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L'Esiee déstabilisée par une baisse des effectifs

Le 16 October 2012
Enquête commentaires
Par Fabien Dorémus A lire aussi

C'est un bâtiment connu de tous les Amiénois. Sur la rive droite de la Somme, au niveau du port d'aval, s'élève ce que d'aucuns appellent la «soucoupe volante»: l'École supérieure d'ingénieurs en électrotechnique et électronique (Esiee) d'Amiens, qui forme des ingénieurs en cinq ans. À l'intérieur de la soucoupe, un amphithéâtre tout ce qu'il y a de plus terrestre.

Samedi matin, les parents d'élèves-ingénieurs y avaient rendez-vous pour rencontrer l'équipe de direction de l'école qui, comme chaque année au mois d'octobre, présente l'établissement et les différents aspects du cursus.

Un point particulier de la présentation a éveillé l'intérêt de l'assistance : la baisse des effectifs en première année. La promotion 2012 ne compte que 57 élèves contre 79 l'année d'avant, soit une baisse de près de 28%. Une baisse record pour l'école ! Pourtant l'objectif affiché par l'école à moyen terme est d'approcher un effectif de 100 élèves recrutés chaque année. On en est loin.

 


Lors de la réunion avec les parents d'élèves, samedi matin. Au micro, en bas, le directeur Pierre Loonis.

Au bout d'une heure, le moment des questions arrive, le micro passe de main en main. Et il n'aura pas fallu attendre longtemps pour qu'un parent interroge le directeur général de l'école, Pierre Loonis, à ce sujet.

Comment expliquer cette baisse record? Pour Pierre Loonis, elle provient du mode de recrutement, qui a changé en 2011. Désormais, pour prétendre intégrer l'Esiee, il faut passer le concours «Puissance 11» qui permet d'accéder à douze grandes écoles d'ingénieurs, dont l'Esiee Amiens.

«Volontairement, nous avons placé la barre haut, explique le directeur général, tous les élèves qui sont là sont de haut niveau, d'où la présence de nombreux élèves qui ont obtenu des mentions Bien ou Très bien au bac.» Pour lui, il y aurait donc moins d'élèves car le niveau exigé seraient très haut. Une information très difficilement vérifiable.

Mais alors, une contradiction apparaît: comment atteindre un effectif d'environ 100 élèves par promotion en 2014 alors que l'on durcit les conditions d'entrée? «La qualité appelle la quantité», se contente d'affirmer Pierre Loonis. D'autres sont plus inquiets.

Le comité d'entreprise avait tiré la sonnette d'alarme

La question des effectifs d'étudiants pour l'année 2012/2013 a été posée lors de la réunion du Comité d'entreprise (CE) de l'Esiee-Amiens, le 10 juillet dernier. Le Télescope s'est procuré le procès-verbal de la réunion. Il décrit clairement l'inquiétude des membres du CE quelques semaines après les résultats du concours «Puissance 11».

Nous avons compilé (ci-dessous) les extraits du procès-verbal qui concernent la question des effectifs.

Ce document montre que le président du CE, Pierre Loonis, estimait entre 44 et 86 étudiants les effectifs de première année pour la rentrée 2012. Une fourchette qui va du simple au double! Il donne ensuite une estimation du nombre d'étudiants pour chaque année de formation et en conclut que l'Esiee-Amiens comptera au total «entre 316 et 407 étudiants» à la rentrée.

Pour les membres du CE, représentants des syndicats CFDT et CFTC, les chiffres annoncés par Pierre Loonis sont «optimistes», rappelant que «certains étudiants ont déjà démissionné et n'ont pas encore été pris en compte». Avec seulement 57 élèves-ingénieurs en première année, dont plusieurs redoublants, les chiffres dévoilés en septembre auront conforté leurs inquiétudes.

Plus alarmant, les membres du CE pensent que «la stabilité du nombre d'étudiants dans l'école est uniquement due à la création de la GEB [Génie énergétique du bâtiment, une formation par l'apprentissage crée en 2010, ndlr].» Ils ajoutent que «les effectifs de la formation initiale sont en constante baisse».

Une tendance qui pourrait mettre les comptes de l'école en péril. Un rapide calcul permet de s'apercevoir qu'une baisse durable des effectifs aurait des conséquences très importantes sur le budget de l'Esiee, les frais de scolarité s'élevant à 3800 euros pour les deux premières années de formation et 5000 euros pour les trois suivantes. Si d'un effectif moyen de 75 élèves aujourd'hui, toutes les promotions de l'école passaient à 55 élèves, la perte sèche avoisinerait chaque année 500 000 euros. Rappelons que le budget annuel de l'Esiee s'élève à 5,5 millions d'euros environ.

«Si les effectifs n'augmentent pas, ce n'est pas viable»

Alors que faire? Les collectivités territoriales associées à la vie de l'Esiee ont leur idée. Membre du conseil d'administration de l'école depuis 2004, Didier Cardon (PS), élu d'Amiens métropole et de la Région, est sans doute le mieux placé pour en parler. Pour lui, la baisse des effectifs constatée cette année «est dangereuse» pour l'avenir de l'Esiee : «Si les effectifs n'augmentent pas, ce n'est pas viable».

«L'Esiee est trop petite, explique Didier Cardon. En France, d'autres écoles d'ingénieurs, plus grosses, ont augmenté leur nombre de places. Donc pour rivaliser l'Esiee ne doit pas rester toute seule.» Pour ce faire, la Région et Amiens métropole demandent depuis plusieurs années un rapprochement entre l'Esiee et l'Université de Picardie Jules-Verne (UPJV). Une première étape a été franchie en ce sens cet été avec la signature d'une convention de coopération entre les deux structures.

Pour Didier Cardon, il faut aller plus loin, multiplier les partenariats, notamment en matière de recherche. Car dans cette école d'ingénieurs, la recherche n'est pas le point fort. Pour preuve : ces dernières années, un nouveau bâtiment (nommé «épi n°3»), consacré au transfert technologique (de la recherche à l'industrie) a été construit dans l'enceinte même de l'Esiee. Et paradoxalement, «il ne contient pas d'équipe de recherche de l'Esiee, regrette Didier Cardon, juste une équipe de l'UPJV.»

Des financements publics appelés à diminuer

Pour aller plus loin dans le rapprochement, encore faut-il que la direction de l'Esiee soit d'accord. «Il faut que l'Esiee prenne une décision stratégique, indique Didier Cardon. Nous attendons des réponses.» Statutairement, l'école est dirigée par le président de la Chambre de commerce et d'industrie territoriale (CCIT) d'Amiens-Picardie, Bernard Désérable. C'est lui, en partie, qui décidera de l'avenir de l'école.

Par ailleurs, Didier Cardon souhaite que le mode de financement de l'Esiee change. Depuis sa création en 1992, l'Esiee vit en grande partie grâce aux subventions publiques. Jusqu'en 2004, la Région et le Département donnaient chacun 850 000 euros par an à l'école. En 2004, la gauche arrive à la Région et décide de réduire de moitié sa subvention de fonctionnement à l'école privée: «Nous avons consacré cette somme à des aides directes aux étudiants», explique Didier Cardon. En 2008, c'est le Département, lui aussi passé à gauche, qui décide de retirer ses billes.

Deux ans plus tard, la Région fait marche arrière et honore son niveau de financement initial (850 000 euros). Mais les subsides seront consacrées au soutien à la recherche, et non au fonctionnement de l'établissement. Quant à Amiens métropole, elle est propriétaire des murs de l'Esiee, et en assure les grands travaux d'entretien. Elle aussi verse 850 000 euros chaque année en subvention, mais cela pourrait changer à l'avenir. «Financer cette école ad vitam aeternam par des subventions n'a pas de sens, pour Didier Cardon, il faut augmenter la participation du privé via la taxe d'apprentissage, par exemple.»