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PS Amiens : jeu d'alliances et dégâts collatéraux

Le 10 October 2013

C'est vers 23 heures ce soir que les résultats du vote seront connus. Avant cela, de 17 heures à 22 heures, les adhérents socialistes voteront pour désigner leur tête de liste à l'élection municipale amiénoise. Seuls les socialistes inscrits sur les listes électorales d'Amiens auront droit de vote, ainsi que ceux dont la résidence principale se situe dans la capitale picarde. Pour voter, ils devront être à jour d e cotisation. «Les adhérents pourront se mettre à jour au moment du vote s'ils sont en retard de moins de deux ans de cotisation», précise Frédéric Fauvet, secrétaire fédéral en charge des élections.

Le vote aura lieu à la fédération de la Somme du Parti socialiste, rue Jean-XXIII à Amiens. Près de 440 personnes constituent le corps électoral. «On attend entre 300 et 350 votants», indique Frédéric Fauvet. Au choix des votants, quatre noms, quatre candidats: René Anger, Thierry Bonté, Didier Cardon et Maryse Lion-Lec.

Il aurait pu y avoir trois choix supplémentaires: Mohamed Boulafrad, Acène Guédri et Mathieu Zanetti. La candidature du premier a été jugée irrecevable par la commission électorale du PS de la Somme. Raison invoquée: Mohamed Boulafrad ne serait pas à jour de cotisation. Ce dernier invoque pour sa défense un accord avec Harlem Désir, le secrétaire national du PS, qui lui permet de rattraper progressivement son retard de cotisation. Quant à Acène Guédri et Mathieu Zanetti, ils se sont retirés au cours de la campagne en apportant respectivement leur soutien à René Anger et Didier Cardon.

Pas de pronostics mais un favori

À l'issue du vote, ce soir, deux options seront sur la table. Ou l'une des candidatures obtient la majorité des suffrages. Ou personne ne réunit plus de la moitié des suffrages et un second tour est organisé pour le 17 octobre, dans une semaine. Le second tour opposera les deux candidats ayant réuni le plus de suffrages au premier tour.

Pour l'heure, personne n'ose faire de pronostics, chez les socialistes. Mais il apparaît qu'un candidat fait figure de favori: René Anger. L'ancien directeur de cabinet du président du conseil régional de Picardie a réussi à rassembler autour de lui deux anciens candidats à la candidature, Mohamed Boulafrad et Acène Guédri, ainsi qu'une partie de l'aile gauche du PS local.

Ces alliances, constituées progressivement, ont fortement animé la campagne interne. Considérons-les une par une.

La première alliance fut celle entre René Anger et Mohamed Boulafrad. Après avoir vu sa candidature invalidée, Mohamed Boulafrad a invité «l'ensemble des candidats à une réunion», explique-t-il, «mais seuls René Anger et Acène Guédri sont venus. Thierry Bonté m'avait dit qu'il viendrait mais finalement il est revenu sur sa décision pour éviter les tensions avec la fédération». Car n'oublions pas que la section Léon-Blum, dont Mohamed Boulafrad était le secrétaire, a été mise sous tutelle au printemps dernier.

La section Léon-Blum coupée en deux

Depuis, Mohamed Boulafrad n'est officiellement plus secrétaire de section. Il organise cependant des réunions avec une partie des militants de la section Léon-Blum, pendant que, d'un autre côté, la fédération réunit d'autres militants de la section. C'est la raison pour laquelle ce lundi 30 septembre au soir, les candidats à la candidature devaient choisir entre se rendre à la réunion de Mohamed Boulafrad ou la réunion de la fédération. Les deux se déroulant quasi en même temps.

Pourquoi Mohamed Boulafrad soutient-il René Anger? «Je ne pouvais pas soutenir ceux qui m'ont snobé», explique-t-il. Mais surtout, il loue sa «vision politique innovante». L'ancien secrétaire assure aussi que «la grande majorité» de la section Léon-Blum apportera sa voix au même candidat.

Des alliances, des promesses ?

Pour autant, l'ex-candidat n'a pas de mots durs contre les autres prétendants. Ainsi Thierry Bonté est «un bon candidat mais trop dans la lignée de Gilles Demailly», Maryse Lion-Lec «légitime et j'espère que l'on travaillera ensemble» et Didier Cardon «un excellent candidat mais il est soutenu par ceux qui nous tapent dessus.»

Le second candidat à s'être rallié à René Anger est Acène Guédri. Membre de la section d'Amiens-nord, il affirmait fin septembre dans nos colonnes qu'il pourrait se retirer de la course s'il avait «l'assurance incontestable que la prochaine liste fasse de la place à tous ceux qui s'engagent pour défendre l'intérêt général». Il a visiblement eu cette assurance.

Acène Guédri assure avoir rencontré presque tous les candidats, avant de se faire une idée. Il n'a pas voulu voir Didier Cardon, accusé de ne pas avoir tenu une promesse qui date de 2007. «Avec Gilles Demailly, ils avaient promis qu'une fois élus ils financeraient un chantier d'insertion pour effectuer les travaux nécessaires à la création d'un vrai centre culturel arabo-musulman à la Hotoie.»

«Des perspectives de changement réelles»

Les autres candidats, «je les ai jugés en mon âme et conscience». Pour Acène Guédri, «Thierry Bonté est un homme sincère dans sa démarche, une personne charmante, mais sa gestion des transports a été un désastre» ; «Maryse Lion-Lec a de très grandes qualités mais les gens veulent voir de nouveaux visages, pas les élus sortants. Il faut quelqu'un qui incarne la rupture». Pourquoi soutenir René Anger ? «Il était favorable à la tenue de primaires citoyennes pour que l'on se démarque de l'entre-nous. C'est un homme à la hauteur de la fonction et qui offre des perspectives de changement réelles au niveau de l'emploi et de la jeunesse.»

René Anger a-t-il promis quelque chose en échange des soutiens? «Il a dit qu'il ne voyait pas comment ceux qui s'engagent aujourd'hui avec lui ne seraient pas là demain, quelle que soit l'origine de chacun», indique Acène Guédri.

Ainsi donc, avec les soutiens de Mohamed Boulafrad et de Acène Guédri, René Anger se retrouve en position de favori. N'oublions pas qu'Acène Guédri a réuni sur son nom 55 voix lors du dernier congrès PS lorsqu'il s'agissait de déterminer qui d'entre lui et Francis Lec prendrait le secrétariat de la section d'Amiens-nord. Au final, c'est Francis Lec qui l'avait emporté 83 voix contre 55.

Soupçons sur l'emploi d'Acène Guédri

Comment selon le principal intéressé, René Anger, le ralliement des deux ex-candidats s'est-il réalisé? Il explique simplement avoir «rencontré des gens qui en avaient marre de coller des affiches pour qu'on les renvoie chez eux après l'élection, des gens qui avaient besoin qu'on les respecte». Des postes ont-ils été promis? «J'ai proposé une méthode selon laquelle je n'ai d'interdit ni pour les uns ni pour les autres.»

C'est dans ce contexte que sont apparus des soupçons sur l'emploi qu'occupe Acène Guédri au Conseil général. Ainsi, le Courrier picard publiait, dans son édition du 2 octobre, le contenu d'un courrier interne du conseil général de la Somme, rédigé en juin dernier par six conseillers généraux et adressé au président du conseil général, Christian Manable.

Dans ce courrier, les élus s'interrogent sur la situation d'un agent: «Il s'agit de M. Acène Guédri, chargé de mission intégration des jeunes, pour lesquels des interrogations se font jour : que fait cet agent ? S'agit-il d'un emploi fictif ? (…) Après renseignement, M. Guédri vient badger le matin et le soir mais n'est jamais présent dans son bureau, tout simplement parce qu'il effectuerait "également" d'autres missions en annexes», écrivent notamment les six élus.

La droite s'engouffre dans la brèche

Suite à la publication du contenu de ce courrier, la droite départementale a profité de la séance du conseil général de la Somme, lundi matin, pour questionner Christian Manable. C'est l'élu d'Amiens sud et ancien candidat à la candidature UDI pour la mairie d'Amiens, Hubert de Jenlis, qui s'est exprimé: «Cette situation jette inévitablement le discrédit sur le Conseil général et il nous semble indispensable qu'une réponse rapide de votre part puisse, en toute transparence, permettre de lever toute ambiguïté à ce sujet».

L'interpellation a déclenché la colère du président du Conseil général: «Il ne s'agit pas d'un emploi fictif! La personne effectue des missions et travaille effectivement», a répondu en séance Christian Manable. Quelques minutes plus tard, dans le cloître de l'Hôtel des Feuillants (ancien couvent où est installé le conseil général de la Somme), Christian Manable ajoutera que «l'agent a effectué sa mission auprès de la jeunesse. Sa mission est aujourd'hui terminée et nous sommes en train de revoir le profil de son poste.» Et d'ajouter qu'il regrettait que l'assemblée départementale soit «polluée par la campagne des élections municipales».

«J'étais en arrêt maladie»

Parole à l'accusé, désormais. Que répond Acène Guédri à ces allégations? Selon lui, les interrogations formulées par les six conseillers généraux dans leur courrier sont la conséquence de son absence de janvier à avril 2013 pour raison médicale: «J'étais en arrêt maladie pendant cette période où j'ai été durement éprouvé dans ma santé.» Actuellement, «je suis en fin de mission en tant que chef de projet du plan d'urgence jeunesse. Une négociation a lieu concernant ma future affectation.»

René Anger peut donc compter sur les réseaux de Mohamed Boulafrad, ceux d'Acène Guédri. Mais également ceux de Benjamin Lucas, le secrétaire de la section d'Amiens sud, et de Philippe Casier, l'ancien secrétaire d'Amiens sud. Ils représentent une partie de l'aile gauche du PS.

Pourquoi ce choix? «Au départ, René Anger était présent aux réunions que nous avions faites en juin pour organiser des primaires citoyennes, explique Benjamin Lucas qui a multiplié les apparitions médiatiques ces derniers temps, comme ici à France bleu Picardie le 2 octobre, pour faire connaître son choix de candidat. On a beaucoup discuté du fond, c'est quelqu'un qui a une vraie volonté d'innovation.» L'accord reposerait aussi sur la façon de faire de la politique: «Nous allons faire une campagne où il s'agira d'abord d'aller voir les gens, lors de réunions de type Tupperware, et pas seulement du porte-à-porte où l'on n'a pas le temps de discuter.»

L'altercation dévoilée

Benjamin Lucas se retrouve ainsi aux côtés d'Acène Guédri, avec lequel il s'est déjà violemment confronté, notamment à l'été 2012. Cette confrontation a été révélée sur Twitter par un adhérent socialiste sous pseudonyme qui a diffusé publiquement un échange de courriers acide qui relate l'altercation entre Benjamin Lucas et Acène Guédri.

«Je ne souhaite pas réagir sur ça, explique Benjamin Lucas. Je suis étonné que ça sorte comme ça. Les problèmes du PS doivent se régler dans le parti. La force de René Anger c'est justement de pouvoir faire le rassemblement. Et puis, il faut sortir de l'hypocrisie, au PS tout le monde s'est déjà engueulé avec tout le monde.» Sur cette altercation, René Anger indique simplement que «les deux se sont parlés et maintenant tout va bien. Je les ai réunis et on a travaillé ensemble».

«Je ne suis pas social-libéral»

Reste des questions sur le positionnement politique de chacun. Si Benjamin Lucas et d'autres à ses côtés veulent incarner une partie de l'aile gauche du PS, René Anger est souvent décrit comme libéral, ayant un positionnement plutôt droitier. «Je ne suis pas social-libéral, tonne ce dernier. Je ne l'ai jamais été! J'ai toujours été favorable à un socialisme démocratique selon lequel il importe d'avancer par compromis successifs.»

Voilà donc les alliances qui ont été abondamment commentées au sein du PS. «Avec six candidats au départ, il fallait s'attendre à des stratégies d'alliances», tempère Frédéric Fauvet, secrétaire fédéral en charge des élections. L'organisation d'une primaire ouverte à tous les citoyens aurait-elle évité cette situation? Les avis sont très partagés chez les militants.

De son côté, Didier Cardon indique prudemment avoir «du mal à comprendre les alliances constituées». Mais dans son entourage, on utilise des termes plus forts comme «clientélisme» voire «communautarisme». Pour Didier Cardon, cette séquence politique risque de laisser des traces et laisse la porte ouverte aux divisions: «Je ne peux pas affirmer que tout le monde sera rassemblé à la fin. Quand on est membre du PS, il y a un minimum de respect à avoir pour les élus et le parti.»

«Harcèlement»

Didier Cardon pointe ici l'altercation provoquée en 2009 par l'irruption d'Acène Guédri en plein conseil municipal. Une irruption sur fond de promesse de financement du centre culturel arabo-musulman. Mais Didier Cardon pointe également un «harcèlement» commis par un membre de la section Léon-Blum à l'encontre du premier adjoint, Étienne Desjonquères.

Thierry Bonté, quant à lui, est plus modéré. Il estime que «l'ensemble des candidats s'est respecté». Et que la séquence politique qui vient de se dérouler «profite à l'intelligence collective». Il met en garde cependant à «ne pas mettre d'abord en avant les postes à pourvoir au détriment des valeurs». Pour lui, le rassemblement de tous les socialistes ne sera pas un souci: «Ça n'a pas été Règlements de comptes à O.K. Corral» D'autant plus qu'il n'y a sur le projet pas beaucoup de différences entre les candidats: «On puise aux mêmes sources, nos orientations sont basées sur l'attractivité du territoire, la solidarité de proximité et la transition énergétique».

Capacité à s'unir rapidement

Qu'il n'y ait pas de rassemblement à la fin? «Il ne manquerait plus que ça!», répond Maryse Lion-Lec. En revanche, la candidate regrette amèrement «une campagne sexiste insupportable» mais indique être toujours «déterminée à aller au bout».

«On ne se fait pas trop de cadeaux quand on discute mais on a la capacité de s'unir rapidement», résume Jean-Jacques Chavigné, chef de file local de la motion n°3 (aile gauche) et soutien de Thierry Bonté. Il invite cependant chacun à se battre «contre les manœuvres d'appareil qui découragent tout le monde».

Ce soir, vers 23 heures, on connaîtra le résultat du scrutin. Un second tour aura peut-être lieu. Mais rappelons que c'est la direction nationale du Parti socialiste qui aura le dernier mot sur la tête de liste à Amiens.

Dans l'œil du Télescope

Je me suis entretenu, souvent par téléphone, avec toutes les personnes citées entre lundi et mercredi. Lundi matin, j'étais présent au conseil général de la Somme: les citations de Christian Manable et de Hubert de Jenlis sont issues de ce reportage.