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Les réseaux humains du médecin en campagne

Le 23 September 2012
Portrait commentaires

Le docteur Le Roy pose devant les portraits de ses enfants.

D'abord, il faut situer Oresmaux. Ce petit village de 850 âmes se trouve au sud d'Amiens, à peine une quinzaine de kilomètres à vol d'oiseau. Juste après Grattepanche, indique le docteur Arnaud Le Roy aux citadins qui voudraient lui rendre visite.

D'ailleurs pour ce médecin, Oresmaux, ce n'est pas vraiment la campagne. Certaines maisons sont des fermettes, mais peu de leurs occupants sont encore agriculteurs. Le médecin voit plutôt son village comme la grande banlieue de la préfecture : «vu le prix des terrains et la proximité, c'est intéressant d'habiter ici quand on travaille à Amiens. Se loger à Amiens c'est compliqué et c'est cher.»

C'est peut-être ce qui l'a amené ici, il y a une vingtaine d'années. Tout jeune médecin de 28 ans, après quelques années à remplacer des collègues en congés, il achète une petite maison du village, la retape peu à peu et y crée son propre cabinet. Comme il habite le village voisin, c'est comme s'il était vraiment du coin. Parallèlement, sa patientèle se crée. Des gens qui lui ressemblent, pense-t-il : «Avec le médecin, il faut qu'il y ait un échange, une vraie relation de confiance. Ceux qui ne se sentent pas bien changent de médecin.»

L'ombre du burn-out

Sa patientèle ? «Il y a une grande mixité sociale, et c'est très agréable.» Mais, dans l'ensemble, une très faible part de patients en précarité, de ceux que l'on repère par leur Couverture maladie universelle (CMU). Moins d'un pour cent, estime le médecin : «certains collègues généralistes ont plus de 40% de patients couverts par la CMU.»

La patientèle d'Oresmaux et des environs, ce sont plutôt des familles où l'on travaille, atteintes par les affections de la modernité. Le burn out, que le médecin appelle habituellement «syndrome d'anxiété généralisée». «C'est répandu dans les professions de contact, où il faut bosser à 200% et toujours arborer le sourire Miss France.» Les gens présentent des troubles du sommeil, des troubles alimentaires ou des troubles de l'humeur mais rien de bien précis qui les inciterait à consulter leur médecin. Quand le mal-être va trop loin, ils «s'écroulent, d'un coup.»

Le mal-être des ados, les conduites addictives avec l'ordinateur ou l'alcool, voilà ce qui taraude ce médecin dans sa pratique de tous les jours. Avec l'idée qu'une consultation peut aussi être le lieu de l'information, de la prévention, rien ne doit être tabou: «si ce n'est pas moi qui en parle, ce n'est pas le boulanger qui s'en chargera,» plaisante le Docteur Le Roy.

Moins seuls qu'à la ville?

L'isolement des personnes âgées ? Il est moindre à la campagne: «À Amiens, quand on est seul on l'est vraiment. Ici, même les plus seuls, les plus isolés reçoivent au moins une visite par jour. Un voisin, un ami. Parce que les gens se connaissent mieux, et se font un devoir de se rendre visite?», s'interroge Arnaud Le Roy. «En tout cas c'est plus facile de pousser la porte d'une maison à la campagne, que de rentrer dans une amiénoise.»

Au fond, parmi les affections que rencontre ce médecin dans le sud de la métropole amiénoise, rien d'extraordinaire. La spécificité d'un médecin hors de la ville, ce sont peut-être les tournées. Dans des zones peu densément peuplées, comme à Oresmaux, elles ont une importance particulière.

Pour le Docteur Le Roy elles sont quotidiennes : tous les matins, il sillonne sa zone. «Ce matin, je n'ai vu que des gens qui auraient eu des difficultés pour venir jusqu'au cabinet : patients immobilisés, aveugles, un enfant qui convulsait, des patients hospitalisés à domicile...»

Bref, une vraie nécessité, le plus souvent, dont le médecin s'acquitte, par tous les temps, en toute saison, sur les routes mauvaises de la campagne amiénoise. Au hasard d'une tournée, il croise aussi ses patients en bonne santé. Hors du cabinet, une discussion, une visite de courtoisie. «On se dit bonjour, on boit le café, les rapports humains sont différents à la campagne.»

On en vient vite à connaître tout le monde. Le médecin reçoit parfois poulets, pommes de terre, œufs de la part de ses patients. Il connaît même les gendarmes. Ils lui donnent du «tu» et l'appellent pour constater un décès: occasionnellement le médecin de campagne endosse le rôle du médecin légiste.

Réseaux formels et informels

Pourtant le médecin d'Oresmaux n'est pas seul au monde dans un «désert médical.» Loin s'en faut. «On n'est pas vraiment isolés: je sais que je suis à dix minutes d'ambulance du CHU Sud et des cliniques privées.» Le prochain médecin généraliste est à 3km, à Saint-Sauflieu et les rapports sont étroits entre les médecins des zones rurales, car ils doivent assurer des gardes le week-end. Ils échangent sur leurs patients, se conseillent. Mais il connaît aussi bien les paramédicaux qui opèrent dans le secteur. Il a tous les numéros de portable des infirmières et infirmiers et eux non plus n'hésitent pas à l'appeler.Tous savent que le matin il tourne dans la zone et qu'il peut faire un crochet si un patient a besoin de soins. Et lui sait qu'il peut compter sur certains collègues spécialistes qui travaillent à la ville ou à l'hôpital pour prendre ses patients en urgence, s'il le faut.

L'après-midi, le médecin reçoit dans son cabinet, jusque tard le soir. Tous les jours, sauf le mercredi : ce jour-là, il le passe avec ses enfants. Un emploi du temps bien rempli, que le médecin aurait pu échanger contre une vie plus calme.

Par ailleurs gériatre, Arnaud Le Roy aurait pu se consacrer à une maison de retraite. Ou à un accueil de jour pour patients souffrant de la maladie d'Alzheimer, qu'il ambitionnait, un temps, de créer. Il a quand même préféré Oresmaux et ces «relations de proximité» qu'il y a tissé depuis vingt ans avec les habitants.

Dans l'œil du Télescope

Pour ce portrait, je cherchais un médecin de zone rurale. Certains ont refusé, qui ne souhaitaient pas s'exposer médiatiquement.

J'ai rencontré le docteur Le Roy à son cabinet, le mardi 18 septembre, juste entre sa tournée matinale et ses visites de l'après-midi.