L'idée de départ est louable: mettre son dossier médical à disposition de tous les praticiens, le dématérialiser dans un fichier national consultable depuis n'importe quel accès internet pour éviter des erreurs médicales. Actes médicaux et paramédicaux antécédents pathologiques, tout peut être consigné dans ce fichier, accessible et gérable par des patients, qui choisissent de mettre à disposition, ou de conserver, ces informations aux professionnels de santé : hôpitaux, médecins de famille, infirmiers et thérapeutes divers. Les professionnels se gardant, en cas d'urgence, la possibilité d'y accéder sans recevoir l'autorisation du patient.
Au 31 juillet 2012, après un an et trois mois d'existence, le Dossier médical personnel (DMP) a convaincu plus de 180000 patients. Dont 35000, rien que dans notre région. Ce qui fait de la Picardie la première région de France, comme le montre la carte du dispositif.
Un certain succès, qui s'explique par le fait que la région était pilote sur ce dossier en expérimentant «Dossier Santé Picardie», ancêtre et brouillon du DMP actuel. Mais la progression du DMP nécessite aussi des professionnels de santé coopérants.
Un dispositif trop lourd?
À la pratique certains professionnels grincent des dents: la belle idée s'avère laborieuse à mettre en œuvre. Il faut tout d'abord que le médecin s'équipe d'un logiciel capable de créer et manipuler ces données partagées. Il faut ensuite que le médecin ait le temps de remplir un dossier facultatif, qui vient s'ajouter aux dossiers papier ou informatisés existants.
"Chronophage" selon Philippe Tréhou, médecin généraliste à Guise et président régional du syndicat de médecins libéraux FMF (Fédération des médecins de France, majoritaire en Picardie). Certains de ses collègues ont participé à des expérimentations. Sans conviction : «pour chaque patient, pour chaque acte et même pour un rhume bénin il faudrait remplir un formulaire très exhaustif. Les médecins de ville peuvent peut-être se le permettre, mais en campagne, dans des déserts médicaux où nous voyons une quarantaine de patients par jour, c'est simplement impossible à tenir.» Certains des logiciels utilisés par les médecins sont désormais compatibles avec le recueil des données DMP, mais tous ne le sont pas. Remplir ce DMP peut signifier plus de temps sur l'ordinateur, moins de temps à la consultation.
Plus de dossiers créés dans les hôpitaux
De fait, les créations de dossier se font à 70% dans les établissements de santé: hôpitaux, maisons de retraite, cliniques, etc. Le CHU d'Amiens, à lui seul, totalise près de 4800 créations de DMP depuis leur intégration dans le dispositif, en mai dernier. Presque 1000 dossiers par mois.
C'est que dans ces établissements, le dossier se voit proposer dès l'accueil du patient, par le personnel administratif. De meilleures conditions pour expliquer et convaincre du bien-fondé de ce partage de données intimes, et plus de personnel pour mettre à jour les données.
Pour le moment, seuls 350 professionnels libéraux picards participent à l'opération. Les chiffres fournis par CGS e-santé, le groupement de coopération sanitaire spécialisé en télémédecine, qui gère localement l'expansion du dispositif, ne sont pas très convaincants. Mais l'organisme ambitionne d'en atteindre plus et se voit actuellement dans une phase de «montée en puissance.»
Vers un changement de stratégie?
Si les médecins sont réticents à utiliser ce fichier supplémentaire et facultatif, l'Agence régionale de santé et le groupement porteur du projet ont décidé de parier sur une meilleure information des patients.
C'est l'objectif de la réunion d'information qui se tient mardi 4 septembre à 18h à l'espace Dewailly, à Amiens. Elle réunira médecins et membres de l'Agence régionale de la santé, porteurs du projet DMP.
Après Saint-Quentin et Nogent-sur-Oise, c'est la troisième réunion publique de ce genre en Picardie. et, là aussi, l'ARS de Picardie et CGS e-santé sont à la pointe : en France, les ARS ont organisé peu de ces colloques publics. L'avantage de cette réunion pourrait être double: si les médecins sont difficiles à inciter, autant convaincre directement les patients. Ils inciteront, peut-être, les médecins à s'équiper. D'ailleurs, CGS e-santé a un autre projet sous le coude: des bornes automates pour la création de dossiers. Trois devraient être posées dès la mi-octobre dans trois sites picards, dont la clinique Victor Pauchet.
Cet article est basé sur les données fournies par le CGS e-santé, que j'ai joint par téléphone dans l'après-midi du 30 août. M'ont répondu le Docteur Christine Boutet, le directeur de projet Stéphane Routier ainsi que Jean-Christophe Drapier, chef de projet.
J'ai également contacté par téléphone le docteur Philippe Tréhou. Bien que représentant régional du syndicat FMF, il a précisé me donner un point de vue personnel sur le dispositif DMP, non la position de son syndicat.