit ses premières critiques. La Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM, un service de la préfecture de la Somme) remarque ainsi que «sur certaines thématiques, [le PDU] demeure encore trop général et pas assez prescriptif». La préfecture estime qu'il manque des mesures pour contraindre l'usage de la voiture et que la question du renforcement des transports en commun dans les villages oubliés de la métropole reste en suspens, comme les relations de l'agglomération avec sa périphérie. Bref, une critique précise et circonstanciée menée par les techniciens de la préfecture.

La critique a surpris le service déplacements d'Amiens métropole. «Nous ne voulions pas que le PDU ne soit qu'un florilège de bonnes intentions, explique Gilles Galland. On a souhaité écrire des choses qu'on pouvait programmer et dont on savait qu'elles se réaliseraient. Par exemple, on n'en est qu'aux études de faisabilité du tramway. Ce ne serait pas réaliste de faire des annonces. C'est pour cela qu'on renvoie à des études à venir». Au final, le service déplacement a pu dialoguer avec la préfecture et en intégrer les remarques.

«Nous ne voulions pas que le PDU ne soit qu'un florilège de bonnes intentions» affirme le chef du service déplacement de la métropole.

Les habitants d'Amiens métropole ont également pu participer à l'élaboration du document. Il y a trois ans de cela, en décembre 2010. «Il y a eu une vingtaine de volontaires, résume Pierre Tachon, chargé de mission Déplacements à la Métropole. Il s'agissait de les interroger sur la façon dont ils se déplacent, de les faire débattre sur leur vision du déplacement. Ils ont réfléchi aux idées applicables et ont constitué un dossier qui a servi à alimenter le PDU».

D'après les techniciens du service, des rencontres ont également été menées avec les chambres consulaires (CCI, Chambre des métiers) et des associations pour éclairer la rédaction du PDU, tout en considérant les onze objectifs fixés par la loi. Pas simple!

La solitude du commissaire-enquêteur

Après la publication du projet, deux mois d'enquête publique auraient dû permettre aux habitants de la métropole de consulter et critiquer le projet. Auraient dû? Oui, parce que la mobilisation n'était pas au rendez-vous.

Le commissaire enquêteur, qui reçoit les doléances des habitants ou des associations, a tenu permanence dans les différentes mairies de la métropole pendant les deux mois d'été 2013. Il a reçu 16 avis citoyens, dont un de l'association écolo Alep 80, dont fait partie François Cosserat. «C'est toujours difficile de mobiliser les gens sur un document de planification alors que les questions de stationnement et de circulation passionnent les foules», déplore Gilles Galland.

Le service avait pourtant prévu une campagne de communication vidéo et un affichage particulier pour annoncer l'enquête publique. Le projet de PDU, lui, était également consultable en ligne, sur le site d'Amiens métropole. 450 consultations ont été enregistrées. Pour près de 180000 habitants métropolitains.

«Les gens ne voient pas forcément sur quoi ça débouche»

Trop complexe pour les simples citoyens? Cédric Maisse le sous-entend, lorsqu'il déclare «le projet est probablement bien fait, mais il apparaît comme un rendu universitaire». «En France, il nous manque cette culture de l'enquête publique. À part les gens opposés au projet, on n'a pas vu de mobilisation», estime Jean-Pierre Tétu. De son côté, Benoît Mercuzot, qui critiquait l'imprécision du projet, regrette aussi que les habitants se mobilisent aussi peu. «Cela a échappé à beaucoup d'habitants. C'est pareil pour des procédures lourdes, comme le SCOT [Schéma de cohérente territoriale, ndlr]. Les gens vivent au jour le jour, et ne voient pas forcément sur quoi ça débouche.»

Benoît Mercuzot est un des seuls élus non-Amiénois à être intervenu lors de la présentation du projet de PDU.

Pourtant, le document a une vraie portée organisatrice à l'échelle de la métropole. Et, en termes de décisions importantes, le projet de PDU ambitionne, dès sa huitième fiche-action, de «mettre en service une première ligne de tramway en 2018-2019».

Le tramway annoncé

La présence du tramway dans les pages du PDU pourrait créer le débat, jeudi prochain, dans une assemblée métropolitaine où les positions se crispent à l'approche des élections municipales. Mais une inscription au PDU vaut-elle une promesse de réalisation?

François Cosserat semble le penser. Élu de l'équipe Demailly, il rappelle que l'ancien PDU, conçu et voté en 2002 par la municipalité précédente, avait programmé deux lignes de transports en commun en site propre (tramway ou bus à haut niveau de service) en l'espace de dix ans.

«J'ai eu l'honneur d'attaquer le PDU au tribunal administratif. C'était un catalogue d'intentions, plutôt qu'une volonté de faire. C'était mou, il n'y avait pas de calendrier. On a pu voir un vrai divorce entre le PDU de 2002 et ce qui a suivi». Le tribunal a débouté l'élu, mais les lignes programmées n'ont pas vu le jour non plus. Sans aucune conséquence pour les équipes municipales ou métropolitaines (de Robien, Fouré, Demailly) qui se sont succédé entre 2002 et 2012.

De quelle façon le document engage la Métropole? Selon Gilles Galland, du service Déplacements, il n'y a pas de contrainte. Les élus qui auront voté pour toutes ces mesures pourront bien n'en suivre aucune. Mais ils engageront leur crédibilité.

Dans l'œil du Télescope

Le conseil métropolitain du 28 mars est visible sur le site d'Amiens métropole. J'ai recontacté tous les élus qui étaient intervenus lors de la séance. Peu d'entre eux avaient pu suivre de près l'évolution du dossier. La version définitive du PDU doit leur être présenté dans les jours qui viennent, avant le conseil métropolitain du 19 décembre.