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Micro-lycée : la crainte d'une ghettoïsation accrue

Le 26 June 2013
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Par Fabien Dorémus A lire aussi

Et si l'ouverture du micro-lycée de l'académie Amiens était une fausse bonne idée ? C'est en tout cas ce que suggèrent certains enseignants du lycée Delambre (Amiens nord), dans lequel la nouvelle structure doit voir le jour à la rentrée prochaine. Plus précisément, ces enseignants contestent la décision de placer le micro-lycée dans cette zone géographique. Selon eux, cela risque d'accroître la ghettoïsation du quartier.

Pour rappel, le micro-lycée est un dispositif expérimental mis en place pour trois ans. Il accueillera une cinquantaine d'élèves décrochés du système scolaire, parfois depuis plusieurs années, qui souhaitent activement reprendre leur scolarité. Pour le moment, seuls 25 élèves ont postulé pour intégrer le micro-lycée à la rentrée prochaine. Les candidats sont surtout originaires d'Amiens : onze d'entre-eux habitent la capitale picarde, huit viennent d'un peu plus loin dans la Somme, trois sont du département de l'Aisne et trois de l'Oise.



Le micro-lycée sera implanté dans ce bâtiment du lycée Delambre.

L'objectif est de remettre les futurs élèves dans le chemin des études en leur proposant des conditions d'études plus favorables que la normale. «Le micro-lycée accueillera les jeunes de plus de 16 ans et leur proposera de redevenir élève dans une formation diplômante», indiquait il y a peu Philippe Carosone, inspecteur d'académie, lors de sa présentation du dispositif à la presse (voir notre article).

Pourquoi avoir choisi le lycée Delambre pour accueillir la nouvelle structure ? «Il nous fallait un établissement dans lequel des locaux pouvaient se libérer et surtout il nous fallait un internat, explique Delphine Dhaussy, chargée du dossier au rectorat d'Amiens. Outre le lycée Delambre, la Cité scolaire avait également la possibilité d'accueillir le micro-lycée mais les services du rectorat ont choisi l'option qu'ils jugeaient la plus judicieuse.»

Une mauvaise image

Pourtant, le choix du lycée d'Amiens nord ne paraît pas judicieux à tout le monde. «Il ne s'agit pas de stigmatiser ces décrocheurs mais de contester le lieu de l'établissement», précise Didier Cottrelle, professeur de mathématiques au lycée Delambre depuis plus de trente ans, et membre du syndicat Sud éducation.

Selon lui, le quartier va pâtir de l'implantation du micro-lycée. En premier lieu pour une raison symbolique. «Quand on lit dans la presse que dans le quartier va s'implanter un établissement spécialisé dans le décrochage scolaire, ça renforce la mauvaise image du quartier.» Comme une mauvaise vitrine.

Histoire d'un «saccage»

«On va concentrer sur Amiens nord des élèves en difficulté, abonde Carole Hosteing, également enseignante au lycée Delambre et secrétaire départementale de Sud éducation, alors que nous sommes déjà dans un établissement dans lequel les indicateurs de décrochage scolaire sont importants.»

Le lycée Delambre ferait déjà les frais d'une image dégradée. «Depuis plusieurs années, les bons collégiens du quartier s'en vont. Ils ne continuent pas leur scolarité à Delambre. Mais cela n'a pas toujours été le cas», indique Didier Cottrelle. Et de citer en exemple la trajectoire de l'actuelle porte-parole du gouvernement et ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, qui a passé son bac au lycée Delambre après avoir fréquenté César-Franck, l'un des deux collèges du quartier.

Une trajectoire d'évitement

Mais durant les vingt dernière années, le quartier d'Amiens nord aurait subit un «saccage» de son système scolaire. «Ça a commencé en 1991, explique Didier Cottrelle. À l'époque, la cité scolaire Nord regroupait les jeunes issus des deux collèges du quartier (Arthur-Rimbaud et César-Franck) mais aussi ceux du collège de Rivery, plus résidentiel, et du collège de Villers-Bocage, plus rural. Les résultats étaient brillants et l’endroit était pour tous un modèle d’équilibre et d’intégration. Mais l'inspection académique a décidé d'envoyer les collégiens de Rivery à Michelis, lycée de centre-ville alors en perte de vitesse. Ça a rompu l’équilibre et initié une spirale d’évitement qui a rapidement vidé la cité Nord. Des sections de BTS à recrutement régional ont occupé les locaux désertés et des élèves en plus grande difficulté ont complété les classes pré-bac.»



Didier Cottrelle, enseignant de mathématiques au lycée Delambre.

Une trajectoire d'évitement du quartier nord qu'aurait également emprunté le collège Arthur-Rimbaud, après sa rénovation en 2003 et une modification de la carte scolaire. «À sa réouverture, Arthur-Rimbaud a récupéré les jeunes de la Vallée Saint-Ladre, un secteur pavillonnaire, tandis que César-Franck n’a plus recruté que sur le cœur d’Amiens-Nord, autour de la zone Fafet-Brossolette. La politique du principal nommé à Arthur-Rimbaud a fait le reste : il tournait clairement le dos au quartier (convention avec les classes préparatoires du lycée Louis-Thuillier, pré-sélection dès la quatrième pour des lycées de centre-ville, etc.). À quelques exceptions près, plus aucun élève de la Vallée Saint-Ladre n’est venu à Delambre.»

Et les assouplissements de la carte scolaire, effectués à partir de 2007 n'auraient rien arrangé. «Cela a achevé de détourner les meilleurs élèves du quartier de leur lycée de secteur : ne sont plus venus à Delambre que les jeunes les plus captifs et les plus en difficulté.»

Une situation «absurde»

La création du micro-lycée dans le quartier continuerait donc «d’enfermer la cité Nord dans l’échec en la spécialisant dans le traitement des seuls élèves en difficulté», selon Didier Cottrelle. Ce qui fait dire à Carole Hosteing que le lycée va «vivre au quotidien une situation absurde» dans laquelle «un système qui produit beaucoup de décrocheurs va accueillir à ses côtés une petite structure qui entend lutter contre.»

Mais ces enseignants reprochent également au rectorat et à la direction du lycée Delambre la manière dont le projet de micro-lycée a été validé. «Il y a eu un gros problème d'information, explique Carole Hosteing, membre du conseil d'administration (CA) de l'établissement. Le 11 juin, le CA devait s'exprimer sur la création du micro-lycée. Nous avions eu quelques documents les jours précédents mais au début du CA nous n'avions toujours pas pu voir la convention à partir de laquelle nous devions nous prononcer.»

Des classes chargées

Une convention qui, finalement, sera mise entre les mains des administrateurs durant la session. «C'est en lisant la convention que j'ai appris que des élèves de la classe de seconde du micro-lycée auraient la possibilité, en cours d'année, d'intégrer une seconde du lycée Delambre.» Il est en effet prévu que si les élèves «raccrochent» suffisamment vite, ils pourront rejoindre l'une des classes de seconde «classique» du lycée. Mais cette information change la donne pour Carole Hosteing : «Nous avons déjà des classes de seconde à trente élèves. On risque d'avoir des classes encore plus chargées.»

Les enseignants de Sud éducation affirment également que le vote du conseil d'administration du lycée Delambre est illégal. Pourquoi ? «Le CHSCT [comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ndlr] départemental de l'Éducation nationale aurait dû en amont être saisi afin de réaliser une étude d'impact sur les conditions de travail. Et cela n'a pas été fait», regrette Carole Hosteing, qui pointe dans le même temps le «déficit démocratique» de l'Éducation nationale.

Dans l'œil du Télescope

Lundi soir, j'ai rencontré Didier Cottrelle et joint par téléphone Carole Hosteing. Plus tôt dans la journée, j'avais contacté par téléphone Delphine Dhaussy.