Archives du journal 2012-2014

Portraits des premiers makers amiénois

Le 06 March 2013
Portrait commentaires

Il y a deux semaines, nous vous avions appris qu'un Fab Lab, ce nouveau concept d'atelier de fabrication assisté par ordinateur importé des Etats-Unis, ce lieu où l'on «apprend à fabriquer n'importe quoi», était en projet à Amiens.

Un prototype de Fab Lab est dores et déjà ouvert au public, tous les samedis, rue Saint Leu. Nous sommes partis à la rencontre des premiers utilisateurs de cet atelier, que l'on appelle aux Etats-Unis  les makers, pour en savoir plus sur leurs étranges activités. À commencer par l'un des fondateurs de ce lieu, Sébastien.


 

Sébastien Personne, 33 ans, acousticien, imagine des outils de maintenance à distance

Sébastien est en thèse à l'université de Compiègne et dans une entreprise picarde qui conçoit des moteurs hydrauliques. L'été dernier, le sujet de sa thèse est chamboulé du jour au lendemain. Le bec dans l'eau, il lui fallait concevoir lui-même un outil «d'imagerie acoustique cyclostationnaire». Rien qu'au nom, on imagine que ce ne sera pas simple, d'autant que son employeur ne voulait pas financer de prototype. Trop coûteux.

Heureusement, Sébastien fait du co-voiturage depuis deux avec Jean-Baptiste, informaticien, qui possède une imprimante 3D chez lui, pour son propre loisir. «C'était pour apprendre, c'était du travail de grotte», explique Jean-Baptiste. Ensemble, les deux techniciens prennent leur courage à deux mains et se lancent dans la réalisation de cette machine du diable. Et ça marche! «Je ne m'étais pas rendu compte de ce qu'on l'on pouvait faire à plusieurs sur ces machines.» Jean-Baptiste prend en charge la partie informatique, le software comme on dit, et un de leurs amis se charge de la conception en 3D.

En deux semaines seulement, les deux acolytes construisent un prototype fonctionnel pour faire de la recherche en acoustique, armés d'un outillage pourtant peu onéreux comparé au prix qu'aurait coûté un prototype industriel. Un ordinateur, une imprimante 3D, de l'électronique simplifiée et un esprit bricoleur.

Aujourd'hui ils savent construire à eux trois, un outil capable de cartographier le bruit par des petits moteurs hydrauliques utilisés sur des machines agricoles. Mais ce n'est peut-être qu'un début. «Le robot que j'ai fait, on peut l'améliorer et l'utiliser pour toute sortes d'objets cylindriques. Ça pourrait être intégré à une usine», imagine Sébastien.

C'est de cette première expérience qu'est née l'idée de construire un Fab Lab à Amiens. Depuis septembre, les deux hommes se retrouvent rue Saint-Leu, dans leur atelier, entre des imprimantes 3D, des ordinateurs, un scanner 3D en construction et une fraiseuse numérique. «Je n'avais aucune compétence en électronique, assure cet acousticien, mais tu te rends compte que c'est possible.» Quelques curieux commencent à passer régulièrement. «C'est un vrai plaisir de voir venir les gens avec leur projet. C'est un endroit très décloisonné. J'y ai rencontré un ingénieur en contrôle d'usinage, qui m'a donné des billes pour ma thèse.»

Aujourd'hui Sébastien a des idées de produits plein la tête, comme de la maintenance préventive en usine. Connecté à internet, le système permettrait de fournir un service de maintenance à distance 24 heures sur 24. «Jean-Baptiste, il veut tout connecter», s'amuse Sébastien. «Avec la diminution des coûts de l'électronique, on peut intégrer ces outils partout». En attendant de finir sa thèse, Sébastien termine les dernières expériences et rêve d'un grand Fab Lab à Amiens.

Adrien Bracq, 24 ans, mécatronicien, se prépare pour la Coupe de France de robotique

De métier, Adrien est ingénieur qualité chez l'équipementier ferroviaire Faiveley. Une usine basée dans la zone industrielle nord d'Amiens. Mais sa passion, c'est la robotique. Tout au long de ces études à l'Enisam de Valenciennes, il a participé à la Coupe de France de robotique, anciennement Coupe E=M6, du nom de la célèbre émission de vulgarisation scientifique présentée par Mac Lesggy.

Quand il est arrivé sur Amiens en janvier 2012, il a commencé par chercher un Fab Lab sur internet. «Sur les compétitions, on en entendait de plus en plus parler. On voyait des équipes venir avec leurs imprimantes 3D». Hélas, il n'en a pas trouvé à l'époque. Quelques mois plus tard, bingo. Il tombe sur Etolab, l'atelier de Jean-Baptiste et Sébastien. «Et ça a tout changé. Avoir accès à la CNC [fraiseuse numérique, ndlr], à l'imprimante 3D, ça permet de tout faire. Ça nous a donné plein d'idées. Si on l'avait eu dès le début... Alors du coup, on a déjà des idées pour 2014

Avec son équipe de robotique, aujourd'hui dispersée aux quatre coins de la France, ils se réunissent tous les mercredis sur internet. «Un type t'envoies une proposition pour le robot, sur internet. Je la construis avec l'imprimante, et le lendemain, je peux lui montrer. C'est génial. Moi-même, je me suis commandé une imprimante 3D, mais ça ne m'empêchera pas de venir ici souvent».

Le robot de l'équipe d'Adrien fait ses premiers pas

Ici, c'est l'atelier de Jean-Baptiste et Sébastien, qui commence déjà à être petit. «On peut même fabriquer des circuits imprimés soi-même», s'enthousiasme Adrien. «Ici, il y a des gens qui codent super bien., il y a des gens qui comprennent ce que je dis. Ce n'est pas le cas en entreprise.»

Pour ses collègues, ses activités extra-professionnelles ne paraissent pas très sérieuses. «Il y a bien un collègue avec qui je peux en discuter, mais les autres voient ça comme une passion, pas comme quelque chose d'industriel. Quand ils veulent faire un prototype, ils le commandent.»

Ce collègue, justement, vient d'acheter un Raspberry Pi, un mini ordinateur à seulement 25 euros, avec lequel il devient «facile» de bricoler des projets pour son domicile. En l’occurrence, il l'utilise pour lire les dessins animés de sa nièce sur une télévision. «Il y a encore deux ans, ça coûtait 400 ou 500 euros».

C'est typiquement le genre de projet qu'un Fab Lab peut vous aider à réaliser. «Je voudrais créer des robots très simples, qui lorsqu'ils sont placés ensemble élaborent des stratégies. Ce sont des idées, des concepts. Mais ce qui ressort de ces recherches pourrait avoir des applications», explique Adrien. Nous le croirons sur parole. Une chose est sûre, l'ambiance est à créative et participative.

Le matin de notre passage à l'atelier, Adrien réglait la qualité de l'imprimante 3D d'Etolab.

Antoine Jacquemart, 31 ans, architecte: «La maquette d'architecte pourrait redevenir rentable»

Antoine connaît Sébastien (l'acousticien) depuis une dizaine d'années, depuis le lycée. Il y a un mois, on lui parlé de Fab Lab en soirée. «Coïncidence, on m'en avait déjà parlé trois semaines avant.» Au cours de la discussion, une application s'impose pour cet architecte: la maquette. «Pendant mes études d'archi, je me souviens avoir passé des nuits à découper des bouts de cartons pour faire des maquettes.»

Intéressé, Antoine propose à Sébastien de passer deux semaines plus tard, pour dessiner une bibliothèque. Un projet perso, pour son chez lui, qui lui permettra d'appréhender les outils «Il y a quelques logiques à comprendre, sur le passage entre la conception 3D et l'impression. Par exemple, il faut dessiner un seul objet par matériau.» Mais rien d'insurmontable.

«Les maquettes ont tendance à disparaître dans les cabinets d'architecture. Aujourd'hui on va plutôt faire des perspectiveshttp://www.edvolumes.fr/wpimages/wp40ad022e_00.jpg. Ça prend du temps et c'est moins sexy, mais au moins, c'est la réalité. On peut tourner autour, observer les ombres. Alors que la perspective n'est qu'une projection intellectuelle», explique Antoine. «Avec l'imprimante 3D, la maquette pourrait redevenir rentable. On pourrait concevoir en 3D, et faire autre chose pendant l'impression.»

Comme Adrien, Antoine, architecte dans une collectivité, reçoit peu d'intérêt lorsqu'il évoque de fabrication numérique dans son milieu professionnel. «J'en ai parlé avec un architecte avec qui je travaille et qui a vingt ans de plus que moi. Il n' pas percuté, ça ne lui a pas spécialement parlé alors que ça peut cartonner!»

Pour lui, les applications dépassent le simple cercle des ingénieurs en informatique. Tout le monde peut y trouver un usage. «Je pense qu'on pourrait inviter les étudiants en design, qui ne sont pas loin de l'atelier, à venir dessiner ici. Ils pourraient réaliser immédiatement leurs dessins. Quand tu dessines un objet, à un moment, tu as besoin d'en savoir plus sur ce que tu viens de faire. L'imprimer pourrait être intéressant. Par exemple, en imprimant ma bibliothèque, j'ai changé de regard, je suis revenu sur quelque chose de plus simple.»

Antoine le reconnaît, il faut posséder ou acquérir quelques compétences, surtout en dessin en 3D. «Je n'avais jamais fait de programmation, je n'ai pas un grand niveau en informatique. Mais ça demande un minimum de maîtrise de l'outil de modélisation en 3D. Heureusement, pendant mes études, on est passé de la table à dessin à l'ordinateur.» Mais même pour lui la tâche n'était pas gagnée d'avance. «Arrivé à un certain degré de précision, ça demande pas mal d'organisation.»