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Menaces sur l'indépendance des conseillers d'orientation

Le 08 January 2013
Enquête commentaires
Par Fabien Dorémus A lire aussi

L'affaire semble quasiment réglée. Avant le printemps, le parlement français devrait voter en faveur d'une loi instaurant un nouvel acte de décentralisation. Il s'agira de redéfinir les compétences de l'État et des collectivités locales. Celles-ci devraient se voir confier de nouvelles compétences, notamment en matière d'orientation scolaire. Et c'est ce qui inquiète les conseillers d'orientation psychologues (COPsy) qui souhaitent que le projet n'aboutisse jamais.

L'avant-projet de loi, présenté le 27 novembre dernier, est clair : les Centres d'information et d'orientation (CIO) seront désormais «des services non personnalisés du conseil régional qui en détermine[ra] les missions et en assure[ra] la construction, la reconstruction, l'équipement, la maintenance et le fonctionnement».

Les CIO dépendront donc des régions. En revanche, les agents resteront des fonctionnaires d'État. Pas de changement de statut mais une double tutelle (rectorat et région), considérée «ingérable» par l'intersyndicale Snes(FSU)-CGT-Sud. Mais surtout, les COPsy s'inquiètent de l'avenir de leur métier.

«Un regard trop fixé sur l'économie immédiate locale»

En cause : le rapprochement des services qui orientent les élèves adolescents (les CIO), et ceux qui orientent les adultes dans leurs parcours professionnels (Pôle emploi et les Missions locales). «La recherche d’insertion sociale et professionnelle rapide, à l’œuvre dans le dispositif de Formation Tout au Long de la Vie pour les adultes jeunes et moins jeunes, est une préoccupation noble mais qui ne correspond pas à notre métier et nos missions», expliquent des COPsy et directeurs de CIO de l'académie d'Amiens dans une lettre adressée au ministre de l'Éducation.



Catherine Bas (à gauche) et Lina Lacorde, conseillères d'orientation à Amiens.

«La formation initiale a pour rôle premier de donner aux élèves les moyens de construire un parcours d’orientation qui est d’abord un apprentissage de l’autonomie dans les choix, ce que ne permet pas aisément un regard trop fixé sur l’économie immédiate locale», continue cette lettre qui accompagnera une pétition lors du «forum du lycéen à l'étudiant» organisé à Amiens à Mégacité du 10 au 12 janvier.

Les COPsy travaillent auprès d'adolescents «en pleine construction identitaire», témoigne Catherine Bas, conseillère d'orientation au CIO d'Amiens Nord et syndiquée Snes-FSU. «On considère que l'orientation des élèves et des adultes, ce n'est pas la même chose.» Car la particularité des COPsy c'est justement le côté «Psy», psychologue. «L'orientation d'un élève est lié à son rapport au savoir, au scolaire, à l'estime de soi», ajoute Linda Lacorde, également conseillère au CIO d'Amiens Nord et syndiquée Snes-FSU. «Ce que l'on craint [avec cette réforme], c'est que l'objectif final soit de s'interprofessionnaliser et que l'on intervienne sur tous les publics avec un guichet unique.»

Le côté psy du COPsy s'exprime à tous les niveaux de l'enseignement secondaire, dès le début du collège. «Nous travaillons à l'adaptation en 6e, aux difficultés nouvelles des élèves face à un apprentissage plus complexe», indique Catherine Bas.

150 conseillers d'orientation dans l'académie

Et de donner l'exemple, l'an dernier, d'un élève de sixième «qui passait son temps à dire qu'il n'y arriverait pas» et qui posait de gros problèmes de comportement. «Il fallait faire quelque chose.» Les parents ont été reçu au sein du CIO. C'étaient eux, très angoissés, qui transmettaient leurs appréhensions à leur fils. L'enfant, qui n'avait pas de problèmes cognitifs, a été suivi psychologiquement puis changé de classe. Aujourd'hui, il est en 5e: «Il n'y a pas de miracle, c'est du long terme. Il n'est pas toujours très sage, mais il est rentré dans l'apprentissage». Une petite victoire.

Mais à vrai dire, c'est vers les élèves en fin de collège que l'action des COPsy se tourne particulièrement. «Nous assistons à tous les conseils de classe de 3e et de seconde, explique Catherine Bas. Nous suivons personnellement les élèves signalés par les enseignants.» Les COPsy souhaiteraient «suivre tous les élèves» mais les effectifs dans les CIO ne le permettent pas. Dans l'académie d'Amiens, il n'y a que 150 conseillers d'orientation dont 35 contractuels, selon le Snes-FSU.

«Depuis quelques années, seul un COPsy sur six est remplacé, à nombre de poste équivalent.» Les autres sont donc des contractuels, non titulaires, diplômés d'un master de psychologie mais non détenteur du diplôme de COPsy, faute de postes ouverts au concours. Ces salariés sont plus précaires et facilement éjectables en cas de futures suppressions de postes. À Amiens, les deux CIO (l'un boulevard Alsace-Lorraine, l'autre boulevard de Saint-Quentin) se partagent une vingtaine de conseillers d'orientation dont «trois ou quatre contractuels».

Le difficile combat contre le décrochage scolaire

Le Conseil régional affirme sur son site internet vouloir, avec l'État, s'occuper prioritairement de l'orientation et du décrochage scolaire. Cela tombe bien, les deux sont intimement liés. C'est en tout cas ce qui ressort de l'enquête menée par l'Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) rendue publique le 19 septembre dernier. Selon celle-ci, 71% des jeunes décrocheurs interrogés ont eu le sentiment d'avoir été mal conseillés au moment où il ont fait leur choix d'orientation en 3e. «Ils ne sont sont donc pas sentis bien soutenus à ce moment important de leur vie», note l'Afev.

Et la Picardie est particulièrement touchée par le décrochage scolaire. En 2010, 14% des élèves n'ont en effet pas atteint la fin du second cycle. À titre de comparaison, la moyenne nationale est de 9,7%. Cela représente 3431 jeunes picards laissés au bord du système scolaire, sans avoir pu obtenir le diplôme correspondant au cursus scolaire dans lequel ils étaient inscrits. Notre région a donc du pain sur la planche pour rattraper son retard.

Rapprochement école-entreprise

Et c'est l'enseignement professionnel qui est le plus touché par le décrochage. Selon les données du rectorat, le taux de décrochage en Picardie en mars dernier était de 18%. Les niveaux les plus touchés étant les élèves inscrits en CAP et en 1ères professionnelles.


Le bassin d'éducation d'Amiens est le plus touché par le décrochage dans l'enseignement professionnel.

Vers une perte d'indépendance ? 

Dans un document réalisé en septembre dernier à l'occasion de la concertation visant la « Refondation de l'école », le rectorat a évoqué trois raisons majeures expliquant cette situation de décrochage:
- les difficultés personnelles (familiales, économiques...)
- les difficultés scolaires (sentiment d'être toujours en échec, de perdre son temps...)
- la déception de retrouver «la forme scolaire» que les lycéens connaissaient au collège, le sentiment de ne pas être suffisamment écoutés.

Pour Catherine Bas, les mauvaises orientations, qui entraînent les décrochages, sont avant tout liées à des problèmes d'affectation. «Pour intégrer les filières professionnelles, il y a une procédure d'affectation, un numerus clausus, une sélection.» Faute de places suffisantes dans la filière de son choix, un élève doit parfois se replier sur d'autres formations. «Il y a alors un fort et réel sentiment de subir son orientation.»

Le nombre de places limitées dans les filières technologiques est «un choix politique dont il faudrait débattre, ce qui n'a jamais été fait.», explique Catherine Bas. Et de proposer des pistes de réflexion : «Ce qui prévaut dans l'insertion professionnelle, c'est le niveau de qualification. Ne pourrait-on donc pas ouvrir les filières pro à tous les élèves qui désirent l'intégrer et, ensuite, favoriser les passerelles?»

La Région aux manettes de la carte de formations

Ce n'est pas forcément le chemin entrepris par la Région et l'État, qui privilégient le rapprochement entre école et entreprise. «Notre responsabilité est de donner aux jeunes l’opportunité de se diriger vers des secteurs qui recrutent et qui leur permettront de s’épanouir sur le plan professionnel», a expliqué Claude Gewerc le 7 décembre dernier. Pour Catherine Bas, il s'agit là d'une réelle contradiction : «Si la Région choisit quels sont les diplômes les plus porteurs et incite les élèves à suivre ces formations, cela ne va pas arranger les choses pour les élèves qui décrochent faute de n'avoir pou suivre la formation qu'ils souhaitaient.»

C'est d'ailleurs la grande crainte des personnels des CIO : perdre leur indépendance. Car le nouvel acte de décentralisation qui se profile reconnaît aux régions le pilotage de la carte des formations. Avec à la clef le choix de fermer ou ouvrir des sections, en concertation avec le rectorat. «On risque d'être amenés à “remplir” les formations financées par la Région», s'inquiète Catherine Bas.

La Région et l'État veulent également «inciter les entreprises à ouvrir leurs portes aux jeunes et à les aider à les accueillir. L'accent sera mis sur la découverte des métiers», a indiqué Claude Gewerc. Ce qui rend perplexe Catherine Bas, qui met à nouveau en exergue l'indépendance des CIO. «Le Parcours de découverte des métiers et des formations [PDMF, généralisé à partir de la 5e depuis 2009, ndlr] n'est pas forcément inintéressant mais cela dépend comment il est fait. Beaucoup d'entreprises proposent de venir faire des interventions en classe. Nous, les conseillers d'orientation, on explique aux élèves les bons et les mauvais côtés des métiers. Les entreprises, elles, ont tendance à ne présenter que les bons côtés.»