Hier, 16h30, devant la Maison de la Culture à Amiens
«On ne se fait pas d'illusions», confiait, dès mardi soir, Christophe Saguez, premier secrétaire de l'UD CGT de la Somme, à la veille de la «journée européenne d'action et de solidarité», qui s'est déroulée dans toute l'Europe à l'initiative de la Confédération européenne des syndicats (CES).
Une journée de manifestations et de grèves, qui ont été particulièrement suivies dans les pays du sud de l'Europe, pour «dénoncer les mesures d'austérité» qui font «plonger l'Europe dans la stagnation économique, voire la récession», explique le communiqué de la CES.
À Amiens, la manifestation portée par la CGT en tête de cortège n'a pas réuni les foules. 200 personnes environ, arborant les drapeaux Front de Gauche, CGT, CFDT, FSU, et Solidaires. Mais les militants l'avaient senti venir.
La tête du cortège: une banderole sur la thématique des élections syndicales dans les TPE
Un appel «médiatiquement peu relayé»
Lundi soir, au Q.G. du Parti communiste, 19 rue du Faubourg de Hem, l'ambiance n'est pas à l'optimisme dans les rangs du Front de gauche, qui appelle à soutenir la manifestation. La dizaine de militants réunie autour de la table s'accorde pour dire que les indicateurs ne sont pas au vert. Première cible, les médias.
«Dans les médias, rien sur cette manifestation du 14», s'inquiète Edouard Krysztoforski. Des médias, qu'ils jugent plus préoccupés ces derniers jours par «la grève des médecins et des internes» ou par «les élites qui sont pas satisfaites du gouvernement» que par la journée européenne contre l'austérité.
Résultat, on prédit une manifestation de faible ampleur: «Je doute de la mobilisation en France, contrairement au Portugal, en Italie ou en Espagne, ou les manifestations pourraient être monstrueuses. Médiatiquement, ça a été peu relayé», juge Marianne Mugnier, candidate Front de Gauche lors des dernières législatives dans la 2e circonscription. «On est tous en train d'encaisser la déception de ce qu'est la gauche au pouvoir», embraye une autre militante: «C'est chiant de faire de la politique en ce moment, il faut vraiment en avoir envie».
Dans la foule, des drapeaux du Parti de Gauche, parti membre du Front de Gauche
La faible ampleur du mouvement déçoit au Front de gauche, qui souhaitait mettre en lumière ses propositions contre «l'austérité», «la dictature des banques», ou le chômage. Alors les militants évoquent la nécessité de «réinvestir le terrain», «continuer les campagnes de fond», d'expliquer «ce que l'on pourrait faire à la place de Hollande».
Au téléphone, mardi, Christophe Saguez (CGT) s'en prenait également aux médias trop prompts à «se faire l'écho des inquiétudes du Medef ou des pigeons», mais relativisait: «souvenez-vous, au lendemain de l'arrivée au pouvoir de Sarkozy, la mobilisation a été difficile. Il a fallu du temps pour remobiliser les consciences».
L'agenda, le même pour tous les pays d'Europe, n'a pas non plus servi la mobilisation à Amiens. «On sait que la période est très peu porteuse», analyse Dominique Bernichon, secrétaire général de la CFDT Picardie, quelques heures avant la manifestation. «Il ne fait pas beau, les gens se positionnent par rapport aux vacances de fin d'année.»
Qui plus est, les militants ont eu peu de temps pour se préparer et faire passer l'information entre eux. Au niveau européen, la CES a lancé sa déclaration le 17 octobre dernier. Mais en France, l'intersyndicale n'a relayé l'appel que le 26 octobre, la veille des vacances scolaires de la Toussaint. Un timing tout sauf heureux. «Localement, les équipes ont eu peu de temps pour relayer l'information. Habituellement, on appelle à manifester un mois à l'avance. Mais là, avec les vacances scolaires et dans l'état actuel de la mobilisation, ce n'est pas possible. On sera pas très nombreux», prédisait Dominique Bernichon.
La CGT, qui a mené le mouvement à Amiens, assure avoir réagi au plus vite, et fait contre mauvaise fortune, bon cœur: «La date proposée par le CES ne colle pas à l'agenda français, mais il y a une volonté de créer des mouvements sociaux au niveau européen. Ils sont de plus en plus courants», se réjouit Christophe Saguez. «En France, il y a un fort mécontentement. S'il ne s'exprime pas demain, il s'exprimera peut-être plus tard».
Des absents dans les rangs
Parmi les militants «anti-austérité», un absent de taille, le syndicat Force Ouvrière. «Je ne sais même pas s'il y a quelque chose d'organisé à Amiens», se demandait Denise Boulinguez, secrétaire de l'UD FO de la Somme, contactée par téléphone à la veille de la manifestation.
La position du syndicat, pourtant contre l'austérité, est pour le moins surprenante. Au niveau national, FO est en froid avec l'intersyndicale, CGT, CFDT, Solidaires et FSU, depuis le conflit sur la réforme des retraites, fin 2010. Mais au niveau européen, il est adhérent de la Confédération européenne des syndicats (CES).
Si bien que FO soutient la mobilisation européenne par la voix du CES, mais ne participera pas aux manifestations en France, parce qu'organisées par l'intersyndicale. Résultat des courses? Le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly défilera à Madrid (Espagne) et non en France, annonçait, mardi, Denise Boulinguez. Pourtant assure la responsable, «nous sommes contre l'austérité. Nous avons fait un tract contre l'austérité, et nous laisserons le choix à nos syndicats dans les entreprises de débrayer. Mais nous n'organisons pas de défilé». Mais pas de drapeau de FO, hier dans les rues d'Amiens.
Autres absents, les socialistes. Si l'aile gauche du PS, représentée par la motion 3 «Maintenant la gauche», a relayé l'appel à la manifestation au niveau national, pas de drapeau socialistes dans les rangs des manifestants.
Si la manifestation organisée à Amiens s'inscrivait sous l'égide de la CES et de son appel à dénoncer les politiques austéritaires en Europe l'implication des différents syndicats n'était pas visiblement pas tout à fait du même ordre.
Pour la CGT, il s'agissait bien de «de crier haut et fort que les politiques d'austérité mises en œuvre depuis plusieurs mois dans toute l'Europe nous mènent à la récession et dans l'impasse». Mais le syndicat ne s'est pas contenté de critiquer les exigences de la Troïka (FMI, Commission européenne, Banque centrale) envers la Grèce ou l'Espagne. Dans son appel, le syndicat en a profité pour critiquer l'action du gouvernement français, notamment le Pacte de compétitivité.
Dans l'agenda de la CGT, la manifestation servira aussi à peser sur les négociations en cours avec le gouvernement sur la sécurisation des parcours professionnels: «Le Medef veut créer les conditions de pouvoir licencier n'importe quand», s'alarme Christophe Saguez. Qui plus est, hasard du calendrier, la CGT sera reçue le 20 novembre par le gouvernement: «Le rapport de force ne sera pas le même en fonction de la mobilisation».
De leurs côté, les militants CFDT n'étaient qu'une poignée, hier devant la Maison de la culture. Le matin même, leur secrétaire régional, expliquait la faible mobilisation: «Dénoncer les politiques d'austérité en Europe, c'est peut-être un peu éloigné des préoccupations des salariés». D'autant que la CFDT se refuse à descendre dans la rue contre le gouvernement. «Si nous avons des critiques vis-à-vis des actions du gouvernement, nous prendrons nos responsabilités. Aujourd'hui il s'agit des politiques européennes.»
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