Archives du journal 2012-2014

Mauvais calculs et grosses intox chez les étudiants

Le 19 November 2012

Le grand jour, c'est demain. Dans tous les bâtiments accueillant des étudiants en Picardie, des militants vont tenter de convaincre, amphi après amphi, étudiant après étudiant, d'aller voter pour leur liste. L'enjeu : gagner un maximum de sièges au conseil d'administration du Crous d'Amiens-Picardie. Sept sièges sont à pourvoir.

Cette année, l'élection est marquée par une annonce majeure du gouvernement : la création d'une allocation d'étude pour la rentrée 2013. Cette allocation figurait parmi les engagements du candidat François Hollande durant la campagne présidentielle. «C'est une allocation sous conditions de ressources, a précisé, un peu, Geneviève Fioraso, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, au micro de France Info en septembre. Nous allons discuter d'une remise à plat de l'ensemble des aides qui sont aujourd'hui dispensées aux étudiants. […] Il y a les bourses, les allocations logements, la demi-part fiscale : tout cela doit être remis à plat.»

Les contours de cette nouvelle allocation sont encore flous. Des négociations vont commencer entre le gouvernement et les organisations étudiantes en décembre.

L'avenir des aides sociales étudiantes est donc au coeur du scrutin qui aura lieu demain en Picardie. Les étudiants vont recevoir demain une ribambelle de tracts chargés de chiffres, tous différents, censés montrer que tel projet est meilleur qu'un autre. Difficile pour eux de cerner le vrai du faux. Du mauvais calcul à la manipulation, le Télescope fait le point. Et il y a de sacrés surprises.

La plus grosse intox de ces élections est à mettre au crédit de l'Union nationale inter-universitaire (Uni), proche de l'UMP. Cette organisation n'hésite pas à clamer haut et fort que le gouvernement va supprimer les aides au logements des étudiants. C'est en tout cas ce que son tract laisse entendre. «Aujourd'hui près de 6 mois après son élection, [le gouvernement de François Hollande] s'attaque aux étudiants des classes moyennes, ainsi qu'aux boursiers. Le ministre Geneviève Fioraso s'en prend à l'intégralité des étudiants en s'attaquant à leur portefeuille, avec la volonté de supprimer les APL/ALS», explique-t-on au tout début du tract. De quoi effrayer plus d'un étudiant.


Tract de l'Uni pour les élections du Crous 2012.

Mais l'Uni prend quelques distances avec la vérité. Le gouvernement a annoncé une remise à plat de toutes les aides pour en constituer une nouvelle. Alors, certes, on peut dire que si la nouvelle allocation voit le jour, administrativement, les Aides personnalisées au logement (APL) et les Allocations de logement social (ALS) n'existeront fatalement plus, puisqu'elle seront intégrées à la nouvelle aide. Mais de là à faire signer des pétitions prétendant que «Hollande et le gouvernement veulent détruire les aides aux étudiants», il y a une marge.


La pétition de l'Uni aurait réuni plus de 75 000 signatures.

Si l'Uni gagne haut la main le prix du meilleur torseur de vérité, le syndicat Unef n'est pas exempt de tout reproche.

Il manque 4 milliards dans la balance de l'Unef

L'allocation d'étude annoncée par le gouvernement semble découler d'une vieille revendication de l'Union nationale des étudiants de France (Unef). Le syndicat étudiant, marqué à gauche, milite depuis des décennies en faveur de la refonte des aides sociales étudiantes. Le système de bourses actuel étant jugé insuffisant et injuste. Le syndicat demande la création d'une allocation d'autonomie pour tous les étudiants.

L'Unef estime que son projet d'allocation d'autonomie coûtera 18 milliards d'euros à l'État. Une somme qui permettrait, par exemple, à chaque étudiant de percevoir 780 euros par mois (10 mois par an). Une mesure qui, selon le syndicat, permettrait d'éviter le salariat étudiant considéré comme une cause majeure du fort taux d'échec dans l'enseignement supérieur.

18 milliards d'euros, c'est beaucoup. Mais pour l'Unef, on aurait déjà 8 milliards à disposition en refondant toutes les aides déjà existantes. Il suffirait de se baisser. Seuls 10 milliards d'euros manqueraient alors pour boucler le budget de l'allocation d'autonomie voulue par l'Unef.

Très bien, vérifions. La refonte des aides sociales implique de mettre dans un pot commun les bourses, les aides au logement et la demi-part fiscale (réduction d'impôt accordée aux foyers qui ont un enfant inscrit dans l'enseignement supérieur).

1 – Les bourses : 1,86 milliards d'euros
Dans son budget 2013, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche prévoit 1,86 milliards pour les «bourses et autres aides aux étudiants». En 2012, sous le précédent gouvernement, 1,72 milliard était consacré à cette même ligne budgétaire.


Budget 2013 du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche.

2 – Les aides au logement : entre 1,2 et 1,34 milliard d'euros.
C'est déjà plus compliqué à calculer. Les chiffres diffèrent en fonction des organismes. Pour la Cour des comptes, «environ 700 000 étudiants bénéficient d'aides au logement, pour une dépense de 1,2 milliard d'euros par an» (source: La situation et les perspectives des finances publiques – juillet 2012). Pour l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), «les étudiants représentent 11,9% des bénéficiaires [des aides, ndlr] dans le secteur locatif (700 000 allocataires) pour un coût de 1,34 milliard en 2010». (source: Évaluation des aides personnelles au logement – mai 2012)

3 – La demi-part fiscale : 0,88 milliard d'euros
D'après une note de l'Insee, «l'extension de la demi-part fiscale affectée aux étudiants du supérieur représente 880 millions d'euros non collectés aux familles d'étudiants de 18-24 ans». (source: La répartition des dépenses publiques de l'enseignement supérieur et des aides associées – décembre 2011.) La suppression de cette réduction d'impôts accordée aux foyers qui ont un enfant inscrit dans l'enseignement supérieur rapporterait donc 0,88 milliard d'euros.

Faisons maintenant le total de toutes les aides : 1,86 milliard (bourses) + 1,34 milliard (aides au logement) + 0,88 milliard (demi-part fiscale) = 4,08 milliards d'euros.

4 milliards. Voilà ce que l'on obtiendrait en refondant toutes les aides sociales existantes. Loin des 8 milliards affichés par l'Unef. Le syndicat devra donc demander 14 milliards supplémentaires au gouvernement pour boucler son budget consacré à l'allocation d'autonomie, et non pas seulement 10 milliards.

Une calculatrice qui s'emballe

Pourquoi un tel écart ? Difficile à dire. «C'est compliqué à calculer», reconnaît-on au siège de l'Unef. Mais la calculatrice du syndicat semble parfois s'emballer.

Sur son site internet, l'organisation étudiante estime par exemple à 2,3 milliards d'euros la somme qui pourrait être récupérée sur la demi-part fiscale.


Capture d'écran issue du site officiel de l'Unef.

D'où sort ce chiffre ? On le retrouve dans un rapport du Haut conseil à la famille (HCF) daté d'avril 2011. Mais ce que ne dit pas l'Unef, c'est que l'on peut en effet récupérer 2,3 milliards si et seulement si l'on modifie le calcul du quotient familial. Dans le jargon, il s'agirait de procéder à l'alignement «des parts du quotient familial sur l’échelle des unités de consommation de l’Insee». Une modification qui impacteraient tous les foyers qui ont des enfants, et pas seulement ceux qui ont des enfants dans le supérieur.

Un projet plus modeste mais bien chiffré

Une seconde organisation étudiante propose de refondre le système des bourses: c'est la Fédération des associations générales étudiantes (Fage). En Picardie, cette organisation prend le nom de Faep, pour Fédération des associations étudiantes picardes. Comme l'Unef, la Fage estime que les aides sociales actuellement en vigueur sont inadaptées. «La demi-part fiscale, réduction d'impôt, profite aux familles ayant les revenus les plus élevés», explique la Fage.

Sa proposition pour changer tout ça ? L'Aide globale d'indépendance (AGI). En clair, il s'agirait d'intégrer la demi-part fiscale au budget des bourses pour «gommer les inégalités sociales» et de casser les différents paliers de bourses pour éviter les effets de seuil.


Schéma issu du site officiel de la Fage.

Une proposition moins ambitieuse que celle de l'Unef mais qui a le mérite d'être correctement chiffrée: la Fage estime en effet à 0,9 milliard d'euros la somme provenant de l'hypothétique suppression de la demi-part fiscale accordée aux foyers qui ont un enfant dans l'enseignement supérieur.

Petit bémol: la linéarisation du système des bourses entraînerait un surplus d'activité pour les Crous car les étudiants boursiers ne seraient plus catégorisés par échelons. Les Crous devraient en effet calculer le montant précis de la bourse pour chaque étudiant. D'où un besoin de moyens accru, dont la Fage ne parle pas. «Logistiquement, ça demanderait un peu plus au Crous, reconnaît-on à la Fage. Mais le problème se poserait uniquement au moment de la rentrée.»

La proposition de linéariser le système des bourses est également défendue par l'Uni, à la seule différence que l'organisation de droite ne souhaite pas y intégrer la demi-part fiscale.

Dans l'œil du Télescope

C'est en interrogeant les responsables locaux des organisations étudiantes, à l'occasion d'un précédent article, que je me suis rendu compte que l'enjeu principal de ces élections concernait la future allocation d'étude promise par le gouvernement. J'ai ensuite épluché les différents documents publiés par les organisations étudiantes afin de vérifier leurs argument et leurs chiffrages. J'ai également contacté les sièges des trois organisations concernées pour obtenir des précisions.