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Les médecins défendent le secteur II

Le 14 November 2012
Par Rémi Sanchez

Le CHU d'Amiens, peu concerné par la grève: une trentaine d'absents lundi et mardi.

«On n'est pas des inconscients, on sait que l'on a des patients à soigner, ce n'est pas une grève dure.»

Cela peut probablement résumer l'état d'esprit des médecins devant cette grève. Lundi, ils étaient quelques milliers, dont des praticiens samariens, à défiler jusqu'au ministère de la Santé à Paris, pour être entendus par Marisol Touraine, leur ministre.

Mais beaucoup de grévistes, comme le docteur Luc Richard, urologue à la polyclinique de Picardie, ont préféré assurer leur devoir. Dans son établissement 50% des effectifs de médecins, chirurgiens ou anesthésistes ont suivi le mot d'ordre du syndicat Le bloc. Soit une quinzaine de médecins grévistes, selon la direction, et de nombreuses interventions chirurgicales reportées, lundi, mardi et ce mercredi 14.

Tous ont maintenu leurs rendez-vous et leurs consultations de suite opératoire. Comme le docteur Luc Richard, même si les raisons de son mécontentement sont sérieuses.

Pour lui, la Sécu n'a pas tenu compte de l'augmentation du coût des interventions: «depuis les trente dernières années, l'intervention de base de la prostate a été revalorisée de 6%. Mais en trente ans, les techniques ont changé! On n'opère plus au bistouri, on utilise des techniques moins invasives, on utilise du matériel de pointe et tout cela a un coût. Et celui déterminé par la Sécu n'est pas le vrai coût.» D'où son incompréhension face au projet d'encadrements des dépassements d'honoraires.

À Amiens, des tarifs pratiqués loin du plafond imposé

Pour autant, le docteur Richard estime que le problème du plafonnement des honoraires est moindre dans notre région qu'au niveau national. «En Province, dans une ville comme Amiens, on est plutôt dans des dépassements d'honoraires de l'ordre de 80% du tarif de la sécurité sociale. On ne serait pas immédiatement touchés par les mesures proposées.»

Pas immédiatement. Mais le plafonnement des dépassements à 150% du tarif de la Sécu, sera renégocié dans les années qui viennent selon le texte signé le 25 octobre.

La tarification en secteur II existe depuis le début des années 80. Elle correspond, pour un médecin, à l'autorisation donnée par la sécurité sociale et l'ordre des médecins de pratiquer, de façon raisonnable, des dépassements d'honoraires. Les patients sont remboursés au même tarif que pour un médecin de secteur I, ils doivent donc apporter un complément ou espérer que leur mutuelle prenne en charge ces frais.

Ce secteur II est aujourd'hui accessible lors de la première installation libérale d'un médecin, sur conditions de qualifications obtenues dans le parcours en médecine hospitalière : chef de clinique, certains assistants des hôpitaux... C'est pourquoi elle concerne aujourd'hui plus de médecins spécialistes exerçant en libéral que de médecins généralistes.

Ce qui explique que, de son côté, le CHU ait connu peu de perturbations, lundi et mardi, suite à cette grève. Seuls deux chefs de cliniques ont fait grève, en plus de la trentaine d'internes renforcés par quelques étudiants externes.

La médecine générale divisée

La mobilisation est d'autant plus faible que certains syndicats comme le l'ISNAR-IMG (Inter syndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale) sont restés en retrait: «la grève est une arme dont il faut user avec parcimonie», explique leur communiqué.

Leur argument : les revendications du mouvement de lundi sont trop disparates. Liberté d'installation, immixtion des mutuelles, conditions de travail des internes... manifester n'aiderait pas à une réflexion de fond qui reste à mener.

La réflexion, c'est ce que le syndicat FMF (Fédération des médecins de France) va proposer à ses membres, le 2 décembre, en assemblée générale. Lors de négociations, compliquées, le syndicat avait suspendu sa décision à la consultation de ses membres mais, aujourd'hui, il appelle à la grève.

Pour Jacques Marlein, médecin généraliste dans l'Aisne et président régional du syndicat, l'accord pose problème du fait des avancées des organismes de mutuelles, unies dans l'Unocam (Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire)

L'offensive des mutuelles de santé

Selon lui, la limitation des dépassements d'honoraires du secteur II ne serait qu'une preuve de l'influence grandissante des mutuelles dans la modification de notre système de remboursement.

«Depuis 2005, on voit les tentatives de faire passer la couverture maladie ambulatoire sous l'emprise des mutuelles», explique le médecin, très pessimiste à propos de la médecine de ville. «Il faut bien comprendre que les mutuelles fonctionnent comme des assurances. Pour établir une prime, les assurances ont besoin de pouvoir calculer le risque pris. Or le secteur II, avec ses plafonds libres, représentait un risque impossible à calculer.»

Par ailleurs, la loi a récemment donné l'autorisation aux mutuelles de créer des réseaux de médecins, de la même façon qu'elles régulent des réseaux d'opticiens aux remboursements assurés. Les médecins libéraux, eux, y voient une vraie menace de contrôle sur leur profession et, pourquoi pas, un retrait progressif de l'assurance maladie dans les remboursements de médecine de ville.

Parmi les grévistes, ce n'est pas l'enthousiasme. La grève illimitée est plus que difficile pour les médecins : qu'ils travaillent dans le privé ou le public, la charge de travail est réelle. Et tous sentent bien la dispersion de leurs messages, entre syndicats étudiants, syndicats de spécialistes ou de généralistes, de libéraux ou du public, mouvements spontanés et tout jeunes comme les «médecins pigeons». L'espoir est maigre de susciter le débat public dans cette confusion.

Dans l'œil du Télescope

L'article résulte d'une série d'entretiens avec les externes grévistes, une interne généraliste non gréviste ainsi qu'avec Jacques Marlein, représentant le syndicat FMF.
Malgré des demandes répétées médiées par le service communication du CHU, les responsables locaux de l'ISNIH, inter-syndicale d'internes spécialistes, n'ont pas souhaité répondre à mes questions sur leur mouvement de protestation.

Les effectifs de grévistes ont été fourni par le service communication du CHU d'Amiens.