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Les commerces face aux promesses du tram

Le 09 September 2013

La boulangerie Prévost a fermé. C'est le quotidien local, La Voix du nord, qui le dit.  Acculés par les travaux du tramway de Valenciennes, un couple de boulangers a décidé de fermer l'une de leurs boutiques. Inaccessible, elle était devenue infréquentée.

Ce résultat catastrophique, c'est probablement la hantise de tous les commerçants, lorsqu'ils apprennent qu'un tramway est en projet dans leur rue. Parfois, ils vont s'organiser pour résister (comme à Amiens avec le collectif anti-tram) mais bien souvent, ils se sentent impuissants face aux projets d'une agglomération. C'est un peu la situation à Valenciennes.

Sa première ligne de tramway s'est ouverte en 2006 dans la douleur. Dans la ville, 95 commerces ont été indemnisés pour pouvoir supporter les travaux. Aujourd'hui, en plein dans les travaux de la seconde ligne, les oppositions ne se démentent pas. À Valenciennes et dans les communes voisines (Bruay, Condé-sur-l'Escaut ou Anzin) des comités opposés au tramway se sont constitués.

Le tramway serait-il un destructeur de commerces, ne faisant qu'entraver la circulation des voitures, favorisant ainsi les supermarchés de périphérie? La situation n'est pas si simple.

Denaisiens heureux de voir passer le tram

À Denain, la voisine de Valenciennes, on a été plutôt heureux de le voir arriver, ce tramway.

Denain (20 000 habitants), notoirement ville la plus pauvre de France. La situation du commerce n'y est pas rose. Pourtant, entre 2003 et 2006, pendant la durée des travaux, les commerces ont bien résisté. «On n'a pas eu de gros dégâts, témoigne Annie Denis, présidente de l'Union du commerce de Denain. Il n'y a eu que deux fermetures réelles, et douze dossiers d'indemnisation pour les commerçants situés sur le passage du tram.» Mais il faut dire que l'Union du commerce était en rapport étroit avec les élus municipaux. «La mairie a tenté de nous aider, de faire appel aux commerçants pour livrer les écoles, par exemple. On a aussi travaillé, avec les conducteurs des travaux, sur l'accessibilité à nos boutiques.»

Les enseignes nationales débarquent

Mieux. Depuis trois ans, des enseignes nationales d'habillement, de hi-fi et de restauration sont arrivées à Denain. Pour Marjorie Sharawi, responsable du développement économique et commercial de Denain, un tramway ça change tout dans les relations d'une ville avec les entrepreneurs : «Des enseignes comme Celio ou Jenyfer ne seraient jamais venues sur notre ZAC, ou alors auraient exigé des parkings deux fois plus grands. En début de mandat, on se serait mis à genoux pour qu'elles viennent. Aujourd'hui ça a changé. Valenciennes est saturé, commercialement, et le tramway sur Denain est vu comme un élément de modernisation.»

Néanmoins, Marjorie Sharawi relativise cet effet du tramway: «Lorsqu'on étudie les zones de chalandise, on voit que le tramway n'est pas un outil pour faire venir les clients». Lorsqu'à la caisse, la vendeuse vous demande votre code postal, elle collecte des données pour connaître une «zone de chalandise» du magasin, c'est-à-dire la zone sur laquelle le magasin peut attirer ses clients. Or à Denain, il apparaît que beaucoup des clients de ces toutes nouvelles enseignes viennent de zones qui ne sont pas desservies par le tramway.

Annie Denis, la présidente de l'Union du commerce, tire le même constat que Marjorie Sharawi: si le tramway n'a pas été trop douloureux pour les commerçants, il n'est pas non plus la panacée. Les vieilles rues souffrantes seraient restées désertes avec ou sans la ligne de tramway. «Depuis les années 80, il manquait une politique d'urbanisme commercial à Denain.» Aujourd'hui, l'Union du commerce travaille avec la ville pour modifier des axes de circulation de façon stratégique. L'usage de la voiture reste essentiel pour les boutiques de Denain, perdues entre Valenciennes et Douai.

D'autres communes ont moins profité du passage du tramway de l'agglomération valenciennoise. Villes-dortoirs, elles sont restées villes-dortoirs malgré la ligne de transports en commun.

«Le tram devrait passer dans les quartiers chics»

Direction Mulhouse. 110000 habitants, dans le sud de l'Alsace. Le tramway, cette ville UMP s'en est dotée en 2006. Aujourd'hui, ses trois lignes sillonnent 16,2 kilomètres de l'agglomération. Aussi bien le centre-ville que les quartiers populaires étiquetés «Politique de la ville» ou Zone de sécurité prioritaire (ZSP). La desserte de ces quartiers pauvres est d'ailleurs une des conditions que pose le ministère des transport pour distribuer les aides financières aux transports en communs en site propre.

Pendant les trois ans qu'ont duré les travaux, Patricia Vest, la présidente de l'association des commerçants du centre-ville, multipliait les animations, les cadeaux à la clientèle. Cela n'a pas suffi partout. «Certains axes ont souffert, des boutiques ont fermé. D'autres axes ont désormais des boutiques de nature très différente.» Selon elle, c'est aussi que le centre-ville est fréquenté de façon différente aujourd'hui. «Le tramway ne va pas assez loin. Il va dans les quartiers extérieurs de Mulhouse, mais il ne va pas jusqu'aux petites villes de périphérie, il ne passe pas non plus dans les quartiers chics.» Selon Patricia Vest, la conséquence c'est que certains axes ne bénéficient plus d'une «clientèle de centre-ville».

La commerçante, qui possède deux boutiques de prêt à porter, pèse le avantages et les inconvénients. «Il y a des facilités d'accès au centre-ville, des tarifs préférentiels dans les parkings-relais. Mais d'un autre côté il y a toujours des embouteillages, j'ai même l'impression que c'est pire qu'avant. Des enseignes nationales sont venues s'installer, notre ville attire plus qu'avant, mais c'est aussi parce que la mairie a fait d'autres travaux pour embellir la ville.» Tout comme sa consœur de Denain, la commerçante considère que le seul tracé du tramway ne suffit pas à dynamiser un centre-ville. «L'accessibilité, les parkings, c'est très important pour nous.»

Activité économique et tramway: on ne tire pas de conclusions à Mulhouse

Christophe Wolf est directeur des transports de l'agglomération de Mulhouse. L'agglomération, après avoir installé le tramway, a tenté d'en mesurer les effets. «La conclusion de l'observatoire 2009-2010, c'est qu'on ne peut pas tirer de conclusions entre le tramway et l'évolution du tissu économique», explique le fonctionnaire.

«Les facteurs dominants pour la création d'entreprise sont plutôt la conjoncture nationale et les caractéristiques du territoire. On observe par exemple un déplacement du commerce vers la périphérie, contrebalancé par des projets urbains.» Le directeur des transports de l'agglomération de Mulhouse voit la question, plus large, de l'aménagement d'une ville. «Le tramway devient une épine dorsale de la ville. C'est un support pour l'aménagement de la ville: on priorise le développement de nouveaux logements, l'arrivée d'équipements dans les «dents creuses» de la ville, le long du tracé du tramway.»

Au travers de ces deux exemples, on peut retrouver quelques conclusions qu'avaient tirées le Certu (Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques, émanation du ministère du développement durable) dans une étude de 2006. Pour cet organisme, souvent, les fermetures, ouvertures ou mutations des espaces commerciaux ne dépendent pas vraiment du tramway, mais de facteurs de dynamisme économique de la ville ou encore de la conjoncture nationale. Le tramway ne sera donc jamais une poule aux œufs d'or.

Dans l'œil du Télescope

J'ai pu contacter les différents intervenants au cours des mois de juillet et d'août.  D'autres articles suivront, qui exploreront les différents aspects du projet de tramway amiénois à la lumière d'autres projets français.

Pour poursuivre l'étude sur les relations entre tramway et commerces, je vous conseille l'étude du CERTU.

En 2011, j'ai travaillé dans le service communication de la mairie de Denain.