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Pascale Boistard veut une loi sur les licenciements boursiers

Le 18 April 2013

La députée socialiste de la Somme Pascale Boistard vient de voter contre le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi, fermement soutenu par le ministre du Travail et largement voté par les députés de son groupe. Une loi qui découlait directement de l'accord national interprofessionnel (ANI) signé en janvier par le patronat et des syndicats de salariés (CFDT, CFTC, CFE-CGC).

C'est une première prise de distance avec la politique économique menée par François Hollande. Auparavant, la députée avait voté en faveur de la ratification du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en octobre dernier, malgré des réserves sur le fond qu'elle avait expliquées à des militants du Front de gauche samariens.

Nous avons voulu savoir ce qui avait conduit la députée à s'opposer au gouvernement. Dans cet entretien, l'ancienne attachée parlementaire de Jean-Luc Mélenchon s'explique et laisse entrevoir de futurs désaccords avec l'équipe de Jean-Marc Ayrault, notamment sur la question brûlante des licenciements boursiers.

Le Télescope d'Amiens : Avant la tenue des débats parlementaires portant sur la loi dite de «sécurisation de l'emploi», vous vous êtes prononcée pour un rééquilibrage en faveur des salariés. Finalement, vous avez voté non au projet de loi amendée par les députés. Cela veut dire que le rééquilibrage n'a pas eu lieu?

Il a eu lieu, en partie. Mais que ce soit sur la couverture santé, sur la formation professionnelle ou sur les conditions de licenciement, la loi reste encore trop floue.

Je me suis positionnée par ailleurs contre l'article 16, qui n'a lui pas bougé d'un millimètre par rapport au projet de loi. Cet article a été présenté par le ministre du Travail comme une demande de la CGPME [Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises, ndlr] et l'UPA [Union professionnelle artisanale, ndlr], et surtout comme un article «imbougeable».

Cet article est une régression sans contrepartie pour les salariés, et je ne vois pas en quoi il améliore la compétitivité des entreprises.

Pouvez-vous préciser ? Quels risques l'article 16 fait-il peser sur les salariés ?

La réduction du délai de prescription [de cinq à deux ans dans la plupart des cas, ndlr] pour les recours en justice des salariés est un premier facteur de risque. La prescription à cinq ans se justifiait notamment par le caractère même de la relation de travail.

Le risque porte aussi sur la procédure de conciliation prud’homale en matière de licenciement. Le fait que désormais le barème des dommages et intérêts demandés par les salariés soit fixé par décret en fonction de l’ancienneté du salarié amorcera une tarification forfaitisée de l’indemnisation du licenciement. Cela s’oppose à la jurisprudence européenne, qui interdit la forfaitisation des dommages et intérêts.

L’article 16 porte également atteinte à la fonction même du juge prud’homal, à savoir sa mission conciliatrice, puisque la juridiction devient une simple chambre d’enregistrement. C’est notamment pour cette raison que j’avais demandé à ce que soit précisé le caractère purement informatif du barème.

Par ailleurs, le seul critère retenu dans cet article est celui de l’ancienneté. Or, pour évaluer le préjudice, on doit retenir également l’âge du salarié, sa qualification, son secteur d’activités, etc.

Cet article ne fixe pas non plus de minimum. Il aurait fallu que le législateur, comme l’exige la hiérarchie des normes, encadre les dispositions réglementaires, en empêchant ici la fixation d’un minimum trop bas.

Enfin, le projet de loi conduit à écarter le juge judiciaire du contrôle de la rupture du contrat de travail. Cette disposition heurte notamment la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui explique dans l’arrêt Golder du 21 février 1975 que si le législateur peut encadrer le droit d’agir en justice, il ne peut le réduire à un délai «exagérément court». C’est malheureusement le cas dans le cadre du projet de loi.

Considérez-vous à l'instar de Jérôme Guedj (député PS de l'Essonne), qui a également voté contre ce texte, que les parlementaires socialistes ont été peu investis sur la question?

Oui, nous avons eu trois jours pour déposer les amendements. Quand on est pas spécialiste du droit du travail comme moi, car je ne suis pas inspectrice du travail, il faut accepter de bosser jour et nuit. Le droit des salariés, cela fait partie des raisons pour lesquelles je me suis engagée à gauche.

«Je crois que par définition le droit du travail n'est pas équilibré»

 

Pourquoi le gouvernement a-t-il eu recours à la procédure accélérée pour faire passer un texte réputé complexe?

Je ne sais pas. Mais à partir du moment où l'on décide de faire passer un texte devant les parlementaires, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils ne fassent pas d'amendements. Sinon, on pouvait aussi bien faire passer le texte en accord de branche. Et surtout, on n'envoie pas de mails aux parlementaires afin que le texte passe tel quel.

Qui a envoyé ces mails qui incitaient les parlementaires à voter le texte en l'état?

Essentiellement les organisations patronales nationales. Ils enjoignaient la représentation nationale de ne pas changer une virgule à l’ANI, opposant démocratie sociale et démocratie politique, ce qui est une erreur. Le but recherché était évidemment de conserver le bénéfice intégral d’un accord assez défavorable aux salariés.

Vous vous situez donc en opposition des députés samariens Barbara Pompili (EELV) et Stéphane Demilly (UDI), et des 100 parlementaires socialistes, qui ont souhaité faire passer l'ANI tel quel au nom de la «démocratie sociale» ?

Bien sûr. Je crois que par définition le droit du travail n'est pas équilibré. Il protège les salariés contre leurs employeurs. Je suis pour que les entreprises bénéficient d'assouplissement à condition que les salariés aient des assurances. Parmi ces 100 parlementaires, beaucoup ont d'ailleurs posé des amendements, certains se sont finalement abstenus au moment du vote.

Ma méthode: je rentre sans a priori dans chaque dossier. Sur ce texte, je ne me suis pas contentée de déposer un amendement comme certains. J'ai participé aux travaux préparatoires. À la fin des débats, j'ai relu le texte amendé. Il y avait des avancées, mais ce n'était pas suffisant à mes yeux.

Dans votre allocution face à l'Assemblée nationale pendant les débats sur la «sécurisation de l'emploi», vous avez souhaité pouvoir bientôt légiférer sur les licenciements boursiers. Qu'est-ce qu'un licenciement boursier pour vous?

Je sais qu'il y a plusieurs définitions en vigueur. Pour moi, ce sont les entreprises qui licencient pour verser plus de dividendes aux actionnaires alors qu'elles ne rencontrent pas de difficultés économiques.

Le problème qui peut se poser, c'est que certains grands groupes internationaux organisent sciemment les difficultés économiques d'usines françaises.

Vous pensez à Goodyear ?

Oui. Je suis attachée à ce que l'on puisse effectuer des contrôles sur ce point. La mesure des difficultés économiques doit se faire à l'échelle du groupe et non de l'entreprise. Il existe des tentatives de revenir à un contrôle à l'échelle de l'entreprise et non plus du groupe.

Je pense notamment à la future loi sur la cession des sites rentables. Je ne connais pas encore son contenu, mais je serai vigilante.

Êtes-vous pour un contrôle du motif économique par l'administration et la possibilité de faire annuler la mise en place d'un licenciement collectif si le motif économique n'est pas justifié, comme le demandent les Goodyear ou les Licenci'elles, et comme devrait prochainement le proposer le Front de Gauche à l'Assemblée nationale?

Absolument! J’ai d’ailleurs longuement insisté sur ce point lors des discussions autour du projet de loi «sécurisation de l’emploi».

J’ai déposé un amendement à l’article 13 en ce sens. [Allongement de huit à quinze jours du délai dont dispose l'administration pour procéder aux vérifications nécessaires avant validation de l'accord collectif, ndlr]

Pour que les contrôles soient effectifs, n’oublions pas qu’il faut donner de réels moyens à l'administration. 

Dans l'œil du Télescope

J'ai interviewé Pascale Boistard lundi, par téléphone. Dans la journée, je lui ai renvoyé des questions complémentaires par mail, auxquelles elle a répondu par mail.