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Les jeunes militants cherchent à convaincre

Le 16 December 2013
Reportage commentaires
Par Fabien Dorémus

À la base, c'est une histoire de copains. L'un est membre de l'Union des démocrates indépendants (UDI), l'autre est au Parti socialiste (PS). Paul-Éric Dècle, 21 ans, et Rémi Cardon, 19 ans, se connaissent depuis le lycée (Louis-Thuillier, à Amiens). Tous les deux sont aujourd'hui étudiants à la faculté de Droit-Sciences-Po située au quartier Saint-Leu.

C'est à leur initiative que s'est déroulée, jeudi dernier dans cette fac, une conférence intitulée « Osez jeunesse ». Son objectif ? Tenter de convaincre les étudiants présents de s'engager durablement en politique. De militer. De prendre sa carte dans un parti politique. Bref, de quitter la confortable position de simple observateur de la vie politique.

«Globalement, les étudiants se tiennent bien informés de l'actualité politique, analysait Paul-Éric Dècle avant la conférence. Certains voudraient bien adhérer à un parti politique mais, bien souvent, ils ont peur d'être fichés.» Lui, membre de l'UDI depuis sa création fin 2012, n'a pas l'impression d'être catalogué par ses pairs.



Une petite centaine de personnes, lors de la conférence de jeudi.

Ce militant UDI, impliqué depuis le début dans la campagne de Brigitte Fouré pour l'élection municipale d'Amiens, a commencé à s'intéresser à la politique dès l'âge de 15 ans. C'était pendant la campagne présidentielle de 2007. «Après, je suivais tous les jours l'actualité sur internet, à la télé, dans les journaux.» Mais aucun parti ne lui sied alors.

Il finit tout de même par adhérer à l'UDI, après une conférence de Jean-Louis Borloo en décembre 2012. Pour des raisons de politique européenne. «Je suis fédéraliste. Je rêve que l'Union européenne devienne un État avec un code civil, un chef d'État. J'espère que je le verrai avant de mourir.»

À la fac, Paul-Éric Dècle s'approche de l'Uni, organisation de «la droite universitaire», mais n'adhère pas. «Trop centré sur le cadre étudiant» à son goût. À l'université, justement, parmi les étudiants, il constate «une certaine défiance à l'égard de la politique». Il décide alors de tenter promouvoir sa passion pour l'engagement politique. C'est là qu'il fait appel à son ami du Mouvement des jeunes socialistes (MJS).

«Envie de représenter les gens»

Rémi Cardon est tombé tout petit dans la potion socialiste. Son père n'est autre que Didier Cardon, élu municipal, métropolitain, régional, et ex-candidat à la candidature PS pour l'élection municipale d'Amiens en 2014. «Dès le plus jeune âge, j'ai été habitué à coller des affiches, distribuer des tracts, aller dans les manifs.» C'est tout naturellement qu'il adhère au MJS en 2009, à l'âge de 15 ans.

C'est tout naturellement aussi qu'il considère que «faire de la politique, c'est avoir envie de représenter les gens». Pas étonnant alors qu'il explique «avoir été délégué de classe tous les ans», et qu'il soit aujourd'hui membre du Conseil régional des jeunes de Picardie et du Conseil amiénois de la jeunesse. «Je règle mon pas sur le pas de mon père», aurait dit Jean Yanne.

Lorsque son ami Paul-Éric Dècle l'appelle il y a un mois et demi pour lui parler de son idée de conférence, Rémi Cardon n'hésite pas. Car lui aussi fait l'amer constat d'une défiance des jeunes envers la politique. «Certains pensent que c'est un monde de type mafia.» Il décide alors de s'occuper de la communication de l'événement.

Mais les deux jeunes militants souhaitent élargir le cercle. Rapidement, Paul-Éric Dècle contacte un autre de ses amis, Hakim H., militant chez les jeunes de l'Union pour un mouvement populaire (UMP).

Une première version à quatre

Hakim H. est adhérent de l'UMP depuis un an. Pour lui, l'important est «de participer au destin commun de notre République». À la tribune, lors de la conférence, il tentera de convaincre son auditoire que «l'engagement politique est un acte noble» et que le fait de côtoyer les élus «qui ont, eux, le pouvoir politique», permet d'être «au plus proche du changement».

Plutôt à l'aise en prenant la parole en public, Hakim H. semblait prendre parfois des intonations analogues à celles du précédent président de la République. Pas si surprenant pour quelqu'un qui s'est formé à la politique sous l'ère Sarkozy, comme beaucoup d'autres à Amiens (voir notre reportage dans les coulisses de la jeunesse UMP).

Pour élargir à nouveau le cercle des futurs intervenants, Hakim H. contacte à son tour une amie, Marie Hy. Elle n'est membre d'aucun parti politique. Elle expliquera lors de la conférence «représenter ceux qui s'intéressent à la politique mais qui restent sans étiquette», même si elle envisage très prochainement de s'engager.

Voilà donc les quatre intervenants trouvés. Les organisateurs prennent contact avec le doyen de la faculté de Droit-Sciences-Po, Benoit Mercuzot, et réservent un amphithéâtre pour le 12 décembre. Rémi Cardon s'occupe de la communication sur les réseaux sociaux.



Paul-Éric Dècle ; la première version de l'affiche de l'événement ; Rémi Cardon.

Voyant l'annonce de l'événement sur les réseaux sociaux, un autre étudiant de la faculté demande a être intégré à la liste des intervenants. C'est Mohammed Anaya, 25 ans, coordinateur régional du Mouvement des jeunes écologistes. Une organisation rattachée à Europe-Écologie-Les-Verts (EELV).

Il contacte Rémi Cardon et est ajouté à la liste des intervenants. Dans son intervention, à la tribune, Mohammed Anaya mettra l'accent sur l'école. Pour lui, c'est l'apprentissage de l'histoire qui lui a donné le goût de l'engagement. «L'histoire c'est la politique d'hier ; la politique, c'est l'histoire d'aujourd'hui.»

Les étudiants qui se sont succédés à la tribune ont mis l'accent sur ce qui avait été moteur dans leur engagement et ce que cet engagement leur apportait. Mais Mohammed Anaya en a profité pour faire une intervention plus politisée. Avant la conférence, il confiait : «La défense de l'environnement est incompatible avec le système capitaliste, même si je n'exclus pas, à droite, ceux qui sont sincères dans leur engagement écologiste». À la tribune, il étayera son propos avec l'exemple de la lutte contre le chalutage en eaux profondes.

Après les cinq interventions des jeunes militants, la parole fut donnée à la salle. La première a la demander fut Zoé Desbureaux, secrétaire fédérale des Jeunes communistes (JC).



Zoé Desbureaux, responsable fédérale des jeunes communistes.

Les jeunes communistes voient rouge

L'intervention était préparée à l'avance. Pour la simple raison que les Jeunes communistes n'ont pas été invités par les organisateurs. «Nous nous étonnons de ne pas avoir été conviés à cette conférence à l’affiche si attrayante, commence Zoé Desbureaux. Nous sommes pourtant, l’une des plus grosses organisations de jeunesse en France.» À Amiens, après des années plutôt ternes, les jeunes communistes seraient dans une nouvelle dynamique. «On est dix encartés, et à la dernière réunion nous étions plus de vingt», expliquaient quelques militants en marge de la conférence.

Au micro, Zoé Desbureaux continue : «Mais limite, vous ne vous avez pas invités, tant mieux. Nous avons ainsi la preuve de votre mépris pour les forces progressistes, vous confirmez les lignes politiques de vos aînés.»

L'intervention dure quelques minutes. À la fin, Paul-Éric Dècle répond depuis la tribune que si les JC n'ont pas été invités c'est uniquement pour des contraintes de temps. Il leur reproche alors aussi de ne pas s'être manifestés avant, comme l'a fait de son côté le militant écologiste.

Alors. Les communistes ont-ils été boycottés ? La veille de la conférence, Paul-Éric Dècle expliquait par téléphone que la liste des intervenants s'était limitée à cinq «pour que la conférence ne soit pas trop longue». De son côté, Rémi Cardon apportait d'autres éléments. Il expliquait d'abord avoir sollicité les jeunes communistes «mais ils n'avaient pas trop le temps». Ce que démentent les intéressés. Il enchaîne avec un autre argument : «On m'a dit que si on invitait les JC, il fallait inviter le FNJ [les jeunes du Front national, ndlr].» Il n'y voyait pas d’inconvénient mais, avec deux intervenants supplémentaires, se posait alors la question de la durée de la conférence.

La place des femmes en politique

Le parallèle entre communistes et militants d'extrême droite fait bondir les militants des JC. Visiblement, cet argument était déjà venu aux oreilles de Zoé Desbureaux avant la conférence, puisque dans son intervention, elle précisera : «Ne nous sortez pas l’argument de «on n’invite pas les extrêmes», c’est digne d’une intervention de Jean-François Copé au Grand Journal.»

Au final, la conférence fut plutôt une réussite. En tout cas en terme d'affluence. Dans l'amphithéâtre, une petite centaine de personnes avaient pris places. Dont beaucoup d'étudiantes. Ce qui fera réagir, dans le public, Anne-Marie Queulin, responsable de l'association féministe Femmes solidaires : «Il y a beaucoup de filles dans la salle, mais très peu à la tribune».

La conférence s'est terminée avec les interventions en tribune de deux candidats à la mairie d'Amiens, Thierry Bonté (PS) et Brigitte Fouré (UDI).



Thierry Bonté et Brigitte Fouré, lors de la conférence.

Le premier indiquera les événements marquants qui l'ont fait entrer en politique : la lutte contre l'apartheid en Afrique-du-Sud, la mort de Salvador Allende au Chili, la guerre au Vietnam. La seconde rebondira sur l'intervention d'Anne-Marie Queulin : «C'est vrai que la politique est beaucoup plus difficile pour les femmes que pour les hommes. Mais venez mesdemoiselles, on a besoin d'élues et de candidates ! Et, au-delà, de militantes qui participent à la vie de la cité.»

Les organisateurs de la conférence envisagent de créer très bientôt une association visant «à rassembler tous ceux qui sont engagés politiquement ou qui souhaitent le faire». La conférence de jeudi n'était donc qu'une première pierre.

Dans l'œil du Télescope

Avant de me rendre à la conférence du 12, j'avais contacté par téléphone la quasi totalité des étudiants concernés.

Après la parution de cet article, Paul-Éric Dècle et Hakim H. font savoir que ce sont eux qui sont à l'origine de l'événement, et que Rémi Cardon n'a été contacté qu'ensuite. Soit.