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Les contrôleurs du travail vont disparaître

Le 08 July 2013
Enquête commentaires
Par Mathieu Robert

«Ça a commencé par un discours du ministre en décembre. Il nous disait que rien n'était décidé, mais on a appris par différentes fuites que tout était déjà plié».

Kévin Crépin est responsable syndical CGT à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). C'est dans ce grand bâtiment blanc, situé rue de la Vallée à Amiens que l'on retrouve les services de l'inspection du travail.

En septembre prochain, Michel Sapin, le ministre du Travail, présentera officiellement son projet de réforme de l'inspection du travail, un an après l'avoir annoncé. Fait le plus marquant: l'annonce de la disparition du corps des contrôleurs du travail à échéance d'une dizaine d'années.

Les contrôleurs du travail sont des fonctionnaires de catégorie B qui font appliquer le droit du travail dans les entreprises de moins de 50 salariés. Ils œuvrent aujourd'hui sous la houlette des inspecteurs du travail, qui s'occupent eux des entreprises de plus de 50 salariés. Dans la Somme, on compte 25 contrôleurs du travail pour 12 inspecteurs.

À terme, ces 25 contrôleurs doivent tous devenir des inspecteurs. Michel Sapin a annoncé, par lettre aux agents de son ministère, la transformation de 540 postes de contrôleurs (sur 1500 au total) en inspecteurs (catégorie A) entre 2013 et 2015, dont 130 dès 2013.

Pour Sud, ce transfert est trop lent et ne compensera pas les baisses d'effectifs chez les inspecteurs du travail. «Durant les trois prochaines années, on prévoit 1000 départs à la retraite d'inspecteurs du travail», analyse Sud.

«C'était ficelé d'avance»

Le 27 juin dernier, les salariés de la Direccte Picardie étaient en grève intersyndicale CGT-FO-FSU-Sud. Ils contestent à la fois le fond de la réforme et la méthode employée, «un simulacre de concertation».

«La RGPP [Révision générale des politiques publiques, lancée en 2007 par le gouvernement Fillon, ndlr] est plutôt mal passée dans nos services, explique une inspectrice du travail syndiquée chez Sud. Quand Michel Sapin a été nommé ministre du Travail, il nous a dit qu'il ferait de la concertation, mais le projet était ficelé d'avance».


La porte d'entrée du local syndical de la Direccte Picardie, à droite une photo de Jean-Denis Combrexelle, directeur général du Travail

Plus d'un an après la nomination, les syndicats sont déçus. Ils ont l'impression que le projet de réforme de Michel Sapin était ficelé avant même l'exercice de consultation mené ces derniers mois.

Le 12 septembre dernier, Michel Sapin annonçait dans une lettre adressée à tous les agents qu'il allait réorganiser l'inspection du travail ainsi que d'autres services de son ministère. Sa méthode, «le dialogue social». «Les organisations syndicales, vos représentants dans les instances CTM (comité technique ministériel) seront informés et associés tout au long des deux chantiers», promettait le ministre.

Mais ils furent rapidement déçus. Juste avant Noël, les agents ont reçu une seconde lettre du ministre. Il annonçait d'une part que des consultations seraient menées dans les services, et que le corps des contrôleurs du travail allait disparaître. La consultation commence alors que de lourdes décisions tombent déjà.

Les réunions qui se déroulèrent à la Direccte de la Somme furent boycottées par les syndicats. «Nous avons invité les agents à sortir de ces réunions. Pour nous, il s'agissait des simulacres, le projet Sapin était déjà ficelé, explique l'inspectrice. En Picardie les agents n'y sont presque pas allés. Ceux qui y sont allés assurent que les synthèses qui en ont été faites par la suite ne prenaient pas du tout en compte leurs remarques».

Réorganisation complète de l'inspection

Le 27 juin dernier, Michel Sapin est intervenu devant les directeurs régionaux de son ministère pour leur annoncer les grandes lignes de la réforme avant même de la présenter aux syndicats. «Personne n'a su où se déroulait cette réunion», expliquent les syndicalistes qui souhaitaient y faire entendre leur voix.

Ils se sont procurés le contenu du discours. «C'est une réorganisation complète de l'inspection du travail», explique Annabelle Crochu du syndicat Sud.

En premier lieu, le ministre propose de faire disparaître l'organisation en équipe qui avait cours (un inspecteur et deux contrôleurs) au profit de sections «mono-inspecteur». Une section sera composée d'un inspecteur du travail seul, et couvrira une zone géographique plus petite. Ainsi remodelée, la section «assure à l'inspecteur une connaissance de son terrain et aux entreprises et salariés l'identification claire de leur inspecteur de rattachement», justifie le ministre.


Dans les couloirs de la Direccte

Désormais les inspecteurs du travail auront à leur seule charge l'ensemble des entreprises d'un secteur. «Cela correspond à une déqualification des inspecteurs qui faisaient auparavant de l'encadrement», s'indigne l'inspectrice du travail.

Que deviennent les contrôleurs du travail qui ne seront pas encore passés inspecteurs? «C'est le flou complet», accusent les syndicats. Selon le ministre, la transformation des postes de contrôleurs en postes d'inspecteurs devrait prendre dix ans. En attendant, les contrôleurs n'auront plus de section géographique propre, mais travailleront pour une «unité de contrôle composée de 8 à 12 sections géographiques». Aucun précision n'est faite sur le contenu de leurs missions.

«On a des craintes pour leur avenir. Un certain nombre d'entre eux ne veut pas devenir inspecteur du travail, assure l'inspectrice. Les enquêtes de licenciement de salariés protégés, ça n'intéresse pas certains contrôleurs». Pourtant, selon le ministre, les contrôleurs étaient déjà 1000 à avoir déposé un dossier de candidature, le 27 juin dernier, pour devenir inspecteurs.

«Moins de temps pour répondre à la demande sociale»

Derrière la réorganisation, les missions des inspecteurs vont également changer. Le ministre veut plus d'objectifs collectifs (nationaux ou régionaux). «Définir des objectifs collectifs ne veut pas dire que l'inspection ne répondra plus aux demandes des salariés ou des entreprises», assure-t-il. Mais pour les syndicats, «l'indépendance de l'inspection du travail devient de plus en plus théorique».

Ce qui est pointé du doigt, c'est l'arrivé des nouveaux échelons hiérarchiques. Chacun correspondant à de nouveaux objectifs fixés aux inspecteurs du travail. Ceux-ci réclament plus de temps pour «répondre à la demande sociale».

Les inspecteurs seront désormais chapeautés par un responsable d'Unité de contrôle, qui rassemblera huit à 12 inspecteurs. Au dessus des Unités de contrôle, les inspecteurs appartiendront également à des unités régionales d'appui et de contrôle du travail illégal.

«Un des axes forts de ce ministère, c'est le contrôle du travail illégal. Sapin a un discours véritablement guerrier sur cette question», explique l'inspectrice. Dans son discours, le ministre entend renforcer la «force du frappe» du ministère dans ce domaine où «la demande sociale est forte».

«Demain on va devoir répondre aux objectifs nationaux, aux objectifs régionaux et ensuite à la demande sociale, s'inquiète l'inspectrice. Travailler sur la durée du travail, sur les instances représentatives du personnel... on n'aura plus le temps de le faire. Les salariés ne nous verront plus du tout, surtout ceux des petites entreprises où il n'y a pas de représentant du personnel».

La réforme qu'annoncera Michel Sapin en septembre devrait se mettre en place dans dix-huit mois, fin 2014. La transformation des postes de contrôleurs en postes d'inspecteurs devrait elle prendre plus de temps. «Cette première étape se poursuivra au-delà de 2015 jusqu'à transformation de tous les postes de contrôleurs en section», annonce Michel Sapin.