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Les Emplois d'avenir prof manquent de candidats

Le 18 June 2013
Enquête commentaires
Par Fabien Dorémus

Le succès n'est pas au rendez-vous, pour l'instant. Les Emplois d'avenir professeurs (EAP) ont été créés au début de l'année par le ministre de l'Éducation nationale, Vincent Peillon. D'ici 2015, 18 000 emplois de ce type doivent être créés. Ce sont des emplois à temps partiel destinés aux étudiants boursiers qui se vouent à l'enseignement.

Dans l'académie d'Amiens, une première vague de recrutement devait permettre à 113 étudiants d'obtenir un poste d'Emploi d'avenir professeur dès le mois de mai. Problème : aujourd'hui seuls 64 contrats ont été signés. Soit 48 contrats dans les écoles maternelles et primaires (sur 87 places) et 16 contrats dans les collèges et lycées (sur 26 places). On est loin de faire le plein.

Les bénéficiaires de ce dispositif en sont pourtant particulièrement satisfaits, si l'on en croit Manon Recher et Laëtitia Cosaert. Toutes les deux sont étudiantes à l'Université de Picardie Jules-Verne. Toutes les deux ont signé un EAP affecté au lycée Delambre d'Amiens.



Laëtitia Cosaert et Manon Recher, Emplois d'avenir professeur à Amiens.

«C'est une superbe expérience», assurent-elles de concert. Une expérience salvatrice, même, pour Manon Recher, étudiante en première année de master de philosophie. «J'étais en train d'être démotivée, on me disait que toutes les issues étaient bouchées en philo.» Mais son horizon s'est éclairci. Si du côté de la philosophie, les débouchés ne se sont pas améliorés par miracle, elle a appris que l'on manquait de professeurs de lettres. Une opportunité à saisir. Dans la même période son père lui apprend la création des EAP. Elle se renseigne sur internet et, rapidement, la voilà au lycée Delambre, sous la tutelle d'une enseignante de lettres.

Les Emplois d'avenir professeur travaillent 12 heures par semaine dans une école ou un établissement public local d'enseignement (collège, lycées). Ces emplois sont réservés aux étudiants boursiers, âgés de moins de 25 ans, et inscrits entre la deuxième année de licence (bac+2) et la première année de master (bac+4).

Des critères qui, selon le ministère, doivent assurer une meilleure équité sociale. «En élevant le niveau de recrutement des enseignants à bac + 5, la réforme de la masterisation [votée en 2009 par le précédent gouvernement, ndlr] a détourné de ces carrières les étudiants issus des milieux les moins favorisés», indique le ministère sur son site internet.

Une entrée progressive dans le métier

En allongeant de deux ans la durée d'étude obligatoire pour accéder aux concours de l'enseignement, la réforme aurait éloigné du métier les étudiants les plus fragiles financièrement. À l'époque, le Parti socialiste (PS) demandait l'arrêt de la réforme. Aujourd'hui aux affaires, le PS ne revient pas dessus mais cherche à «permettre à davantage d’étudiants d’origine modeste de s’orienter vers les métiers de l’enseignement en leur proposant un parcours professionnalisant et en les accompagnant financièrement».

C'est effectivement ce qui se passe. Les EAP permettent de mettre les pieds dans le métier d'enseignant, progressivement. «D'abord, on les invite à prendre connaissance largement du fonctionnement de l'établissement en leur faisant rencontrer le personnel de tous les services», indique Patrick Lahouste, le proviseur du lycée Delambre. Selon lui, la connaissance du fonctionnement des établissements scolaires manque cruellement à l'actuelle formation des enseignants.

Ensuite, les missions des EAP sont différenciées en fonction de leurs âges, de leurs expériences. Ainsi, les étudiants de deuxième année de licence, par exemple, ne sont censés qu'observer. «On reste à côté des élèves ou du prof, explique Laëtitia Cosaert, étudiante en Arts plastiques. On écoute, on aide les élèves à prendre des notes.» Mais l'observation tourne parfois à l'intervention : «Je ne peux pas m'empêcher d'ajouter des choses, d'intervenir en classe», sourit-elle.

Pour les étudiants un peu plus âgés, comme sa collègue Manon Recher, l'EAP passe aussi, le premier mois, par une phase d'observation. «Ensuite, on apprend à gérer une classe, avec l'enseignante qui reste au fond de la salle. Je peux aussi parfois prendre seule les élèves en petits groupes, lors des révisions.»

Des critères trop stricts

Comme l'annonce également le ministère, le soutien financier est réel. Les étudiants qui signent un EAP continuent de toucher la bourse octroyée par le Crous sur critères sociaux. Mais ils reçoivent également 402 euros net pour leurs 12 heures de travail hebdomadaires ainsi qu'une bourse de service public s'ils s'engagent à passer le concours de recrutement de personnel enseignant.

Alors que le dispositif semble intéressant pour quiconque souhaite embrasser la carrière d'enseignant, il ne remporte pas le succès espéré. Pourquoi ? Les raisons sont diverses. D'abord, les conditions pour accéder aux EAP apparaissent restrictives : «Je trouve assez injuste que ce ne soit réservé qu'aux boursiers, j'ai des amis qui ont la vocation mais qui passent à côté», se désole Manon Recher.

Du côté du rectorat, on pointe le faible nombre des étudiants picards. «Le vivier de l'académie d'Amiens n'est pas aussi important qu'ailleurs. À Montpellier, par exemple, il y a trois universités», avance Béatrice Pili, responsable académique de la Division des établissements et de l'organisation scolaire (Detos).

«Besoin d'améliorer les conditions de travail»

Peut-être y a-t-il aussi eu un manque de communication. Le dispositif des EAP est entré en vigueur pendant l'année scolaire et, «même si l'on a fait de la publicité dès le mois de décembre dernier, certains étudiants ne l'ont vu qu'au mois de mai». Trop tard pour la première vague de recrutement.

Béatrice Pili indique par ailleurs qu'il est très difficile de toucher la population étudiante. «Alors on essaie de passer par le bouche-à-oreille. On a envoyé un mail aux EAP déjà en poste pour qu'ils en parlent autour d'eux. On tente aussi en ce moment de passer par les canaux de l'université afin d'en faire la communication sur les chaînes d'inscriptions.»

Une autre raison du faible succès, quantitatif, des Emplois d'avenir professeur serait le manque d'attractivité du métier. C'est ce qu'explique Herve Le Fiblec, secrétaire académique du syndicat Snes-FSU. «Actuellement, on a un vraie crise de recrutement dans le second degré. Il y a un fort besoin d'amélioration des conditions de travail. Les gens le savent. Maintenant, quand je dis que je suis enseignant, la première chose qu'on me répond c'est : “Ah, et c'est pas trop dur ?”».

Une deuxième vague, trois fois plus grande

Chez les étudiantes rencontrées, l'envie d'enseigner dans un lycée n'était pas une évidence, qui plus est lorsque celui-ci est situé dans un quartier populaire. «Avant cette expérience, je n'avais pas très envie de travailler dans un lycée», reconnaît Manon Recher. «Moi non plus, à la base, je n'avais pas très envie de bosser dans le secondaire, il faut dire que j'y étais il n'y a pas si longtemps, abonde Laëtitia Cosaert, 19 ans. Parfois, les élèves sont plus âgés que moi, c'est une situation un peu difficile alors que je suis censée être "supérieure" à eux. En plus, on se dit que c'est Amiens nord, tout ça. Mais en fait les élèves sont super gentils. Enfin, ça dépend... Mais ça va.»

Quoiqu'il en soit, l'académie d'Amiens devra se retrousser les manches afin de pourvoir tous les postes d'EAP censés être créés en octobre prochain. Lors de la première vague, 64 contrats ont été signés sur un potentiel de 113. Ces 64 contrats devraient être renouvelés. Mais plus de trois cents postes supplémentaires doivent voir le jour à l'automne. Une cinquantaine de dossiers seraient déjà en attente de traitement au rectorat. «Mais on a des craintes», reconnaît Béatrice Pili.