Archives du journal 2012-2014

PS : après la mise sous tutelle de Léon-Blum

Le 15 May 2013
Analyse commentaires
Par Fabien Dorémus

C'était il y a presque un mois. Le conseil fédéral du Parti socialiste, le parlement local du PS, votait la mise sous tutelle de la section Léon-Blum. Cette section, dirigée par Mohamed Boulafrad, est l'une des trois section d'Amiens. Les faits reprochés? Menaces, irrégularités comptables, propos sexistes, mainmise familiale sur la section: «Depuis sa création, la section a été privatisée par Mohamed Boulafrad et son fils, accusait alors Pascale Boistard, première secrétaire fédérale de la Somme. Il faut maintenant que les militants soient respectés.»

Conséquence: une nouvelle direction de section devait être nommée par la fédération afin de remplacer Mohamed Boulafrad, suspendu de ses fonctions. À l'heure actuelle, la section Léon-Blum est toujours officiellement sans direction. Pourquoi? «Des choses se sont passées entre-temps, il y a eu les ponts du mois de mai, et je ne peux pas réunir les instances fédérales tous les jours», justifie Pascale Boistard, jointe hier par téléphone entre deux obligations parlementaires. Elle assure cependant que «les choses suivent leur cours, dans le respect des statuts du parti».

Qui a vu le rapport d'enquête ?

Dans la section Léon-Blum, la mise sous tutelle est mal passée. Une vingtaine de militants se sont réunis le 2 mai, dans la salle municipale La Bretesque, pour évoquer la situation. L'assemblée laissa alors éclater sa colère et son incompréhension.

Incompréhension, car tous affirmèrent ne pas savoir ce qui était formellement reproché à leur secrétaire de section. Lui même assure ne pas être en possession du rapport censé l'accabler. «Le rapport est consultable par tous les militants sur rendez-vous à la fédération. Il suffit d'en avoir la volonté», tranche Pascale Boistard. Pas si simple selon Mohamed Boulafrad : «J'ai demandé le rapport, on m'a dit plusieurs fois qu'on allait me l'envoyer. Je n'ai rien reçu. J'ai insisté, et ensuite on m'a dit qu'il fallait que je prenne rendez-vous à la fédé. Ça n'a pas de sens. Par ailleurs, trois personnes de notre section ont été désignées pour étudier le rapport, et ils ont de grandes difficultés à l'obtenir.» Parole contre parole.

Quoiqu'il en soit, les militants réunis ce 2 mai, assuraient leur soutien à Mohamed Boulafrad. Ce dernier a d'ailleurs fait circuler une sorte de pétition, «signée par plus de 80 militants de la section», dans laquelle il est notamment question de réitérer la confiance au secrétaire de section.

Avec cette démarche, les militants espèrent jouer de leur nombre: «On a toutes ces signatures et, en face, cinq militants seulement qui se plaignent d'on ne sait pas quoi», clamait Farida Andasmas, ancienne candidate PS aux législatives de 2007. Quelques militants de la section s'étaient plaints du fonctionnement de Léon-Blum, ce qui a engendré la création d'une commission d'enquête qui a abouti à la mise sous tutelle.

«L'impression d'être à l'UMP»

Mais Farida Andasmas va plus loin. Elle accuse son parti d'utiliser la section Léon-Blum uniquement pour «coller, tracter, aller dans les quartiers où personne ne va». Des petites mains qui ne seraient mises à contribution que lors des campagnes électorales. «Si on s'appelle «camarades» juste pour les élections, ça ne sert à rien.». D'autres militants, qui laissent éclater leur colère, assurent que la section Léon-Blum est victime de discriminations sociale et raciale. Une section qui se définit elle-même comme «prolétaire et multiethnique».

Mais les griefs contre la section Léon-Blum pourraient être plus politiques. Pour Stéphane Ouraoui, membre de la section Léon-Blum depuis septembre dernier et collaborateur de Pascale Boistard, «quand on assiste à une réunion de la section, on a l'impression d'être à l'UMP». En cause: le climat anti-Demailly qui serait omniprésent et impulsé par le secrétaire de section. Là encore, Mohamed Boulafrad réfute. S'il a bien des reproches à faire au maire d'Amiens (voir notre précédent article, page 3), il assure s'être toujours montré loyal envers le Parti socialiste en ne se désolidarisant pas de la majorité municipale dont il est membre.

En dehors de ces considérations, Stéphane Ouraoui estime que la commission d'enquête interne, qui a mis en cause la section Léon-Blum, est sérieuse. «On a récupéré des mails et des SMS de menaces et d'insultes. Tout a été fait en dehors des règles. On ne mène pas une section comme une PME!»

Annulation du comité de ville

Mais l'horizon des élections municipales de 2014 semble s'approcher à grands pas, au moins dans les têtes. Du coup la mise sous tutelle de la section Léon-Blum éveille chez beaucoup des soupçons de manœuvres politiciennes. Ainsi la date du lundi 13 mai devait marquer l'élection d'un nouveau président du Comité de ville, poste actuellement occupé par Francis Lec, le secrétaire de la section Nord d'Amiens. D'après les statuts du PS, ce comité «est chargé d’assurer l’unité d’action et de propagande du parti. Il est consulté sur les problèmes propres à la commune ou au groupement de communes». Donc le comité sera potentiellement consulté sur les élections municipales.

«On va profiter de la mise sous tutelle de Léon-Blum pour faire réélire Francis Lec», craignait Mohamed Boulafrad. Mais ce n'est pas arrivé car la réunion du 13 mai n'a pas eu lieu. Elle a été annulée. Pourquoi ? Car deux sections n'ont pas souhaité y envoyer de délégués.

D'abord la section de Camon. «Ce soir [lundi soir], ce devait être une réunion du comité de ville et d'agglomération», explique Jean-Louis Piot, secrétaire de la section de Camon. Étaient donc invitées les trois sections d'Amiens ainsi que celles de Camon, Rivery, Vers-sur-Selle, Longueau, Salouël et Saleux. «On devait y désigner le président de la structure. Le comité est un organisme politique de réflexion au sein duquel des commissions vont plancher sur les futures élections.»

Problème de statuts

À Camon, deux raisons expliquent le non envoi de délégués au comité: le retard pris dans la désignation d'une nouvelle direction pour la section Léon-Blum, qui l'empêche d'envoyer ses représentants au comité, et les statuts du comité jugés inachevés. «Les militants de ma section ont estimé qu'il fallait revoir les statuts du comité», indique Jean-Louis Piot.

La seconde section a n'avoir pas voulu envoyer de délégués ce 13 mai, c'est la section Amiens Sud. Une décision prise par son secrétaire, Benjamin Lucas. La question des statuts du comité est également mis en avant: «On souhaitait que les délégués d'Amiens et de l'agglomération aient les mêmes droits, et on était sur la voie d'un consensus avec Francis Lec.» Mais la mise sous tutelle de la section Léon-Blum a changé la donne.

Dans un mail adressé aux militants de sa section, Benjamin Lucas indique que «le comité de ville ne peut se constituer tant que la section Léon-Blum est placée sous la tutelle de la fédération, tant que des statuts démocratiques et justes ne sont pas unanimement acceptés, tant que les statuts nationaux ne sont pas appliqués concernant la répartition des délégués et tant que nous n'exprimons pas clairement et unanimement une volonté de rassemblement et de mobilisation».

«Des calculs à quinze bandes»

Ce mail fut une réponse à un autre, envoyé par trois militants de la section d'Amiens Sud, Dominique Théo, Jean-François Liquier et Thierry Bonté. Ces derniers, réputés proches de Pascale Boistard, invitaient les «camarades de la section Sud du PS, qui ont voté la motion 1» à se réunir pour la «désignation des camarades de la motion qui les représenteront au Comité de Ville et d’Agglomération». Joint par téléphone, Jean-François Liquier n'a pas voulu s'étendre sur la question, expliquant juste qu'à son goût «il n'y a pas d'obstacle à la désignation des délégués».

Benjamin Lucas affiche clairement son soutien à Mohamed Boulafrad. Pourtant, les deux sont politiquement opposés: Benjamin Lucas se place sur l'aile gauche du PS tandis que Mohamed Boulafrad se dit de centre-gauche et «favorable au rapprochement avec le centre-droit». Mariage de la carpe et du lapin ? Pour Benjamin Lucas, il s'agit avant tout «de défendre des principes». Pour d'autres comme Stéphane Ouraoui, proche de Pascale Boistard, on assiste à «des calculs à quinze bandes», avec en toile de fond les échéances électorales.

Pendant ce temps là, Francis Lec, qui ne tient pas à communiquer sur le sujet «pour l'instant», vient d'envoyer un courrier aux secrétaires de sections d'Amiens et de l'agglo. Il les invite, suite au report de la réunion du 13 mai, à une nouvelle réunion le 22 mai. Comme si de rien n'était.

Dans l'œil du Télescope

J'ai assisté à la réunion du 2 mai entre les militants de la section Léon-Blum. En dehors, toutes les personnes citées dans l'article ont été contactées entre vendredi et mardi par téléphone, parfois plusieurs fois. J'ai voulu interviewer Alain Fontanel, secrétaire national du Parti socialiste en charge des fédérations. Il n'a pas donné suite à mes sollicitations.