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Logement social: le bilan de la municipalité

Le 25 September 2013
Entretien commentaires

Isabelle Graux est élue d'Amiens, adjointe au maire pour les questions de logement et de foncier.

Entre 7000 et 8000 demandes de logement en HLM en attente. C'était l'estimation de l'équipe de Gilles Demailly avant son élection à la mairie d'Amiens en 2008. Dans leur projet pour la ville, l'actuel maire et ses colistiers pointaient du doigt le bilan négatif de l'équipe de Gilles de Robien sur le logement social.

En 19 ans, de 1989 à 2008, la part du logement social dans le locatif total était passée, selon eux, de 36% à 32%. La liste de gauche, «Unis et solidaires» se proposait d'inverser cette tendance en construisant 8000 à 10000 logements, dont la moitié de HLM.

Aides à la construction vers les bailleurs sociaux, reprise en main de l'un des offices HLM où les élus siègent, l'Opac, incitation à la mixité des logements construits, soutien de la construction de logements étudiants, aides à la rénovation... Les projets de cette liste électorale étaient nombreux pour remédier à la situation.

Aujourd'hui, après cinq ans de mandat, les résultats ne sont pas tous à la hauteur des espérances. Le Télescope d'Amiens a souhaité établir un bilan de la situation avec Isabelle Graux, l'élue en charge du logement et des politiques foncières.

Brossolette, à Amiens nord, à quelques mois de sa destruction.

Le Télescope d'Amiens: Dans votre programme, vous vous proposiez comme objectif «de réaliser 8 à 10 000 logements supplémentaires d'ici 2015», dont 4000 logements locatifs sociaux par an. Où en est-on de ces chiffres?

Isabelle Graux: C'est compliqué à compter.

Entre 2008 et 2014, sur la Métropole, on aura eu 2400 agréments de logements neufs. Mais ces appartements qui ont reçu leur agrément peuvent en être à des stades divers de leur construction, donc je ne saurais pas dire combien ont été livrés et combien sont habités.

Un logement social reçoit un agrément sur son projet [et les facilités de financement et de prêt qui vont avec, ndlr] s'il répond à des critères, notamment sur le montant maximal de son futur loyer. Les agréments sont délivrés au plus tôt lors du dépôt de permis de construire. Mais l'agrément a une durée de vie de 18 mois, donc les bailleurs ne le déposent pas trop tôt.

Mais rappelons qu'il y a aussi eu 850 reconstructions dans le cadre de l'Anru [Agence nationale de rénovation urbaine]. Ces réhabilitations représentent aussi du logement neuf, aux normes d'aujourd'hui, avec un effort sur les espaces extérieurs...

En arrivant en 2008 on avait dit que le programme Anru était coincé, notamment car on n'avait pas remplacé les logements qu'on démolissait. Aujourd'hui quand on reconstruit des logements, c'est des logements qui n'existaient plus ou qui étaient vides. Cela fait quand même 850 logements en plus.

Justement, en 2008, vous annonciez un «moratoire immédiat sur les destructions prévues» par le programme Anru, partant du constat que les bailleurs «organisent la vacance des logements longtemps avant la destruction» et ainsi brident les capacités en logement social de la ville. Que s'est-il passé?

Cela fait partie des choses sur lesquelles j'ai un vrai regret. Par exemple, je ne voulais pas la démolition de Victorine-Autier [les tours Daudet, au sud-est d'Amiens, ndlr]. Pour des raisons architecturales, entre autres. On a fait faire des études poussées, même sur des hypothèses de déconstruction partielle. Et c'était si cher de faire des travaux qu'on a renoncé.

L'autre exemple, c'est Brossolette, où l'on ne devait détruire que 80 logements et où, finalement, on va en détruire plus de 300. Mais là, ce n'est pas notre décision. Le préfet et Fadela Amara [alors secrétaire d'État en charge de la politique de la ville, ndlr] sont venus sur ce territoire, et ce sont eux qui ont décidé qu'il fallait détruire Brossolette. C'était une décision particulièrement politique. Il y a des choses sur lesquelles on pouvait négocier, mais devant l'Agence de rénovation urbaine, c'est plus difficile.

Concernant Victorine-Autier, cela coûtait plus cher de faire des travaux plutôt que de laisser l'organisme HLM démolir et reconstruire?

Oui, dès qu'on fait de la restructuration c'est très cher, parce que vous êtes dans un bâtiment plus ancien. Prenons Fafet [barre d'immeuble du quartier Nord, ndlr]: le projet est de détruire deux entrées, pour couper le bâtiment en deux et de mettre des balcons, entre autres. Aujourd'hui ce qui plombe le projet, ce sont les coûts de désamiantage. L'État a mis de plus en plus normes pour encadrer ces travaux, de telle façon qu'il nous était impossible de les faire en site occupé: il a fallu qu'on vide les bâtiments.

C'est le même problème à Calmette [à Amiens nord, ensemble de l'Opac qui a connu une réhabilitation financée par l'Anru]. Changer les toilettes, ça a été une opération invraisemblable parce qu'on n'avait pas le droit de faire deux trous dans les carreaux de faïence sans mettre un sas de décontamination. Alors qu'on avait fait des prélèvements pour montrer qu'il n'y avait pas de filaments d'amiante. Mais le principe de précaution est tel qu'on n'a pas le choix et, comme notre parc de HLM est ancien, on est impactés tout le temps.

De quel ordre sont ces coûts?

On peut tenter de comparer. Disons que la construction d'un logement neuf, type 3 ou type 4 peut revenir à 120 000 euros. À Fafet, la réhabilitation nous coûte 80 000 euros par logement. Pour des bâtiments qui seront toujours des bâtiments anciens et qui n'auront pas toutes les normes énergétiques d'un bâtiment neuf.

Et alors même que la politique de l'Anru, aujourd'hui, n'est plus de tout démolir, l'amiante renchérit tellement les opérations qu'un certain nombre de bailleurs sont contraints de détruire.

Je pense que cette «politique de la terre brûlée», la destruction totale ce n'est pas bon pour les gens qui habitent là, dans ces quartiers qui ont une histoire, c'est traumatisant. Mais on en arrive là.

Tout cela n'était-il pas prévisible au début de l'opération Anru?

Non, d'ailleurs les premières rénovations que l'on a réalisées, on ne pourrait pas les faire aujourd'hui. À Philéas-Lebesgue [cité du sud-est d'Amiens], on a réhabilité en site occupé: aujourd'hui on ne pourrait pas le faire.

Il faut donc faire du «site tiroir». Il faut convaincre les gens de quitter leur logement. C'est plus complexe, c'est un coût, un travail de persuasion avec les locataires, des déménagements à organiser... Imaginez-vous qu'on vous dise: «Pour cinq semaines de travaux il faut que vous déménagiez pour aller ailleurs».

Pourquoi est-on, aujourd'hui, aussi éloigné des ambitions du programme de 2008?

Il y a la capacité des bailleurs sociaux à se financer. Depuis 2008, année après année, on a vu diminuer les financements de l'État pour le logement social. Je regrette de voir que ce gouvernement n'a pas inversé la tendance.

Dans le même temps, la Ville a mis en place des aides, mais on compense difficilement. Pour tous les bailleurs, cela veut dire qu'il faut qu'ils mettent plus de fonds propres: pour un HLM, il s'agit des recettes des loyers, et pas grand chose d'autre.

Aujourd'hui, la Ville met jusqu'à 13 000 euros sur un logement social, c'est à dire ce que l'État mettait quand on est arrivés. Pour la réhabilitation, la Ville fait aussi un effort considérable, en mettant 4000 à 8000 euros par logement.

Il y a des opérations qui étaient plantées, en 2008, avant qu'on mette en place le système d'aide. Je pense à l'opération de la rue de la Fosse au lait, de l'Opac, qui ne serait pas sortie si on ne l'avait pas aidée.

Par ailleurs l'Opac, quand on est arrivés, avait un vrai retard dans l'entretien de ses bâtiments. Jean-Pierre Bachelay, son directeur, nous a rappelé en conseil municipal qu'il ferait cette année encore huit millions de travaux d'entretien. C'est considérable! Ça montre que leur patrimoine était en déshérence.

Il faut dire qu'ils n'étaient pas accompagnés. Il n'y avait pas d'argent de la part de la Ville, peu de terrains mis à disposition et dans des conditions difficiles. Nous avons tenté de changer cela. Par exemple, en 2011, route de Saveuse, on a proposé à l'Opac un bail emphytéotique pour la construction de 29 logements.

Malgré ces aides, les organismes HLM n'ont pas relancé la construction?

Tout le monde a construit un peu plus. Mais pas dans les proportions qui sont nécessaires à notre territoire. Et les décisions dépendent des conseils d'administration des organismes HLM.

On propose des incitations, cinq millions d'euros d'aide chaque année.

Amiens métropole a la compétence des aides à la pierre [les agréments de logements sociaux qui ouvrent droit à des financements, ndlr], et essaye de conditionner ces aides à plusieurs critères. Notamment sur la typologie des logements, l'isolation thermique, etc.

Vous souhaitiez, dans votre programme, imposer 20% de logements sociaux dans chaque projet immobilier privé, et 20% de logement privé dans chaque programme de HLM. Qu'en est-il?

Dans le PLU [Plan local d'urbanisme], on a obligé à une mixité sociale quand il y a plus de 30 logements construits. On a même imposé jusqu'à 30%. C'est ça qui permet l'opération immobilière privée de la route de Rouen, où 30% des logements ont été achetés par la SIP [Société immobilière picarde, un bailleur social, ndlr].

Par ailleurs, on avait fixé des objectifs dans le PLH [Programme local de l'habitat]. Nous souhaitions que la part des logements sociaux ne diminue pas dans le locatif total. Elle était de 32% en 2008. Aujourd'hui, je n'ai pas les chiffres, mais si on regarde le nombre de logements autorisés et construits dernièrement, nous sommes à 50% de logement social ou d'accession à la propriété.

Dans votre programme, vous annonciez un «effort particulier sur le logement étudiant CROUS», rappelant que Gilles de Robien n'avait pas construit de logement étudiant, contrairement à ce qu'il avait annoncé. Mais il y a encore aujourd'hui des besoins. Et deux bâtiments de la résidence du Bailly ont fermé...

Oui, c'est sûr, il y a des besoins. Il suffit de parler avec des étudiants pour le savoir. On a réalisé deux programmes: un complètement, un autre qui était déjà en cours. Et il y a eu construction de résidences privées tant que la promotion privée n'a pas été plombée.

Mais sur ce point, on a achoppé sur la volonté du Crous [Centre régional des œuvres universitaires et scolaires, ndlr]. Il faut savoir que pour créer une résidence étudiante publique, le Crous demande généralement à un bailleur de construire, puis il lui verse une redevance annuelle. Mais le Crous dépend des financements nationaux du Cnous [Centre national des œuvres universitaires et scolaires]. Avec le maire, nous avions reçu deux fois le directeur du Crous. Il ne voulait pas de nouveaux logements.

Le directeur a changé [en 2011, ndlr], celui-ci est favorable à la construction de logements mais il a des problèmes de financement au niveau du Cnous.

Quels étaient vos moyens d'action pour soutenir le logement étudiant?

On n'avait que la persuasion. On pouvait aussi accompagner, proposer du foncier. La résidence de la rue du Général de Gaulle, c'est du foncier qui appartenait à la ville, au départ. Mais au-delà de cela, on dépend directement de la politique du Crous.

En 2008, vous souhaitiez porter une «politique d'attribution des logements soucieuse de l'intérêt général», notamment en reprenant la main dans la gestion de l'Opac. Aujourd'hui qu'en est-il?

En 2008, il y avait encore des administrateurs désignés par le préfet. Depuis, la loi a changé: les administrateurs sont désignés par la collectivité de rattachement, ici la Ville.

Avoir la majorité au conseil d'administration, cela signifie qu'on préside la commission d'attribution de logements, ce qui est considérable, même si ça ne se voit pas. Par exemple, 30% des attributions sont aujourd'hui des échanges. Ce sont des gens qui habitent déjà à l'Opac et qui veulent changer de logement, de quartier. C'était une grosse revendication des locataires quand on est arrivés. Les gens n'ont plus le sentiment d'être assignés à résidence. Cette question est directement liée à la politique d'attribution que nous mettons en œuvre. En général, dans les HLM, les échanges pèsent plutôt pour 10% des attributions.

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré Isabelle Graux lundi 23 septembre. Les citations des questions posées sont reprises du programme électoral de la liste "Unis et solidaires" de 2008, que l'on ne peut pas, à ma connaissance, se procurer sur le web. Pour compléter le propos d'Isabelle Graux, la municipalité m'a fait suivre un communiqué de presse qui faisait, début 2013, le récapitulatif de trois ans d'aides à la construction et à la réhabilitation du logement locatif social. Ce document est disponible ici.