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Les salariés d'associations se rebiffent

Le 03 July 2013
Enquête commentaires (1)
Par Mathieu Robert

Fin de matinée tendue au Rendez-vous des partenaires de la vie associative, qui se tenait lundi dans l’amphithéâtre de l'espace Dewailly à Amiens.

Il est presque midi. Romain Ladent, porte-parole du tout jeune Collectif des associations citoyennes en colère prend la parole. Il s'adresse aux élus en charge des associations dans les collectivités: «J'ai trouvé votre ton très méprisant!». Il cible Laurence Rossignol, l'élue chargée de la vie associative à la Région, qui s'était exprimée quelques minutes auparavant.

«Je réitère mon invitation à venir voir la réalité du milieu associatif», adresse-t-il, énervé, à Jean-François Coquand, directeur régional de la Jeunesse, des sports et de la cohésion sociale.

Une colère sous anonymat

Il y a quelques semaines, son collectif, qui revendique une vingtaine de membres issus du monde associatif picard, a adressé une lettre aux élus des collectivités de la région. Elle commençait ainsi : «Les associations sont en train de mourir, les subventions se réduisent, la concurrence s’accroît».


Romain Ladent

Lundi, Romain Ladent est venu exprimer publiquement les doléances du collectif auprès de la puissance publique.

Les autres membres du collectif préfèrent rester anonymes. Ils travaillent tous pour des associations œuvrant dans le social, le socioculturel, le culturel ou la santé. «Ce n'est pas simple de dénoncer quand on est responsable ou salarié et que l'on dépend soi-même du système que l'on dénonce, explique Romain Ladent. S'ils disent quelque chose, cela aura une conséquence sur leur propre structure. En effet, les associations vivent en partie grâce aux subventions publiques.

En revanche, Romain Ladent peut parler sans ambages aux élus. Son poste de formateur freelance et sa structure ne sont pas subventionnés par les collectivités.

Le collectif dénonce tout d'abord la baisse des financements et la complexification des démarches administratives imposées au milieu associatif.

«On passe plus de temps à rechercher des financements pour son poste qu'à agir, regrette Romain Ladent. Lorsque j'étais responsable d'un centre social, il m'est déjà arrivé de remplir près de 80 dossiers de financement en une année pour embaucher l'équivalent d'une dizaine de temps plein.»

Les précaires aident les précaires


Espace Dewailly, lundi matin

Le collectif dénonce également le manque de perspectives financières dans lequel sont plongées les associations. Le plus souvent, elles ont douze mois de visibilité. «Il n'y a pas assez de pluriannualité des financements, explique Romain Ladent. Une association ne peut pas se projeter à deux ou trois ans

Et de prendre l'exemple d'un animateur socioculturel, qui gagne entre 1200 et 1400 euros net par mois: «Son poste est en permanence financé par un dispositif aidé. Chaque année il se pose la question de son avenir, dénonce le porte-parole du collectif. Mes salariés s'occupent des personnes les plus précaires et sont eux-mêmes précarisés».

Ces revendications apparaissent après une période de développement du salariat dans le monde associatif. En France, le nombre de salariés dans les associations est passé 1,4 million à 1,8 million entre 2000 et 2011. «Le nombre de salariés a été multiplié par trois depuis le début des années 80», observe même Mathieu Hély, sociologue du monde associatif.

De la subvention à la commande publique

Ce qui a changé ces dernières années, c'est le mode de financement public. «On passe d'une logique de la subvention, où la puissance publique apporte son soutien à une initiative privée sans exigence de contrepartie à une logique de la commande publique», explique Mathieu Hély.

Selon les premiers résultats d'une étude du CNRS, Le paysage associatif français 2011-2012, à paraître en septembre prochain, les collectivités font de plus en plus appel aux commandes publiques (appels d'offres et appels à projets) et de moins en moins au subventions.

Entre 2005 et 2011, la part des subventions dans les financements publics a chuté de 10 points, passant de 34% à 24% du financement global des associations.

Pour le collectif, ce phénomène a pour conséquence de mettre en concurrence les associations entre elles. «Seules les petites associations, sans salariés et sans subventions, ou les grandes associations (nombreux salariés, activités lucratives) resteront en vie, prévoit le collectif picard. Les moyennes disparaîtront, réduiront la voilure ou entreront dans le monde des grands en jouant le jeu de la concurrence et de la lucrativité.»

C'est qu'observe le sociologue Mathieu Hély. «Le monde associatif est en voie de dualisation entre des groupements 'traditionnels' régis par la loi de 1901 et administrés exclusivement par des bénévoles et un pôle constitué de véritables 'entreprises associatives' chargées de mettre en œuvre les politiques publiques».

La CPCA Picardie partage l'analyse

«Ce que l'on pense est partagé par tous, assure Romain Ladent. Mais c'est difficile à exprimer. Les instances qui doivent nous représenter politiquement, comme la CPCA Picardie [Conférence permanente des coordinations associatives, ndlr] ou le Crajep [Comité régional des associations de jeunesse et d'éducation populaire de Picardie, ndlr] sont très politiquement correctes».

«Nous sommes un outil de lobbying, explique Yann Joseau, directeur de l'antenne picarde de la CPCA, qui organisait le Rendez-vous des partenaires de la vie associative. Notre parole est plus consensuelle». «Mais notre parole est plus forte car elle est plus partagée, assure Marie Fauvarque, la présidente régionale de cette structure qui fédère 60% des associations en France. Mais nous n'avons pas vocation à interpeller les citoyens».

 


Marie Fauvarque, présidente de la CPCA Picardie

Les responsable de la CPCA estiment partager le constat posé par le Collectif des association citoyennes en colère. «On passe d'un système de subvention qui finance l'initiative à la commande publique, qui cherche une prestation», analyse Yann Joseau.

Cette mutation passe par la systématisation des appels d'offre (les associations doivent répondre à une commande des collectivités). Un exemple non picard, propose Yann Joseau: «Un jour, un lycée va faire appel à une troupe de théâtre locale pour un projet. Le conseil régional va financer l'initiative. Quelques années plus tard, le conseil régional se rend compte que 200 lycées ont mené la même initiative, avec chacun un cahier des charges différent. Le conseil régional va demander à ce qu'un seul opérateur réalise tous ces projets, et passer commande en marché public. Aucune compagnie locale ne pourra répondre, et c'est une grosse entreprise qui répondra».

La commande publique, ce sont aussi les appels à projets (les associations doivent proposer des projets aux collectivités pour faire financer leurs actions). «Grâce aux appels à projet, les collectivités font ce qu'elles veulent, explique Claire Bizet de la CPCA. Elles ne financent plus le fonctionnement des associations, mais des projets».

Le phénomène ne touche pas tous les secteurs du monde associatif, qui employait fin 2012, 41 600 personnes en Picardie selon l'Urssaf. «Les premiers secteurs impactés ont été le social et le médico-social parce qu'ils s'agissait de secteurs plus professionnalisés et réglementés, explique le directeur de la CPCA. Et aujourd'hui c'est le secteur de l'éducation qui commence à être touché».

Résultat: la qualité des conditions de travail se dégrade, les conflits se multiplient à l'intérieur des structures.