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L'étoile ferroviaire veut devenir incontournable

Le 22 November 2013
Entretien commentaires (1)

François Cosserat, président du comité de développement de l'étoile ferroviaire d'Amiens-Longueau.

L'étoile ferroviaire d'Amiens-Longueau, qu'est-ce que c'est ? C'est le réseau de chemins de fer qui maille toute la métropole amiénoise, avec ses branches qui, regroupées à Amiens-Longueau, rayonnent vers Calais et Boulogne au nord-ouest, Rouen au sud-ouest, Paris au sud et Arras, Lille et les destinations de TGV vers le nord-est.

L'étoile ferroviaire d'Amiens (©Réseau ferré de France)

Certes, le contexte est à la déshérence du fret, alors que la SNCF a restreint son service sur de nombreux aspects. Mais les membres du Comité de développement de l'étoile ferroviaire d'Amiens-Longueau croient à un avenir pour la zone. Ils espèrent voir s'étoffer l'activité économique sur Amiens et Longueau, mais aussi redéployer des dessertes hyper-locales de train. François Cosserat, conseiller municipal communiste d'Amiens est son président. Et il croit beaucoup aux possibilités de ce «nœud papillon».

Samedi, le comité de développement de l'étoile ferroviaire tient ses « assises », de 9h à 16h, à la Maison de l'enfance de Longueau. Nous avons souhaité évoquer avec François Cosserat, les sujets qui seront discutés demain, lors des assises de l'étoile ferroviaire.

Entretien.

Le Télescope d'Amiens: Qu'est-ce que le comité de développement et quel est son objectif?

François Cosserat: Nous sommes simplement un lieu de réflexion et d'action, sur les thématiques des voyageurs et du fret. Nous ne sommes pas là pour remplacer les syndicats, les associations d'usagers ou quoi que ce soit.

Le comité de développement rassemble toutes celles et ceux qui veulent réfléchir et agir sur la place du ferroviaire dans les déplacements, tant quotidiens qu'internationaux. Il y a aussi des personnes morales: des associations, un syndicat, des élus présents à titre personnel et des citoyens.

Nous existons depuis environ 18 mois, même s'il existait déjà un atelier de réflexion sur l'étoile ferroviaire au sein de l'Association de lutte pour l'environnement en Picardie (Alep).

Parlons du fret: il y a quelques mois, Frédéric Cuvillier, le ministre des Transports, a annoncé le passage d'un autoroute ferroviaire par la Picardie et, probablement, par Amiens-Longueau (lire notre article). Le projet d'autoroute ferroviaire peut-il permettre, en soi, une activité économique sur Amiens?

D'après nos informations, une branche Lille-Perpignan de l'autoroute ferroviaire passera par Longueau. Il serait question de faire un quai qui soit assez long pour pouvoir réceptionner des trains. Or nous avons la place sur Longueau: il n'y a pas de gros travaux à mener, pas de portique à créer car l'autoroute ferroviaire ce sont des camions ou des remorques qui sont chargés sur les wagons. Nous voyons une ouverture.

Ceci étant pour le moment le plan autoroutier prévu par le ministre ferait disparaître une autre liaison. C'est la rocade Nord, une liaison ferroviaire qui parcourt Le Havre, Rouen, Amiens, Tergnier, Reims puis Dijon ou Metz et qui contourne Paris par le nord. Cette rocade disparaîtrait au profit d'une relation Paris-Dijon qui enverrait les trains vers le sud et l'est à partir de Paris. Or l'axe Longueau-Paris est déjà saturé.

En rouge, une liaison Paris-Dijon semble à l'étude, qui pourrait compromettre le développement de la partie est de la rocade nord. (©Ministère du développement durable)

Le cabinet du ministre nous a dit que le devenir de la liaison Amiens-Reims était à l'étude. Cette étude sera-t-elle un recul par rapport à la prise en compte de cette branche de l'étoile ferroviaire? Pour le moment on ne sait pas.

Cette rocade nord est-elle déjà active aujourd'hui?

La rocade nord est active dans une première section, entre le Havre et Rouen. Et une voie ferrée nouvelle vient d'être construite pour shunter le point noir de Rouen. Notre but c'est que la fonction de la rocade nord dans la desserte ferroviaire des ports du Havre et de Rouen soit mieux établie. C'est la question qui va nous agiter lors des assises.

En quoi cette rocade nord, si elle doit se développer, peut-elle profiter à l'étoile ferroviaire?

Il n'y a pas d'automaticité.

Il ne faut pas voir la question de la logistique uniquement par le biais de l'infrastructure, il faut aussi raisonner en terme de service. Si on a deux flux ferroviaires qui se croisent sur Longueau, l'un nord-sud et l'autre est-ouest qui ne demandent qu'à se développer, on doit pouvoir récupérer des moyens supplémentaires de créer des services à l'intersection. C'est une chance supplémentaire, mais il n'y a rien de déterministe.

Il faut maintenant réfléchir sur la nature des services à créer

Mais l'autoroute ferroviaire nord-sud doit transporter des camions chargés alors que la rocade nord (d'est en ouest) n'utilise pas forcément ce système.

La rocade nord, on en fait ce qu'on veut: c'est de la logistique classique, qui peut être du vrac, des containers, des remorques, il n'y a pas de contrainte particulière.

L'idée qui a germé est celle du port sec. Cette intersection peut-elle être un port sec du Havre? À partir de la massification [l'assemblage de wagons de marchandise, ndlr] qui résulte de l'intersection, peut-on créer des services logistiques particuliers? Notamment celui de la desserte de l'Île-de-France par le nord, sachant que par l'ouest il y a également une saturation.

Si on veut arrêter les trains, il faut une bonne raison. Un port sec pourrait apporter un service supplémentaire pour les marchandises transitant par le port du Havre. Ce n'est pas forcément un conditionnement mais la dé-massification et la re-massification.

Mais pour créer un pôle de logistique, il faudra des moyens supplémentaires, des hommes supplémentaires. La SNCF sera-t-elle convaincue par votre projet?

Ce n'est pas seulement la SNCF. Elle est un opérateur logistique ferroviaire et routier. Mais je pense surtout aux institutions politiques dont le rôle est de mettre en place des politiques d'aménagement, des politiques industrielles, économiques. Les politiques industrielles de l'avenir sont aussi basées sur la multi-modalité.

Or l'État n'est pas armé, on ne voit pas poindre une entité qui travaille plus au fond. Quand on réfléchit à ces sujets, on se heurte rapidement au fait qu'il n'y a pas d'entité qui règle ces questions de logistique multimodale. On laisse le marché régler, et celui-ci règle en fonction des coûts directs.

Si on le laisse faire, c'est l'absence de salaire minimum européen, les fiscalités différentes, ces choses qui font que les coûts du fret routier chutent. Et avec la question de l'écotaxe, on voit bien la difficulté de les modifier.

Or il y a un intérêt d'avenir, environnemental et social de faire de la logistique multimodale et à relancer le fret. La multi-modalité n'a pas forcément un coût direct plus faible, mais elle peut présenter un coût global plus intéressant, dans la mesure où il y a moins de retombées environnementales et sanitaires. Mais ça, ce n'est pas pris en compte par l'organisation du marché s'il n'y a pas l'intervention forte d'une volonté politique.

Avez-vous pu établir le contact avec le port du Havre, pour qu'ils participent à votre réflexion?

Ce n'est pas facile, avec une petite association comme la nôtre, de rentrer en contact avec une si grosse entité que Haropa, les ports de Paris-Seine-Normandie. C'est un groupement d'intérêt économique (GIE) qui regroupe toute la vallée de la Seine. Si on n'y va pas avec les institutions Picardes, on risque fort d'avoir en face de nous un mur.

Vous pensez qu'il y a une place pour le projet de port sec dans les plans de ce GIE?

Le port du Havre est en train de créer une zone multimodale, proche du Havre. Il nous manque encore un certain nombre d'éléments mais on aimerait faire apparaître le rôle de la rocade nord dans ce projet de zone multimodale.

Nous avons visité l'ensemble des installations ferroviaires du port, et nous avons constaté la saturation de l'axe ferroviaire du long de la Seine, avec, de mémoire, plus de 170 trains par jour. Or Le Havre est le premier port de container au niveau national, et peut encore se développer. Pour l'instant, il dépend énormément du routier. Il suffit de le comparer à Anvers et Rotterdam qui ont plus parié sur le fluvial et le ferroviaire.

Ils sont sur la façade atlantique et la mer du Nord. Nous pensons que le développement du port du Havre passe par une desserte multimodale plus forte. Mais encore faut-il qu'il y ait un investisseur picard qui s'investisse plus dans la négociation.

Quand vous parlez d'investisseur, vous voulez parler du Conseil régional?

Cela peut-être un conglomérat! Une association Région, Amiens métropole... et que l'État pèse de tout son poids.

Pour le moment, la rocade nord n'est pas électrifiée entre Amiens et Reims. Les coûts ne risquent-t-il pas de compromettre le projet?

Sans avoir de chiffres précis, l'électrification de cette portion Amiens-Reims devrait représenter un peu plus que l'électrification de la section Amiens-Boulogne-sur-mer, qui va coûter 200 millions d'euros. Ce n'est pas un coût démesuré.

Si on attend que la rocade nord soit électrifiée pour penser aux services logistiques, on met la charrue avant les bœufs. Les trains peuvent fonctionner aussi avec des locomotives thermiques. À terme ce sera mieux, mais il n'est pas nécessaire d'attendre pour faire quelque chose.

[Dans la suite de l'entretien, retrouvez les questions relatives au transport des voyageurs, ndlr.]

Qu'en est-il de place de l'étoile d'Amiens-Longueau dans le transport des voyageurs?

L'écrasante majorité de la population de l'aire urbaine d'Amiens vit à moins de cinq kilomètres d'une gare. Par ailleurs, la ville d'Amiens concentre 70% des emplois, tout en en représentant 50% de la population. Les études ont montré qu'il y a 120 000 à 130 000 déplacements quotidiens qui franchissent les limites de la métropole d'Amiens, en provenance du pays du Grand Amiénois et au-delà.

Au niveau des besoins en stationnement des pendulaires, cela pose a un problème. C'est pour cela que le stationnement résidentiel [payant pour les résidents et payant et limité dans le temps pour les autres, ndlr] a été mis en place, mais il ne représente pas une solution durable, puisqu'il repousse les problèmes un peu plus loin.

Il faut donc porter à un plus haut niveau les dessertes ferroviaires et leurs relations avec le réseau Amétis et le futur tramway. Ces questions-là sont au cœur de la réflexion sur le PDU [Le plan de déplacement urbain, actuellement à l'étude par la Métropole, ndlr] pour nous.

Le projet de PDU a essuyé de nombreuses critiques de la part des services du préfet, notamment sur l'intégration des liaisons et du transport collectif dans les pays du Grand Amiénois... Pensez-vous que les équipes de la Métropole revoient leur copie?

Justement, nos critiques vont dans le même sens! Je pense qu'il y a un complément qui est en cours d'élaboration, qui va dans le sens de la nécessité de la meilleure prise en compte des transports, de façon multimodale.

Quelles sont les idées que vous avez défendues pour le projet de PDU?

Nous avançons deux idées fortes.

Tout d'abord, que toutes les gares qui se situent sur les branches de l'étoile deviennent multi-modales et multi-fonctionnelles.

Ce jargon veut dire qu'on peut venir à la gare, pas uniquement dans le but de se déplacer mais aussi parce qu'on y trouve d'autres services. Par exemple, des commerces, des garderies, du maraîchage, des services de gardiennage ou de rabattements multimodaux comme le covoiturage, l'autopartage, etc... L'idée du PDU d'avoir des parkings-relais au bout de la ligne de tram, ce n'est pas suffisant. La multi-modalité s'organise au niveau du pays, pas seulement aux portes de la ville.

La deuxième idée forte que nous avançons, c'est la réflexion sur une gare métropolitaine qui serait multifonctionnelle: TGV, TER ou tram-train.

Le tram-train ne doit pas être entendu comme un équipement lourd et complexe qui roule en ville, mais en tant que desserte ferroviaire de proximité à haute fréquence.

Il s'agirait d'une gare située entre Amiens et Longueau qui ne supprimerait pas les deux autres gares, mais aurait un rôle complémentaire, un rôle de régulation ferroviaire. Par exemple, considérons la halte de Longueau, sur la ligne Amiens-Paris. Elle est pratique pour certains pendulaires, mais elle représente 5 à 6 minutes de plus pour les voyageurs sur leur trajet jusqu'à Paris. Il faut donc réfléchir à sa place dans un futur réseau.

En quoi un réseau de train peut-il avoir une utilité locale, sur Amiens?

Ce tram-train pourrait aller à la zone industrielle nord par la gare de Montières, par exemple, comme complément au tramway qui n'y ira pas. Il faut rouvrir les gares fermées ou recréer des haltes pour donner aux gens la possibilité de circuler sans leur voiture. On peut ouvrir une halte à la Hotoie, donner plus d'importance à St Roch, voir sur Étouvie s'il n'y a pas une halte à créer entre la Hotoie et Dreuil.

Saint-Roch prendrait un rôle de seconde porte d'entrée dans l'aire métropolitaine. On pourrait entrer dans la ville et la traverser sans avoir à changer. Par exemple, en ré-ouvrant l'arrêt de Pont-de-Metz, on peut amener des voyageurs à 500 mètres du CHU sud. On pourrait donc prendre le train à Corbie pour descendre au CHU.

Il faudra étudier la hiérarchisation de toutes ces gares.

Le tramway arriverait pour 2018, les projets que vous évoquez seraient-ils encore postérieurs au tramway?

Ce n'est plus la même autorité organisatrice, pour le train, il s'agirait plutôt de la Région. Concernant les coûts, on peut intégrer le matériel dans un plan de renouvellement du parc. Ce qu'il faudrait comme infrastructures supplémentaires, c'est la traversée de la gare du nord, par en-dessous ou par le quartier Gare-la-Vallée, et la construction de la nouvelle gare entre Longueau et Amiens. Ce ne sont pas des travaux herculéens!

Dans l'œil du Télescope

Je me suis entretenu avec François Cosserat lundi 18 novembre, dans son bureau de la mairie d'Amiens. La photo de Une a été prise lors de la fête du rail de Longueau, le 5 octobre 2013.

Pour en savoir plus sur l'idée d'une troisième gare entre Amiens et Longueau, vous pouvez consulter l'ouvrage Amiens 2030, le quotidien en projet, Bazar Urbain, 2013.