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«Prouver aux électeurs que je n'avais pas menti»

Le 12 June 2013
Entretien commentaires
Par Fabien Dorémus

C'est son premier mandat. Et le seul. Elle qui affirme son attachement au non cumul, et plus généralement à la moralisation de la vie politique. Barbara Pompili est élue députée de la deuxième circonscription de la Somme depuis un an. L'heure d'un premier bilan, local et national.

Fin 2011, elle était désignée par la direction de son parti, Europe-Écologie-Les-Verts (EELV) pour être candidate aux élections législatives, contre l'avis des militants locaux, qui lui avaient alors préféré Émilie Thérouin, adjointe au maire d'Amiens. Si on la disait parachutée, Barbara Pompili semble aujourd'hui prendre racine.

La native du Pas-de-Calais, présidente du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, revient pour Le Télescope d'Amiens sur les douze premiers mois de son mandat. Mais aussi sur son implantation locale, la stratégie de son parti au cœur du gouvernement, l'avenir d'Amiens. Entretien grand format.

Le Télescope d'Amiens: Le maire d'Amiens, Gilles Demailly, a annoncé samedi qu'il ne se représenterait pas. Quelle a été votre réaction?

Barbara Pompili: J'ai été surprise... J'ai du respect pour ce choix humain qui me paraît aller plutôt dans le sens d'un renouvellement de la vie politique. Après, le faire comme cela a été fait, c'est-à-dire sans prévenir à l'avance, ça met tout le monde [à gauche] dans une situation un peu compliquée. L'avantage est que cela sera l'occasion de relancer de nouvelles choses, ce sera plus excitant qu'une campagne où il s'agit seulement de renouveler sa confiance.

Vous investirez-vous personnellement durant cette campagne?

Oui, je vais m'impliquer parce que c'est ma ville, et que c'est un moment important pour Amiens. La ville est à la croisée des chemins, il va falloir prendre des décisions importantes tant dans le domaine des transports, de l'industrie, que de l'enseignement supérieur. Avec Europe-Écologie, on travaille sur le fond jusqu'en septembre.

Vous posez-vous également la question des alliances au niveau local?

Cela viendra ensuite. Il est évident que la décision de Gilles Demailly change la donne. Mais il ne faut pas tout bousculer non plus, et attendre de voir ce qui se passe au Parti socialiste, qui sera l'un de nos principaux partenaires. Cela ne sert à rien de vouloir aller trop vite, la campagne va être longue. Si l'on commence à faire une campagne sur les personnes avant de faire une campagne sur les changements que l'on souhaite pour notre ville, on va faire le travail à l'envers et les gens ne nous le pardonnerons pas.

L'année dernière, beaucoup de tensions entouraient votre désignation comme candidate aux législatives. Certains ont depuis quitté votre parti [voir notre article]. Comment se porte aujourd'hui EELV dans la Somme?

Ces départs, faibles en nombre, ont signé la fin d'une période très douloureuse. En interne, à l'époque, c'était assez violent. Mais à partir de la désignation et pendant la campagne une dynamique s'est mise en place. Beaucoup de gens sont venus pour la campagne et sont restés. Aujourd'hui l'ambiance est très agréable, on est dans l'émulation et le bouillonnement de pensées.

Comment partagez-vous votre temps entre l'Assemblée nationale et la circonscription ?

Ce sont des arbitrages permanents mais, pour faire simple, le mardi et le mercredi sont des jours obligatoires à l'Assemblée. Ensuite, normalement, le lundi et le vendredi, c'est dans la circo. Et le jeudi, ça dépend. Le week-end, en principe, c'est repos. Mais en réalité, je me consacre aussi souvent à la circonscription. Même si le week-end, ce sont dans des moments plus ludiques, on y parle tout de même de politique, on est toujours dans un moment de représentation, ce ne sont pas des moments passés en famille, à la vie privée. Donc l'arbitrage se fait entre l'Assemblée nationale, la circonscription, et la vie privée. Je crois fermement qu'on ne peut bien faire de la politique que lorsque l'on est un peu équilibré.

Certains de vos administrés signalent la constance avec laquelle vous répondez à leurs sollicitations. Vous faites un effort particulier là dessus ?

En général, les gens qui font appel à nous, c'est en dernier recours. Ils ont déjà sollicité toutes les structures administratives et politiques censées être adaptées à leur problème: logement, chauffage, emploi, etc. En général quand les gens appellent, ils sont désespérés, ce n'est donc pas possible de les laisser sans réponse. Même si, en tant que députée, je n'ai quasiment aucun moyen pour eux. Mais notre travail, à Emmanuelle [Steuperaert, son assistante parlementaire, ndlr] et à moi, c'est de les écouter puis de les orienter ou d'interpeller la structure en question. On répond à tout le monde, mais il y a parfois un délai. C'est un gros travail.

Vu les conditions dans lesquelles vous avez été désignée candidate en 2012 [désignation par Paris, contre le vote des militants locaux, ndlr], prendre du temps pour répondre aux gens, c'est une manière d’asseoir votre légitimité ?

Non, mais c'est plutôt pour prouver aux électeurs que je n'avais pas menti. J'avais dit que je serais là, je suis là. Je n'ai pas à prouver ma légitimité, je n'en ai jamais douté moi-même, et puis j'ai cette légitimité par les urnes. Ce qui est amusant, c'est que depuis l'annonce de Demailly, j'ai plein de militants – et pas que chez les Verts, loin de là – qui me demandent «pourquoi vous ne vous proposez pas comme maire?». Les mêmes qui, il y a un an, me traitaient de parachutée. C'est amusant...

Vous étiez, à Paris, au rassemblement hommage à Clément Méric [le jeune militant antifasciste, tué la semaine dernière par un militant d'extrême-droite, ndlr]. Pourquoi?

Je voulais être là. Comme tout le monde, j'ai été atterrée et horrifiée par cette mort abominable. C'était encore une fois la preuve que la haine peut rendre assassin. En revanche je n'ai pas voulu intervenir sur place, prendre la parole; je ne voulais pas qu'il y ait la moindre récupération politique. J'ai regretté la présence tous ces drapeaux – sauf peut-être celui de l'organisation à laquelle appartenait Clément Méric. On aurait dû tous se retrouver dans l'unité des citoyens contre la haine.

Vous avez grandi dans le Nord-Pas-de-Calais, vous êtes élue de Picardie. L'extrême droite est forte dans ces deux régions. Comment une députée peut agir contre cela ?

Déjà il faut essayer de comprendre pourquoi les gens votent à l'extrême droite. J'ai vu, notamment dans les porte-à-porte que j'ai faits, que beaucoup de gens qui votent Front national en ce moment ne sont pas forcément des gens qui soutiennent les idées d'exclusion du FN. Hier [dimanche], dans une émission de M6 sur le sujet, on voyait un éleveur laitier qui, malgré son travail, difficile, ne s'en sort pas. Il fait partie des «oubliés de Bruxelles». Les politiques classiques n'ont pas su donner de réponse à ces personnes.

Vous pointez les problèmes de la politique agricole...

En ce qui concerne la PAC [politique agricole commune, ndlr] et la politique agricole nationale, on a sûrement trop écouté les syndicats qui représentent les gros exploitants. Après avoir dit ça, je vais peut-être me prendre des œufs sur la permanence, mais je crois qu'on n'a pas assez écouté les petits qui subissent la loi des grandes distributions qui écrasent les prix, qui les obligent à avoir des cadences pas possibles. Notre rôle, pour contenir la montée du Front national, c'est d'entendre cette parole là.

Et en dehors du cas particulier de l'agriculture ?

Quand on fait du porte-à-porte à Étouvie, par exemple, on rencontre des gens qui sont des travailleurs pauvres, de plus en plus pauvres. Ils ont l'impression d'avoir des voisins qui ne travaillent pas et qui ont le même niveau de vie qu'eux. J'ai aussi croisé des jeunes d'Étouvie la semaine dernière qui m'ont dit : «Mais pourquoi vous aidez les Goodyear? Aidez-nous, nous!» C'est-à-dire qu'ils se montent les uns contre les autres. Il y a un tel manque d'espoir que du coup, même la solidarité n'existe plus. Tout ça, c'est du potentiel de vote Front national. Notre rôle est d'en prendre conscience et de trouver des réponses. Il faut aussi leur expliquer que les solutions simplistes de Marine Le Pen ne tiennent pas la route!

Avant d'entrer chez les Verts [en 2000, à 25 ans, ndlr], vous aviez eu d'autres engagements ?

Assez peu, je n'étais pas dans une famille de militants, bien qu'on y parlait de politique. Je me suis engagée parce que j'ai rencontré des militants écolos dans mon travail à l'Assemblée nationale, et j'ai expérimenté leur manière de faire. Ça me correspondait plus que des partis traditionnels de gauche comme le Parti socialiste, par exemple.

Pourquoi pas le PS ?

Parce que... comment dire ça... Je viens du Pas-de-Calais. Disons que j'ai grandi avec des manières de faire de la politique qui ne correspondaient pas à mon idéal.

[Jean-Pierre Kucheida, l'ancien député et maire socialiste de Liévin (la ville dans laquelle Barbara Pompili a passé son enfance), vient d'être condamné à 30 000 euros d'amende pour abus de biens sociaux. Quant à l'ancien maire socialiste d'Hénin-Baumont (Pas-de-Calais), Gérard Dalongeville, il risque actuellement quatre ans de prison pour détournements de fonds publics, ndlr]

Moi, je voulais faire de la politique correctement.

Et au-delà de ces pratiques ?

Les idées politiques socialistes et communistes sont de belles idées d'égalité mais qui, pour moi, sont basées sur un monde qui n'existe plus. Ce sont des idées en retard, pas renouvelées. Au contraire des idées de l'écologie qui, pour moi, s'adaptent et sont plus représentatives du monde dans lequel on est.

Le 25 mai dernier, le conseil fédéral d'EELV a voté une motion demandant au gouvernement de changer de cap économique. Pourquoi ?

Parce qu'au bout d'un an, on peut faire un premier bilan. On peut se satisfaire des choses qui ont avancé. Mais les orientations économiques du gouvernement sont déséquilibrées. On a un Parti socialiste qui voulait fortement montrer qu'il était crédible sur la gestion des déficits, le redressement des comptes publics, etc. Mais à côté de ça, les investissements nécessaires pour relancer la machine économique n'ont pas été faits suffisamment. Et 20 milliards d'euros d'aides ont été données sans contreparties aux entreprises par le biais du CICE [Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ndlr].

On ne peut bien sûr pas laisser la dette courir comme ça, nous avons une responsabilité vis-à-vis des générations futures – et quand Mélenchon dit: «La dette, on s'en fout, on ne la paiera pas», c'est irresponsable! Mais réduire les déficits moins rapidement pour permettre de faire des investissements notamment dans les énergies alternatives, et pour réorienter l'industrie, ça sera payant en terme d'emplois.

Vous contestez l'orientation économique du gouvernement mais vous avez voté la loi de finances [le budget, ndlr]. C'est contradictoire, non ?

On l'a votée parce qu'on est dans la majorité. Et puis dans la loi de finances, il y avait des objectifs que l'on soutenait, notamment la réduction des déficits. Mais le CICE, par exemple, ce n'était pas prévu!

Que pensent les députés de la majorité, les socialistes notamment, quand vous leur dites qu'il faut changer de cap?

Beaucoup nous disent que l'on dit tout haut ce qu'ils pensent tout bas. Beaucoup sont tenus par leur loyauté vis-à-vis du gouvernement et, de toute façon, continueront à être solidaires. Après, une partie des socialistes disent que l'on est des emmerdeurs et que moins l'on a de pouvoir mieux c'est. Mais beaucoup trouvent que c'est bien que l'on soit là pour titiller un peu, pour engager le débat.

Dans le dossier Goodyear, vous avez demandé avec la députée Pascale Boistard (PS) la création d'une commission d'enquête. Où en est-on ?

Avec Pascale Boistard, nous avons signé ensemble cette commission d'enquête pour montrer que l'on était unis là dessus. C'est la première fois que l'on fait un travail en commun. J'ai croisé Arnaud Montebourg [ministre du Redressement productif, ndlr] à l'Assemblée, il m'a dit qu'il soutenait l'initiative. Mais une commission d'enquête doit être portée par un groupe parlementaire, et le groupe écologiste n'a le droit qu'à une commission d’enquête par an, et cette commission on l'a déjà eu sur l'affaire Mérah. En revanche, le groupe socialiste, qui est majoritaire, a beaucoup plus de possibilités de créer des commissions d'enquête. Il faut donc que le groupe socialiste s'en saisisse.

L'un de vos amendements, proposé dans le cadre de la loi sur la refondation de l'école, a fait pas mal de bruit. Il proposait que les enseignements dispensés dans le premier degré intègrent une éducation à l’égalité de genre. Pouvez-vous l'expliquer ?

Je souhaitais que les enfants, dès le début de leur scolarité, puissent être sensibilisés aux problèmes de genre. Les problèmes de genre, cela ne veut pas dire que l'on nie les différences des sexes, ce qui est ridicule et absurde. Simplement, je voulais que les enfants puissent s'interroger sur le fait que lorsque l'on est d'un sexe ou d'un autre, la société attend de nous des comportements différents. Et ça nous est mis dans le crâne dès la naissance, dès que l'on a le petit bracelet de couleur rose ou bleu. Dans notre société, le fait d'avoir des hommes et des femmes biologiquement différents implique des conséquences sociales. Pourquoi une petite fille se met-elle dans le crâne dès son enfance qu'elle est nulle en math ? Qu'elle sera plus douce qu'un garçon ? Ce sont des choses du quotidien qui ont des conséquences très fortes dans les poursuites d'études, dans les métiers, et dans les discriminations.

Pourtant, vous avez retiré cet amendement. Pourquoi ?

Parce que ça a été très instrumentalisé par des gens un peu extrémistes, qui se sont servi du mouvement de la Manif pour tous et qui ont un modèle de la famille traditionnelle dont ils ne veulent pas sortir. Avec cet amendement, je rouvrais chez eux des blessures à peine refermées depuis le mariage pour tous. Je n'ai pas retiré l'amendement sous la pression – pourtant j'ai reçu d’innombrables messages d'insulte – mais parce qu'il n'aurait pas été voté. Les socialistes, qui presque tous partageaient mes idées, ne voulaient pas relancer la guerre. Mais je ne lâcherai pas l'affaire parce que, notamment, les filles en pâtissent beaucoup. Maintenant le sujet est posé. Il reviendra autrement, plus tard.

Un dernier thème d'actualité: les retraites. Voterez-vous un allongement de la durée de cotisation?

C'est difficile à dire. Ce que je ne voterai pas c'est une hausse de l'âge légal de départ à la retraite. Après, je soutiens beaucoup le principe du dialogue social, de placer les partenaires sociaux devant leurs responsabilités. Ce qui permettra, à terme, de leur donner beaucoup plus de pouvoir et qui rendra peut-être l'envie aux salariés de se syndiquer.

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré Barbara Pompili lundi après-midi en sa permanence à Amiens. L'entretien a duré 1h10.