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Longueau perd-t-elle son identité cheminote?

Le 19 December 2012

Vous risquez de les croiser si vous vous baladez ces jours prochains à Longueau. Depuis lundi et pendant toute la semaine, une vingtaine d'étudiants en sciences politiques vont arpenter les rues de la commune. Ils seront partout! Tantôt dans les couloirs de la mairie, tantôt au club de foot, dans un nouveau quartier de la ville ou encore à l'atelier de maintenance SNCF.

Leur mission: observer et mesurer la survivance de l'identité cheminote dans la ville. Située au coeur d'un noeud ferroviaire, Longueau est une cité du rail, une commune marquée par son histoire avec la SNCF.



L'étoile ferrée autour d'Amiens (©Réseau ferré de France)

L'histoire cheminote de Longueau est indéfectiblement liée à l'histoire communiste. La mairie est depuis 1925 un bastion local du Parti communiste français (PCF), né lui-même en 1921. Deux anciens maires de Longueau furent d'ailleurs cheminots: Louis Prot (de 1925 à 1966) et Michel Couillet (de 1966 à 1973).

Mais les choses changent. «Il y a un vieillissement et un appauvrissement de la population», explique l'une des étudiantes, d'après les premières données qu'elle a recueillies. «Auparavant quand un cheminot partait à la retraite à 55 ans, il laissait la place qu'il occupait dans son logement de fonction à un cheminot plus jeune, continue-t-elle. Aujourd'hui, ils partent à la retraite plus tard et peuvent rester dans leur logement.» Alors les nouveaux cheminots n'habitent plus forcément Longueau.


Les rails et la ville, intimement mêlés.

En plus, les habitants de Longueau ont dû faire face à de nombreuses pertes d'emplois ferroviaires, notamment dans le fret. «Si demain, des moyens considérables ne sont pas attribués pour la maintenance, ce sont de nouveaux emplois qui vont disparaître», écrivait en juin dernier la maire Colette Finet dans les Brèves municipales.

Cet été, un comité pour le développement du site ferroviaire d'Amiens – Longueau s'est créé pour «promouvoir le transport ferroviaire comme moyen d'aménagement du territoire», explique François Cosserat, conseiller municipal d'Amiens et président provisoire du comité. Ses deux chantiers prioritaires: le développement du fret et de l'atelier de maintenance dont une partie des activités a été transféré ces dernières années à Tergnier (Aisne) et en région parisienne.

La sauvegarde du patrimoine

«On a obtenu la modernisation de l'atelier mais ce n'est pas suffisant», relate l'ancien premier adjoint au maire d'Amiens qui assure que «si l'on ne se bat pas, on n'obtiendra rien».

Les étudiants se plongent donc dans une ville qui s'est construite autour du rail mais qui se bat désormais pour sa survie. D'où la question de savoir ce que devient cette identité cheminote. Pour tenter d'apporter des réponses, les étudiants explorent chacun un pan spécifique de la question: la sauvegarde du patrimoine ferroviaire, le militantisme au PCF, l'Étoile sportive des cheminots de Longueau, les jardins cheminots en reconstruction, l'atelier de maintenance, le nouveau quartier d'habitations, etc.

Claire Lebozec et Mariano Dossou-Kpanou se penchent tous les deux sur l'ARPDO-Rotonde 80. Il s'agit d'une association de sauvegarde du patrimoine ferroviaire qui existe - sous différentes formes - depuis les années 1970 et qui souhaite désormais rénover la Rotonde de Longueau. «C'est un bâtiment à l'abandon qui appartient à la SNCF, explique Claire Lebozec. Il est classé, interdit d'accès, mais la SNCF ne veut pas prendre la rénovation à son compte. D'après ce qu'on nous a dit, la SNCF attend que le bâtiment se dégrade, qu'il soit considéré à risque, pour le détruire.»

[youtube ZBpNkGMcrR8 Vidéo de la Rotonde, alors encore en activité.]

L'association, elle, souhaite en faire un musée. «Ils ont rassemblés une quantité d'objets vraiment impressionnante», s'enthousiasme Mariano Dossou-Kpanou. Des objets ou archives qui témoignent de l'histoire des transports en France. «Ils ont même les plans de projets de tunnel sous la Manche ou de pont sur la Manche qui datent du XIXe siècle!»



Mariano Dossou-Kpanou et Claire Lebozec.

Pour mener à bien leur enquête, ces étudiants vont multiplier les entretiens individuels avec les dirigeants et simples adhérents de l'association. «On va essayer de limiter notre champ d'étude à deux questions: comment ils s'organisent et pourquoi ils s'engagent.» Des entretiens qu'il faudra ensuite retranscrire et analyser selon des méthodes scientifiques.

Savoir observer discrètement

Mais les entretiens individuels ne sont pas la seule arme des apprentis politologues. L'observation en est une autre et dans ce cas «il faut être au maximum discret», explique Claudia Correia-Fale qui se penche avec Florian Jauny sur les jumelages entre Longueau et des villes de Hongrie, Pologne et Bulgarie. Pourquoi se faire discret ? «S'ils se sentent observés, les gens n'agissent pas naturellement. C'est pour ça que faire une thèse en sciences humaines est si long, il faut le temps que les gens oublient votre présence.»



Claudia Correia-Fale et Florian Jauny.

Ce binôme va tenter de savoir s'il y a des cheminots ou anciens cheminots dans l'association de jumelage. Ils vont également tenter de savoir si les jumelages ont un effet sur la population. Avec déjà un début de réponse : «Nous avons assisté à un cours de polonais. La prof était venue habiter Longueau dans le cadre de ses études et grâce au jumelage. Aujourd'hui elle s'est mariée avec quelqu'un d'ici, attend son deuxième enfant... et donne des cours de polonais.»

Comment les étudiants en sont-ils venus à passer une semaine d'étude à Longueau ? «Ce n'était pas prévu dans le programme», explique Youri Danielou qui, avec Charles Thelliez, étudie l'identité cheminote au club de foot local. Mais pour lui et tous ses camarades inscrits en master (bac + 4 ou 5) de sciences politiques, un constat s'imposait: ils manquaient tous d'expérience de terrain. D'où l'idée de passer une semaine d'enquête à mener des entretiens et des observations. Et de manière gratuite: «Ce n'est pas noté.» Par ailleurs, les enseignants disent encadrer les étudiants de manière bénévole durant cette semaine.



Youri Danielou et Charles Thelliez.

Les repas de la semaine ont été financés par l'association des étudiants en sciences politiques, Symbiose. «On aurait pu, avec cet argent, organiser un gala ou partir au ski», s'enorgueillit un étudiant. Et pour la suite ? «On peut imaginer faire une restitution dans quelques mois, explique Manon Ouvrard, présidente de l'association Symbiose. On retournerait alors voir les gens que l'on a rencontré pour leur expliquer les résultats de nos travaux.»

Dans l'œil du Télescope

Après un premier contact la semaine dernière au Pôle universitaire cathédrale avec une enseignante chercheuse et une étudiante de sciences politiques, j'ai rencontré les différents binômes ce lundi. J'ai contacté François Cosserat par téléphone mardi après-midi.