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Où en est le droit d'asile dans la Somme ?

Le 30 October 2013

L'emballement autour de l'expulsion de la jeune collégienne Leonarda aura eu pour effet de replacer le droit d'asile au premier plan de la scène médiatique. Mais le ministre Manuel Valls, très sollicité pendant cette séquence médiatique, n'aura pu que rappeler qu'un projet de réforme de ce droit d'asile était en cours.

Manuel Valls pendant une visite au commissariat de police, à Amiens en avril dernier.

En effet, depuis le 15 juillet, Manuel Valls a chargé deux parlementaires de se pencher sur le sujet. La sénatrice (UDI) du Nord Valérie Létard et le député (PS) du Rhône, Jean-Louis Touraine mènent ainsi depuis cet été une «grande consultation» avec les associations et les élus locaux, comme l'expliquait le ministre au journal le Monde, en mai dernier.

Les deux parlementaires devraient rendre leur travail vers mi-novembre. Leurs mots d'ordre: simplification et raccourcissement des procédures.

Le premier défi à relever, c'est le temps de traitement des dossiers de demandeurs d'asile. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'Ofpra est débordé. L'office gère les demandes d'asiles des étrangers qui arrivent sur notre territoire et son délai pour traiter une demande serait d'environ 18 mois. L'ambition est de le réduire, au moins, de moitié, voire de l'amener à six mois.

L'autre piste du ministre serait de simplifier les procédures, voire de réduire le nombre de recours possibles. Aujourd'hui, 92% des dossiers sont rejetés par l'Ofpra. Chacun de ces dossiers peut faire l'objet d'un appel à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), pour réexamen du dossier. Devant cette cour, seuls 20% des dossiers obtiennent le droit d'asile. Les 80% restants peuvent encore mener des démarches devant les tribunaux administratifs pour tenter d'obtenir l'autorisation de rester sur le territoire. Mais l'issue de ces recours n'est pas garantie.

L'encombrement des structures dans la Somme

Dans la Somme, on fait les mêmes constats. Ici, les travailleurs sociaux des associations mandatées par l'État pour s'occuper des demandeurs d'asile vivent tous les jours la surcharge du système. Elle se traduit à plusieurs niveaux.

Les Centres d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) gérés par ces associations sont occupés à près de 40% par des étrangers déboutés de leur demande d'asile, qui se retrouvent donc en situation irrégulière. Et qui occupent, «indûment», des logements réservés aux demandeurs d'asile. Mais les travailleurs sociaux se refusent à mettre à la porte ces individus ou ces familles, faute de pouvoir leur trouver une solution d'hébergement.

Dans la Somme, la préfecture émet désormais systématiquement une OQTF (Obligation de quitter le territoire français), et convoque les personnes pour une information sur l'aide au retour volontaire.

Les nouveaux arrivants manquent de suivi

D'après un travailleur social que nous avons rencontré, il faut relativiser. Car dans les faits, certains déboutés qui ne souhaitent pas rentrer dans leur pays d'origine ne pourront pas être reconduits à la frontière, souvent pour des raisons de procédure. Ce qui fabriquerait, continuellement, des clandestins, sans existence légale, sur notre territoire.

Par ailleurs, les Cada étant saturés, de nombreux arrivants ne peuvent pas bénéficier d'un logement, ni de l'aide que pourrait leur apporter les travailleurs sociaux des Cada, aussi bien pour faire valoir leurs droits que pour rédiger leur demande d'asile en direction de l'Ofpra. Résultat: ces nouveaux arrivants se débrouillent comme ils peuvent, dorment à la rue ou chez des compatriotes, et rendent à l'Ofpra un dossier qui ne répond pas aux standards et qui a toutes les chances d'être rejeté.

Que pourrait améliorer une réduction des délais de réponse? Dans les premiers temps de l'affaire Leonarda, un des éléments qui avait ému une partie de l'opinion était l'intégration de cette adolescente. En effet, la jeune fille fréquentait depuis plusieurs années un collège français. C'est que la procédure dans laquelle étaient engagés ses parents avait pu durer de longues années. Les parents, dans la précarité, commençaient à bâtir une vie en France. Raccourcir les délais permettrait de donner une réponse plus rapide à ces situations complexes, empêcher la fixation de cette précarité.

«Freiner la fraternité»

Aujourd'hui, les collectifs qui militent pour la régularisation des réfugiés regardent les réformes de Manuel Valls avec méfiance. «On a atteint le chiffre de 36 822 expulsions en 2012, soit 11% de plus qu'en 2011», rappelle Marcel Dekervel, membre actif du réseau éducation sans frontière (RESF) de la Somme, qui aurait espéré mieux du nouveau gouvernement. «Après chaque demande d'asile, les enquêteurs de l'Ofpra mènent des démarches pour vérifier les témoignages des demandeurs d'asile, pour savoir s'ils ont été effectivement menacés dans leur pays d'origine, par exemple. Forcer le raccourcissement des délais de réponse, c'est le risque que les enquêtes de l'Ofpra soient bâclées».

Marcel Dekervel pendant une manifestation de défense de demandeurs d'asile devant le tribunal amiénois, en février 2013.

Le militant craint, par ailleurs, que l'intention du ministre de l'Intérieur ne soit de nuire à l'intégration des demandeurs d'asile. «Raccourcir les délais, cela peut être louable. Mais dans l'esprit de M. Valls il s'agit probablement d'éviter que les étrangers s'insèrent, tout comme Édith Cresson avait empêché ces personnes de travailler en 1991», estime Marcel Dekervel, qui dénonce tout ce qui peut «freiner la fraternité».

En tout état de cause, Manuel Valls a annoncé, en mai dernier au journal le Monde, que le raccourcissement passerait par la réorganisation de l'Ofpra. On en sait peu sur les autres aspects de cette réforme.

Mais l'Union européenne pourrait s'en mêler. En effet, pour harmoniser les processus de demande d'asile sur le sol européen, d'autres mesures pourraient s'ajouter, comme la possibilité de rechercher du travail neuf mois après le dépôt de la demande d'asile. Un espoir supérieur d'intégration.