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Les élus se divisent sur l'avenir de la métropole

Le 03 April 2013
Par Fabien Dorémus

Les trente-trois communes de l'agglomération amiénoise viennent de se doter d'un projet urbain métropolitain. C'est un document important. Il définit le cadre général de l'action publique pour les prochaines années. Peut-être les vingt prochaines. Le dernier document de ce type datait de 1990. À cette époque, Amiens métropole n'existe pas encore. Il s'agissait donc de définir un projet pour la seule ville d'Amiens.

Aujourd'hui, l'échelle a changé. «Dès 2008, nous avons voulu avoir une vision prospective du territoire, avec la volonté que cela se fasse au niveau de l'agglomération», indique Valérie Wadlow, adjointe au maire d'Amiens en charge de l'urbanisme, et du projet urbain métropolitain. Si la volonté est affichée depuis 2008, le travail a véritablement commencé en septembre 2010.

«J'ai rencontré tous les élus de l'agglomération, nous avons organisé des ateliers thématiques», explique l'élue. Ainsi, pendant deux années, experts, élus et habitants ont participé à l'élaboration d'un projet dont le caractère collectif réjouit Valérie Wadlow : «Hier, la Métropole n'était qu'un guichet et les communes étaient chacune de leur côté. Là, avec ce travail, on a senti qu'il y avait un germe de sens collectif : c'est bien pour le territoire.»

Le fond et la forme contestés

Comment doit se développer le territoire ? Les réponses apportées ne font pas consensus dans les rangs des élus. Le dernier conseil municipal l'a bien montré. Ce 21 mars, alors qu'il s'agissait de valider le document d'étape du projet, huit élus ont voté contre et sept se sont abstenus. Une majorité s'est tout de même dégagée pour l'approuver.

Avant les votes, des explications, parfois houleuses ont eu lieu. C'est Bernard Nemitz, élu UDI d'opposition qui a déclenché les hostilités. Sur la forme d'abord, il a regretté que le document présenté ne soit «pas lisible». Outre un jargon jugé tantôt trop «technique», tantôt trop «lyrique», l'élu a regretté la mauvaise qualité de certains schémas. Sur le fond, Bernard Nemitz a notamment signalé une «orientation trop verte, jusqu'à la caricature».

Dans le même groupe politique, Marc Foucault a ensuite pris la parole pour dénoncer un document qui «entérine le déclin d'Amiens comme puissance métropolitaine». Ce qui a eu pour effet de faire bondir nombre d'élus dans les rangs de la majorité.

«Ville moyenne»

Que contient donc le projet urbain pour qu'il soit considéré par la droite comme une marque du «déclin» de la capitale régionale?

Tout d'abord, il pose une analyse, un «diagnostic» du territoire: c'est le premier volet du projet. Selon ce diagnostic, il faut notamment «réinterroger les modèles de développement» en assumant et en revendiquant les singularités du territoire: «ville à la campagne», «territoire à taille humaine», «ville moyenne». Ce dernier terme fera particulièrement réagir l'opposition.

Dans le second volet du projet, ce sont les quatre «valeurs stratégiques» qui sont développées: «Valoriser la Métropole paysage» pour en faire un facteur d'attractivité, «investir sur la Métropole buissonnière» c'est-à-dire rapprocher l'urbain et le rural, «créer une Métropole rassemblée» en faisant du fleuve un «lien fédérateur de l'agglomération» et, enfin, «inventer la Métropole des proximités» qui développera le maillage du territoire à travers de nouveaux modes de déplacements.

«Ne pas se faire ballotter au gré des crises»

Dans le troisième volet du projet urbain, neuf «objets métropolitains», c'est-à-dire des morceaux du territoire, sont mis en avant car représentant des enjeux particuliers: l'axe nord-sud, les trois vallées, la rocade, les quartiers nord et sud, etc.

«Ce n'est ni un dogme, ni une planification, explique Valérie Wadlow. Mais dans un monde qui évolue très vite, avec de nombreuses contraintes exogènes, il faut savoir quels sont les fondements du territoire. L'idée est de ne pas se faire ballotter au gré des crises, d'avoir un cap qui puisse guider nos arbitrages.»

Alors, quoi ? Qu'est-ce qui fait bondir l'opposition? «Ce qui m'a gêné, explique Marc Foucault, c'est que ça entérine notre déclassement. On ne parle plus d'Amiens comme d'une capitale régionale.» L'élu refuse d'assumer le statut de «ville moyenne». «Dans les groupes de travail, il y avait des choses intéressantes, tout le monde pouvait s'y retrouver, mais les conclusions sont vraiment étonnantes.»

« Le déclin est théorisé »

De nombreux passages du document final n'ont pas eu l'heur de plaire à l'opposition. Sans doute, la phrase suivante est dans ce cas: «Il s’agit donc de révéler ce confort et cette qualité de vie, élément au combien différenciant par rapport aux logiques de compétition que se livrent les autres métropoles», lue dans la partie consacrée à la «Métropole des proximités».

Se différencier de la logique de compétition qu'adoptent les autres métropoles reste en travers de la gorge chez les élus municipaux de droite. «Depuis cinq ans, Gilles Demailly a laissé la ville décliner, maintenant il le théorise», accuse Marc Foucault. «C'est compliqué d'être une capitale régionale mais il faut se battre. On peux ne pas réussir quand on se bat mais quand on ne se bat pas, ça me gêne.»

Pour bien distinguer les différences d'appréciation entre l'ancienne et l'actuelle majorité municipale, on peut se rappeler la campagne de communication orchestrée par l'équipe de Gilles de Robien en 2006.



L'une des affiches de la campagne de communication de la Ville en 2006.

«On voulait montrer des villes références qui devenaient jalouses d'Amiens, se souvient Marc Foucault. L'idée était de mettre la barre assez haute. Après, on n'est pas neuneu, on savait qu'Amiens ne serait pas Montréal.» La méthode Coué «dans le bon sens du terme» est assumée : «Si on ne fait pas de grands projets on n'y arrivera pas.»

La qualité de vie pour faire la différence

À gauche, la stratégie est bien différente. «Les incantations ne servent à rien au développement d'un territoire», avait envoyé Valérie Wadlow en réponse à l'opposition lors du conseil municipal. L'adjointe à l'urbanisme enfonce le clou : «Ils [l'opposition, ndlr] ont une vision du développement et de la ville qui n'a aucun sens par rapport à la réalité locale. Et ils sont incapables d'en imaginer une autre.»

Pour illustrer ses propos, l'élue rappelle que le projet urbain datant de 1990, donc rédigé par l'ancienne équipe municipale, prévoyait qu'Amiens atteigne une population de 300 000 habitants. «Est-ce que ça a un sens? C'est en contradiction avec tous les indicateurs démographiques.» D'où l'idée d'assumer pleinement la qualification de «ville moyenne».

La stratégie de la majorité municipale est d'attirer à Amiens par la qualité de vie. «L'opposition n'a pas compris que les entreprises, qui ont désormais besoin d'une main d’œuvre assez qualifiée, viennent là où il y a une qualité de vie, un niveau culturel... On a besoin de montrer que l'on vit bien à Amiens», indique Valérie Wadlow.

«Une critique de gauche»

La droite n'était pas la seule à critiquer le projet urbain lors du conseil municipal. Cédric Maisse, du groupe Communistes en action, avait lui aussi dénoncé le «jargon technique» du document mais, également, les contradictions qu'il contiendrait: «On parle de nature et de campagne, expliquait-il, mais on propose de densifier l'urbanisation.»

Cédric Maisse indiquait vouloir dédier les crédits alloués au projet citadelle à l'extension de la ligne de tramway dans les quartiers. Gilles Demailly lui avait alors demandé s'il était toujours dans la majorité. Ce à quoi le communiste répondit qu'il fallait «accepter qu'une critique de gauche existe au conseil municipal».

Peu d'opposition au conseil d'Amiens métropole

La semaine suivante, le projet urbain municipal fut proposé au vote du conseil d'Amiens métropole. Bernard Nemitz, pour l'opposition amiénoise, a redit ses griefs. Mais il n'y a pas eu de refus unanime à droite. Ainsi le maire de Dury et candidat à la candidature pour la mairie d'Amiens, Benoît Mercuzot (UMP), a voté en faveur du projet, après que celui-ci fut légèrement amendé: «Ce document ne mérite ni trop d'honneur ni trop d'indignité», a-t-il alors expliqué. Au final, deux votes contre et une abstention seulement seront à dénombrer.

La prochaine grande étape du projet urbain métropolitain aura lieu en juillet. À ce moment, les assemblées locales (conseil municipal et d'Amiens métropole) devront voter le premier acte de sa mise en œuvre, qui contiendra les objectifs prioritaires de la métropole. Quels seront-ils ? «Je ne peux pas encore me prononcer, les ateliers ne sont pas terminés», explique Valérie Wadlow. Les ateliers finiront dans une quinzaine de jours.

Dans l'œil du Télescope

J'ai assisté au conseil municipal le 21 mars puis au conseil d'Amiens métropole le 28 mars. J'ai contacté par téléphone Marc Foucault le 29 mars et Valérie Wadlow hier. Les illustrations utilisées en une et en vignette (plan d'Amiens de 1716) sont issues du projet urbain métropolitain (crédits: Amiens métropole).