Stéphane Magnier, Snuipp
François Hollande l'avait promis durant son quinquennat, la priorité ira à l'éducation. Pas étonnant alors que le nouveau ministre de l'Education Vincent Peillon (PS) multiplie les annonces: création de 1000 postes de professeurs des écoles, 280 postes d'enseignants dans le secondaire, 75 postes de conseillers principaux d'éducation (CPE), abrogation du décret sur l'évaluation des profs, allongement des vacances de la Toussaint, etc.
Cette semaine, le ministre a enfoncé le clou en envoyant une lettre à tous les personnels de l'Education nationale dans laquelle il détaille ses priorités, de la maternelle au lycée en passant par la formation des maîtres.
Unanimement, les syndicats enseignants saluent un «changement d'esprit», l'absence «d'annonce négative» et des initiatives «porteuses d'espoir». «Après cinq ans de destruction des services publics, ça nous fait presque tout drôle», sourit Stéphane Magnier, enseignant à la maternelle de Bray-sur-Somme et responsable Snuipp, le syndicat majoritaire du primaire. «C'est une situation nouvelle pour nous, avoir un Etat du “bon côté”. Notre rôle est maintenant d'assurer que les espoirs se transforment en faits».
Dans la Somme, six postes de professeurs des écoles devraient être créés à la rentrée. «Depuis cinq ans, 200 classes ont été fermées dans le premier degré», rappelle-t-il, «là, on nous promet six créations. Pour faire une bonne rentrée, il en faudrait beaucoup plus!»
Hervé Le Fiblec, responsable du Snes, syndicat majoritaire dans le second degré, abonde dans ce sens: «En dix ans, les collèges et lycées de l'académie ont perdu près de 20% de leurs postes. La situation est catastrophique. Nous avons des besoins absolument partout. Il faudrait un plan d'urgence sur l'ensemble de l'académie d'Amiens. Dans la Somme et l'Aisne particulièrement: des départements sous qualifiés et aux faibles taux d'accès au bac et à l'enseignement supérieur».
Les six créations de postes devraient concerner les maternelles La Paix à Amiens et La Rotonde à Ailly-sur-Somme, les écoles primaires de Rubempré, Nibas et Mesnil-Saint-Nicaise. Un dernier poste sera affecté au remplacement.
« Le changement, c'est lentement »
Créer six emplois seulement, une goutte d'eau dans le désert? Au syndicat Unsa, on ne fait pourtant pas la fine bouche. Son responsable local, Philippe Decagny, rappelle «qu'il n'y aurait pas eu un seul poste créé si l'on n'avait pas changé de gouvernement!». Néanmoins, le syndicaliste ne compte pas rester les bras croisés. C'est seulement le 5 juillet que seront officialisées les créations. D'ici là, des choses peuvent bouger, d'après lui.
Philippe Decagny estime que le rectorat a encore environ 8 postes «sous le coude». «Alors nous avons mis en évidence seize points chauds dans le départements». Seize établissements qui nécessiteraient en priorité l'arrivée d'un nouvel enseignant. En espérant être entendu.
Malgré les annonces positives du gouvernement, «le changement, c'est lentement», regrette Hervé Le Fiblec sur le blog de son syndicat. Dans sa ligne de mire: la formation des enseignants. Jusqu'à la rentrée 2009, les nouveaux profs entraient dans le métier progressivement, alternant avec des périodes de formations (65% de leur temps). Depuis 2010, la phase de formation a été supprimée, jetant ainsi dans le grand bain de l'Education des jeunes fonctionnaires moins bien aguerris. «On espérait que l'on repasserait à 50% du temps en formation», indique le responsable du Snes «mais ce ne sera que 25%. On attendait davantage.»
Problème: pour permettre du temps de formation, il faut que les jeunes profs puissent être remplacés par d'autres jeunes. Or, de moins en moins d'étudiants s'inscrivent au concours de l'enseignement. Une tendance ancienne qui s'est aggravée ces dernières années.
Car le métier n'est plus aussi attractif. «L'image de la profession est moins bonne, regrette Hervé Le Fiblec. C'est lié à la dégradation du climat scolaire. Avec moins de surveillants, moins de CPE et des chefs d'établissements qui ont de plus en plus de pouvoirs.» Si bien que la rupture entre la direction et le personnel est consommée dans bon nombre d'établissements. «Rien que la semaine dernière, trois collèges de l'Oise se sont mis en grève, et pas des collèges considérés difficiles.»
Vincent Peillon souhaite t-il réorganiser le management à l'école? Rien n'est prévu pour le moment, excepté quelques aménagements à la marge. Hervé Le Fiblec essaye de voir le verre à moitié plein: «Les enseignants ne sont plus considérés comme devant marcher au fouet. C'est déjà un progrès.»
Une meilleure écoute du privé
Dans le privé aussi, on attend des améliorations. «Vincent Peillon semble plus ouvert à nos revendications», indique Alain Duval, responsable du Snec-CFTC, ultra majoritaire dans l'académie d'Amiens. «Le précédent ministre, Luc Chatel (UMP), écoutait davantage le secrétaire général de l'enseignement catholique que les représentants des personnels. Il voulait augmenter le temps de travail des salariés alors que nous voulions des emplois!»
Selon Alain Duval, il manquerait une cinquantaine de postes dans l'académie «pour maintenir des effectifs à taille humaine». Deux nouveaux emplois sont censés y être créés (une soixantaine nationalement). «Ce n'est jamais suffisant mais on fait avec ce qu'on nous donne», résume celui qui enseigne au Sacré-Coeur à Péronne.
Résorber la précarité, c'est ce que souhaite le Snec-CFTC en priorité. Cela passe par des titularisations, sous forme de CDI. «Mais nous ne réclamons pas le statut de fonctionnaire. Car ce qui fait la qualité de l'enseignement privé, c'est la possibilité pour le chef d'établissement de choisir son équipe pédagogique.»
Ce n'est pas l'avis de tous les syndicats du privé. Ce statut de fonctionnaire, Alain Lamblin, professeur d'anglais au lycée Saint-Rémi à Amiens et syndicaliste CGT, le souhaite. Et depuis longtemps. «En 1983, le gouvernement avait prévu la nationalisation du privé mais de grosses manifestations de droite soutenues par la CFTC avaient conduit au retrait de la réforme.»
Pourquoi vouloir devenir fonctionnaire? «Parce que quand un poste est supprimé dans le privé, le salarié se retrouve au chômage. Ou s'il perd des heures, son salaire diminue.» Très minoritaire dans l'enseignement privé, la CGT va certainement encore réclamer longtemps ce changement de statut. En attendant, Alain Lamblin se réjouit également d'avoir «enfin la possibilité de discuter avec le ministère. Le gouvernement souhaite des consultations... On verra ce qui se passe dans les faits.»