Quand la porte de l'EIC reste fermée, une affiche renseigne les passants.
Seulement cinq permanences par semaine, deux ou trois heures chacune. Soient onze heures d'ouverture hebdomadaire, au mieux, lorsque les bénévoles qui animent cet espace ne sont ni absents, ni souffrants.
C'est juste à côté du service de radiologie et d'oncologie de l'hôpital sud que cela se passe. Là, un petit salon aux couleurs chaudes, aux murs des affiches fleuries, un poste informatique sur un bureau, dans un coin, et de quoi faire un café. Et de la documentation sur le cancer évidemment. Car cet espace est d'abord réservé aux patients soufrant d'un cancer et à leurs proches.
L'ouverture de cet Espace info cancer (EIC), ce sont plusieurs volontés qui se rencontrent. Celle de la Ligue contre le cancer, qui ne s'occupe pas uniquement de récolter des dons pour la recherche. L'association tente aussi de venir en aide aux victimes du cancer et à leurs familles. Aide psychologique, conseils, écoute, ou même aide financière, parfois, lorsque les patients sont dans la précarité.
«Cela fait plusieurs années que l'on discute avec les directions successives de l'hôpital pour avoir une permanence à l'intérieur», explique le professeur Mazière, président de l'antenne samarienne de la Ligue contre le cancer. La Ligue propose déjà un accueil dans le local du 77 de la rue Delpech. Mais cette permanence à l'hôpital leur permet d'être au plus près des patients.
Aux côtés de la Ligue, il y a Accueil écoute cancer Somme. Une structure associative plus modeste, mais des objectifs similaires : leur psychologue, leur diététicien et leur intervenante dans le domaine médico-social peuvent apporter soutien et orientation aux patients.
Un CHU en quête d'attractivité
L'autre acteur important du projet, c'est le CHU d'Amiens. Pour l'instant, l'hôpital amiénois n'est pas reconnu comme un site de pointe dans le domaine de la cancérologie.
D'une façon générale, la direction du CHU cherche à améliorer son attractivité au niveau régional et inter-régional, et concurrencer Lille, Reims ou les hôpitaux de région parisienne.
Pour ce faire, l'enjeu est simple: avec la politique de tarification à l'acte en place actuellement, plus un hôpital est attractif, plus ses revenus augmentent. Les hausses de la fréquentation et du nombre d'actes médicaux apporteraient mécaniquement des revenus supérieurs au CHU amiénois.
À ce titre, la direction du CHU ambitionne de devenir un centre de référence en cancérologie et de renforcer son attractivité sur ces pathologies. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le plus récent numéro de la revue interne de l'établissement.
Globalement, il est prévu de déménager les différents services qui traitent de cancers dans une même zone, au sud. Au centre de ce futur pôle, un espace de dialogue, de documentation et de conseils non-médicaux prend tout son sens.
Un institut en quête de confiance
Le dernier acteur du projet d'Espace info cancer est l'INCa, l'Institut national du cancer. Ce groupement d'intérêt public financé presqu'entièrement par les ministères de la Santé et de la Recherche a pour mission de financer la recherche contre le cancer, aussi bien que divers projets de prévention ou de soin.
«Je pense que le projet arrivait après les accidents de sur-irradiation d'Epinal. Il fallait redonner confiance aux patients, créer un espace de dialogue ouvert à toutes les personnes concernées par le cancer», se souvient Corinne Ponthieux, cadre de santé en charge de la création de l'espace info cancer.
Le CHU répond alors à l'appel à projets de l'Institut. L'hôpital libère une salle qui servait auparavant aux archives et met à disposition le mobilier ainsi que le matériel informatique. Le gros des travaux sera financé à équivalence entre l'INCa et la fédération de la Somme de la Ligue contre le cancer.
Fin 2011, les associations commencent à prendre leurs marques et, le 19 mars 2012, l'Espace info Cancer est officiellement inauguré.
À bout de bras des associations
Aujourd'hui, les associatifs sont plutôt satisfaits de pouvoir intervenir au plus près de ceux à qui ils destinent leurs attentions. La fréquentation n'est pas exceptionnelle mais à l'évidence, cette visibilité ne se refuse pas : le local est situé juste à côté de l'accueil du service de radiologie.
«Le Picard est pudique» selon le professeur Mazière. Pas toujours facile, à des populations réticentes, d'apporter une aide hors du contexte médical. «Il faut parfois aller chercher les gens dans le hall pour entamer une conversation, mais ça marche assez bien : on a enregistré quelques dizaines de personnes.»
Corinne Ponthieux confirme : «Il y a un peu de passage, et quelques habitués qui reviennent régulièrement discuter avec l'un ou l'autre des bénévoles présents.» De son côté L'AECS a réuni sept patients en avril pour un atelier d'esthétique. Mais il suffit que les bénévoles soient en vacances, que les intervenants soient souffrants, et l'espace cancer ne tourne plus.
Fin août-début septembre, la porte est restée close la plupart du temps. Corinne Ponthieux, la référente pour l'hôpital, en est la première attristée : «On voudrait organiser des ateliers, animer des rencontres, faire intervenir notre assistante sociale ou notre infirmière spécialisée en image corporelle...» Mais pour le moment, pas facile d'organiser tout cela : les services amenés à traiter les multiples types de cancer sont encore dispersés entre les différents sites du CHU : pour un patient qui ne fréquente pas l'hématologie, la cancérologie ou la radiologie du CHU sud, il y a peu d'occasions de passer devant le local. Aussi chaleureux et accueillant soit-il.
Pas d'argent, juste de la volonté
Le second nœud du problème, c'est l'argent. Si l'INCa a financé, pour moitié, les travaux après la sélection du projet, ils n'ont pas vocation à financer le fonctionnement quotidien ou l'animation de l'Espace info cancer. Sans les ressources de bonne volonté des bénévoles de la Ligue, sans les financements de l'AECS qui proviennent principalement de l'Agence régionale de santé, cet espace dédié au cancer ne pourrait pas continuer à tourner.
Pourtant, Corinne Ponthieux et les associations qui interviennent décident de voir la situation du bon côté: «La réorganisation des services de l'hôpital aura un impact positif», se rassure la cadre de santé du CHU. D'autant que si l'hôpital réussit sa conversion en «centre de référence de cancérologie», l'EIC prendra peut-être une nouvelle ampleur.
Pour le président de la Ligue, la victoire est d'avoir pu mettre un pied dans les murs de l'hôpital: «Jusqu'à récemment, l'idée que des personnes extérieures s'occupent des malades pouvait paraître étrange. Aujourd'hui, les soignants ont l'idée que le parcours du malade doit être intégré entre différents acteurs: non seulement les médecins qui le traitent, mais aussi d'autres intervenants, comme nos bénévoles,formés à apporter un soutien psychologique ou une orientation vers des dispositifs d'aide financière, sociale...»
Par ailleurs, à la Ligue comme à Accueil écoute cancer Somme, l'EIC n'est qu'un plus: chacune de ces structures possède déjà des permanences téléphoniques et des locaux où accueillir les patients, dans des plages horaires plus vastes. Peut-être plus accessibles que ceux de l'Espace info cancer, au moins jusqu'à la réorganisation du CHU.
Lorsque j'ai commencé cet article, je n'ai pas pu voir l'Espace info cancer en fonctionnement. Pendant la première semaine de septembre au moins, l'EIC n'a pas fonctionné, faute de bénévoles et d'intervenants. Au retour des vacances, c'est à dire le 7 septembre, j'ai pu rencontrer Mme Corinne Ponthieux dans l'EIC. J'ai rencontré le professeur Mazière dans les locaux de la Ligue, rue Delpech, le 25 septembre. J'ai enfin contacté le Dr Yanick Leflot par téléphone mercredi septembre.
La direction du CHU limitant la communication au maximum pendant les travaux du CHU sud, je n'ai pas encore pu les rencontrer pour parler de ce sujet ou d'autres.