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Les artistes manquent d'espace à Amiens

Le 14 June 2013
Enquête commentaires
Par Claire Seznec

«C’est clair qu’il manque des galeries à Amiens», soupire Gérard Riou, artiste peintre professionnel. Et ce manque de galeries, les artistes amiénois en pâtissent.

C'est de ce constat qu'est partie la jeune chambre économique (JCE) d’Amiens pour lancer l'événement «L’art s’expose», du 21 au 28 juin. «Cette semaine de découverte des artistes amiénois consiste à faire découvrir aux Amiénois lambda six artistes également amiénois dans des endroits où l’on n’a pas l’habitude de voir des œuvres», explique Matthieu Lacour, président de la JCE.

Une semaine pour les artistes amiénois

Parmi les exposants on compte Gilbert Lefeuvre, Gérard Riou, mais également Jonathan Choin (artiste plasticien) ou encore Nelly Roche (peintre). Tous sont des artistes amiénois. Ils exposent et seraient connus, reconnus partout en France…sauf à Amiens.

Ils ont été contactés par la JCE ou encore grâce à un réseau de connaissance. «Pas mal d’artistes étaient intéressés!» indique Matthieu Lacour, président de la JCE.

«Ces peintres, sculpteurs, photographes, céramistes souhaitent sortir du cercle fermé du public averti », explique Sylvia Carette, membre de la commission «L’art s’expose» de la JCE.

Les peintres Gilbert Lefeuvre et Nelly Roche exposent ensemble à la cathédrale. Ils espèrent «une retombée pour de futures expositions, des échanges avec le public». « Effectivement, le but n’est pas de faire vendre pendant cette semaine d’exposition, déclare Matthieu Lacour, mais seulement de faire découvrir l’art amiénois ».

Exposer dans les lieux publics

«L’idéal, c’est d’aller là où vont les gens», déclare Sylvia Carette. Pour cela, les artistes dévoileront leurs œuvres un peu partout dans la ville. Le hall de gare, le cinéma Gaumont, le magasin Factory ou encore Martigny et la chapelle d’hiver de la cathédrale.

Mais en plus d’exposer dans des lieux publics, la JCE aménage une balade-parcours autour de l’art et des artistes amiénois.  Elle démarrera de la gare pour aller jusqu’à la rue des Otages, dernier point  d’exposition. «Le bouche à oreille va fonctionner, nous y croyons» espère Matthieu Lacour, de la JCE.


Gilbert Lefeuvre, artiste peintre, avec à sa gauche Nelly Roche


Le peintre Gérard Riou, professionnel vivant de ses peintures figuratives contemporaines, exposera ses marines et ses paysages bucoliques derrière l'hôtel de ville, chez un caviste. Il semble plutôt satisfait de l'ambiance de ce nouvel espace d’exposition. «Une symbiose peut s'établir entre les clients du magasin, ici Martigny, vins et spiritueux, et l’art. C’est bien plus convivial qu’une galerie d’art!».

Cette initiative de la JCE, saluée par les artistes qui y participent, pose une question. Y a-t-il suffisamment de lieux d'exposition pour les artistes dans la ville d'Amiens?

Un manque d’expos…?

Gérard Riou désespère de la place de l'art dans la capitale Picarde. «Une amie voulait ouvrir une galerie d’art à Amiens, mais existe-t-il seulement un marché de l’art qui tient sur la longueur? Je pense qu’il est en réel déclin», suppose-t-il. 

Créer une galerie coûte effectivement de l’argent, ensuite il faut vendre des œuvres et faire marcher le commerce. Une chose pas si facile à Amiens si l’on en croit le nombre de galeries qui y existent : deux. «À mes débuts, j’exposais dans une petite galerie dans le centre qui, aujourd’hui, n’existe plus» déplore Gilbert Lefeuvre, artiste peintre amiénois.

Il raconte également qu’avant, le Musée de Picardie exposait ses œuvres, mais qu’aujourd’hui, il refuse. Pour l'artiste, c'est une possibilité en moins de faire connaître son travail.

Reste la galerie Dufour, à côté de la gare. Ainsi que de petits organismes comme l’association Zavata, qui organise des événements à la Briqueterie. Ou encore la Maison de la Culture. «Il n’y a cependant pas beaucoup d’expos à la MCA, ou alors, elles ne regroupent que des artistes connus et reconnus» explique Gérard Riou.

Pour Gérard Riou et Gilbert Lefeuvre, le constat est sombre: «ne parlons plus de manque de lieux d’exposition mais plutôt de néant de ces lieux…».

…ou un manque d’intérêt ?

Lucien Fontaine, l'adjoint au maire à la jeunesse et à l'éducation populaire botte en touche. Pour lui, ce n'est pas un problème de places disponibles, mais d'audace des artistes. «Il existe encore la barrière de ne pas oser demander d’exposer dans un lieu public, comme le cinéma ou une salle polyvalente, alors que celles-ci sont ouvertes, lâche-t-il. Et puis, certains veulent juste aller au « lieu phare » qui est la Maison de la culture. L’art est important, mais le lieu l’est-il réellement?» L'adjoint au maire adhère totalement au projet, mais il ne le finance pas.

L'artiste-peintre Gilbert Lefeuvre a sa propre explication de la situation actuelle. Selon lui, les Picards en majorité « sont durs sur le plan culturel ». Pour lui, la Picardie souffrirait d'un retard dans son développement. «L’art reste bien souvent réservé aux plus connaisseurs, ce qui est dommage… » déclare Gérard Riou. «De plus, l’ambiance d’une galerie d’art est froide. On s’y sent intimidés alors on n’y entre pas».

Entre expos d’amateurs et de professionnels

«Bizarrement, les amateurs exposent plus dans leur ville que les professionnels» plaisante Gérard Riou. Les artistes professionnels ont leur propre réseau, leurs lieux de prédilection pour exposer. Au contraire, les amateurs doivent créer des événements afin de montrer leurs travaux.



Gérard Riou


«Malheureusement, ce sont souvent des expositions hétéroclites, déplore Gérard Riou. Les œuvres nuisent les unes aux autres, mêmes si les artistes sont talentueux. L’ensemble doit être harmonieux, qu’il y ait comme des passages entre les tableaux, sans méli-mélo de couleurs, de formats et de styles ».

Mise à jour: suite à la publication de cet article, Alain David, Vice-président adjoint d'Amiens métropole, responsable de la délégation culturelle a souhaité réagir. Il n'avait, par ailleurs, pas été consulté lors de l'élaboration de l'article par son auteur.

«Le but d'une municipalité est d'offrir des espaces aux gens qui exposent, amateurs ou professionnels. Cela se fait en lien avec un projet, dans la logique du lieu dans lequel ce projet s'expose.

La métropole possède de nombreux lieux d'exposition. L'étoile du sud, le CSC Étouvie, le Safran, le centre culturel Jacques-Tati, L'espace Saint-Exupéry de Glisy, la galerie de la Dodane, la Briquetterie et sa collaboration avec l'auberge de jeunesse, la bibliothèque, le musée, les Nuits blanches, la Maison de la culture.

Nous avons également des partenariats avec la Chambre de commerce et d'industrie pour exposer à l'espace Bouctot-Vagniez, par exemple.

Enfin il ne faut pas oublier l'artothèque de la bibliothèque municipale, qui permet aux particuliers d'emprunter des œuvres d'art, et qui abonde annuellement son fonds avec des artistes locaux ou nationaux.

Notre ville ne manque pas de lieux d'exposition, mais le but de la municipalité n'est pas de prendre la place des marchands d'art.»

Dans l'œil du Télescope

Pour réaliser cet article, j'ai rencontré plusieurs artistes, dont Gérard Riou, Gilbert Lefeuvre et Nelly Roche. Je me suis également entretenu avec Lucien Fontaine, après avoir discuté avec deux membres de la Jeune chambre économique (JCE) amiénoise, Sylvia Carette, membre de la commission L'art s'expose, et Matthieu Lacour, président.