L'histoire amiénoise retiendra-t-elle la date du vendredi 23 novembre 2012? Jour où les choses se sont décisivement jouées en faveur du tramway lors du conseil d'Amiens métropole.
Pourtant, une semaine avant, jeudi 15 novembre, tout n'allait pas de soi. Aux environs de 23h15, Thierry Bonté, en charge des transports au conseil métropolitain, proposait à la municipalité de se prononcer en faveur du tramway, au travers d'un vœu que le conseil municipal porterait devant le conseil d'agglomération. Les transports en commun sont, en effet, une compétence spécifique de la métropole, et non de la ville.
Qu'est-ce qu'un vœu? Une demande informelle, sans vraie valeur juridique. Tous les élus peuvent soumettre à leurs collègues conseillers des vœux qui, s'ils sont votés, représentent une prise de position du conseil municipal. Autant sur des questions de politique internationale que des problèmes régionaux, hors de la compétence de la ville. Ainsi, l'élue de l'opposition Johanna Bougon, lors de ce même conseil, a proposé un vœu pour soutenir le projet de canal Seine-Nord.
Le principe annoncé par Thierry Bonté et Gilles Demailly: qui se prononcerait pour le vœu soutiendrait l'hypothèse "tramway", qui se prononcerait contre soutiendrait l'hypothèse "bus à haut niveau de service".
Il s'agissait donc de choisir entre deux solutions de transports en communs en site propre: l'un électrifié sur des rails, l'autre sur pneus mais dans une voie de circulation dédiée.
Plus de poids qu'un simple vœu
Dans le cas présent, ce vœu est porté par le conseil municipal d'Amiens, qui représente environ 45% des élus du conseil d'agglomération d'Amiens métropole. Le président d'Amiens métropole est également Gilles Demailly, maire d'Amiens – qui n'a pas pris part au vote du vœu pour cette raison. Amiens et est, a priori, seule concernée avec Salouël par le tracé du futur transport en commun en site propre (TCSP).
Pour toutes ces raisons le vœu qui est, habituellement, une expression informelle est, cette fois, très engageant pour notre agglomération.
Les élus de l'opposition municipale ne s'y sont pas trompés. Ils se sont insurgés contre le vœu qui, de leur point de vue, contenait de nombreux points de discorde.
Premier à prendre la parole dans la salle du conseil, Frédéric Thorel, élu du groupe indépendant. Il dénonce l'absence de concertation sur un sujet financièrement très lourd: «On ne sait pas ce que ça coûte, quel sera le coût par habitant, le prix du ticket? On n'a pas les participations des autres financeurs. Nous ne sommes pas contre le tramway, mais contre le vœu et la manière dont il est présenté aujourd'hui.»
Seconde à dégainer, Isabelle Griffoin, du groupe de Brigitte Fouré, MPAA (Mon parti c'est Amiens-Avenir). «Pourquoi un vœu sur un sujet aussi important alors qu'il devrait faire l'objet d'un conseil municipal extraordinaire pour que l'on puisse aborder l'ensemble des questions?» interroge l'élue. Elle en appelle par la suite à un référendum «car ce sont bien les Amiénois qui utiliseront et qui paieront, avec nous, cet investissement.»
Pourtant peu avant minuit, le vœu est voté avec l'ensemble des élus de la majorité. Le soir même et le lendemain, les communiqués fusent de toutes parts.
Pour la Ville, «les élus amiénois estiment que le tramway répond le mieux aux défis que doit relever notre communauté d'agglomération en matière de transport et d'aménagement.»
Côté opposition, on parle de déni de démocratie, on soupçonne un effet d'annonce de la majorité pour un TCSP qui ne verra véritablement le jour qu'après les prochaines échéances municipales.
Alain Gest, député UMP et candidat pour représenter la droite aux municipales de 2014, accuse la majorité d'amateurisme: «Aujourd'hui, pour faire croire aux Amiénoises et aux Amiénois, qu'il va enfin réaliser quelque chose durant son mandat, [Gilles Demailly] presse ses collègues de prendre une décision sans être assuré, d'une participation de l'Etat ni même du niveau de subventions susceptibles d'être attribuées par le Département et la Région. C'est tout simplement déplorable.»
Décision précipitée, unilatérale? Les élus en charge du dossier nient. «Cette démarche est l'aboutissement d'un an et demi de travail de la métropole dans la mission TCSP» indique Thierry Bonté, vice-président de la métropole en charge des transports collectifs. «Il y a eu neuf réunions du comité de pilotage composés de techniciens et d'élus de la majorité et de l'opposition. On a aussi organisé deux séminaires cet été, avec présentation du choix des deux modes de transport en commun en site propre, nous pensons que les élus ont eu toutes les cartes en main.»
Des travaux qui rappellent ceux d'une commission de 2008
Johanna Bougon, conseillère municipale MPAA, modère les affirmations de Thierry Bonté. Les réunions de la mission TCSP, elle n'a pu les intégrer qu'après avoir insisté auprès du maire, il y a moins d'un an. «On a juste été invités à voir les dossiers. Une enquête auprès des ménages, des données générales sur la ville. J'ai eu l'impression que les études commandées n'allaient pas beaucoup plus loin que le rapport Bourget.»
Ce rapport, c'est l'ingénieur général des Ponts et Chaussées Christian Bourget, détaché par le conseil général, qui l'avait mené en 2008, sous la municipalité précédente. Il devait déjà étudier l'opportunité d'un tramway dans l'agglomération, envisageant, déjà, un parcours Amiens Nord-Hôpital Sud.
Pour Johanna Bougon, qui était vice-présidente aux transports de la métropole pendant l'ère de Robien, l'équipe Demailly est «prise à la gorge par l'échéance de l'appel à projets de l'État. Suite au Grenelle de l'environnement, il y a déjà eu deux appels à projets pour financer des TCSP, et la ville les a ratés, tous les deux.»
À titre personnel, l'élue est plutôt favorable au tramway. Comme beaucoup des membres de l'opposition centriste qui adhèrent à la promesse d'un plus grande attractivité de la ville.
Avec son association écologiste, Johanna Bougon avait visité le chantier de tramway valenciennois.
Par ailleurs, le rapport Bourget commandé par la municipalité de Robien avait laissé la porte ouverte au tramway. Avec tous ces éléments réunis, pourquoi l'opposition a-t-elle voté contre?
«Nous ne sommes pas pris au dépourvus sur le fond du dossier, explique Johanna Bougon, mais là où c'est vide, c'est que l'on ne connaît encore aucun financement, que ce soit au niveau de l'État, de la Région ou de l'Europe! Par ailleurs, la situation générale est assez inquiétante, est-ce réaliste ou raisonnable de se lancer sur un projet de 200 millions d'euros dans ce contexte?»
Guerre de communication, acte II
Voilà, à peu près, les interrogations qui ont poussé le MPAA et les Indépendants au vote "contre" le vœu du tramway. La suite se joue jeudi 22 novembre, la veille du conseil d'agglomération d'Amiens métropole.
Benoît Mercuzot, maire UMP de Dury, entouré de plusieurs élus de communes de la métropole, expose lui aussi ses doutes sur le projet. Lui aussi a fait partie de la mission TCSP. Il ne partage cependant pas l'avis de Johanna Bougon: selon lui, les travaux de Christian Bourget étaient bien moins complets que les dernières études commandées en 2010 par la métropole.
Néanmoins, niveau démocratie, le compte n'y est pas tout à fait pour lui: «Au lieu de nous demander de délibérer, la métropole en est au stade de la communication» explique-t-il en agitant une plaquette cartonnée A3 distribuée dans les mairies de l'agglo.
Sur ce papier glacé, les avantages d'un transport en site propre, des intentions pour favoriser la mobilité des habitants, les hypothèses de tracés des lignes de TCSP, et l'annonce d'une concertation citoyenne en 2013 pour déterminer les détails du projet. La communication au public avant que les élus aient rendu leur avis, cela fait grincer des dents, forcément.
Benoît Mercuzot (à droite) et d'autres élus métropolitains inquiets
Aux côtés de Benoît Mercuzot, la première adjointe au maire de Salouël, Monique Lheureux, qui a participé aux séminaires de cet été, explique que le TCSP «doit être intégré dans une politique globale de déplacement. Il arrive à l'hôpital, mais rien n'a été pensé en terme de parking. On a le sentiment que le problème des pendulaires [qui viennent travailler sur la métropole, ndlr.] n'a pas été pensé.»
Ernest Candela, maire de Saleux, renchérit: «Le tramway nous convient, mais il faudrait qu'on connaisse précisément les conditions. Comment prendre position sinon?»
Le financement était estimé depuis l'été
Enfin, pour ces élus, revient la question cruciale du financement. À quelle hauteur la métropole devra-t-elle s'endetter? Quelle sera la charge supplémentaire pour son budget? Les communes directement concernées, Salouël et Amiens, devront-elles payer plus?
Pendant que les maires des petites communes s'inquiètent, Jacques Lessard, adjoint aux finances et Thierry Bonté, l'adjoint aux transports, convoquent la presse pour présenter le projet de tramway.
La veille du conseil métropolitain, Jacques Lessard (à gauche) présentait à la presse les projections de financement du projet TCSP soutenu par la mairie.
Avantages, inconvénients, projections financières à l'appui, Jacques Lessard tente de démontrer la viabilité du projet. L'augmentation programmée du versement transport des entreprises, les estimations de l'enveloppe allouée par l'État, le reste à charge sur le budget général de la métropole
Bref, Jacques Lessard donne des réponses à toutes les questions que se posaient, tout haut, les élus de l'opposition. Et c'est la présentation qu'il fera le lendemain, vendredi 23 novembre, lors du conseil métropolitain.
Les élus municipaux et métropolitains ont-ils été tenus jusque-là dans l'ignorance de ces projections financières? Il semble que non. Ces chiffres ont été communiqués aux élus dès le mois de juillet, pendant les séminaires sur le TCSP. Jacques Lessard, qui rappelle ce fait pendant le conseil métropolitain, ne sera pas contredit.
Le consensus qui fait rage
Le conseil métropolitain, justement, ne sera pas le lieu de l'affrontement entre majorité et opposition. Après une heure d'exposé de Thierry Bonté et Jacques Lessard, Gilles Demailly, prend la précaution de signaler aux élus qu'il n'y aura pas de vote, ce soir-là, sur le projet. «Ce soir, je ne vous demande pas de prendre une décision. Mais il est nécessaire qu'au budget du mois de décembre, nous mobilisions les moyens nécessaires, les décisions se feront donc le 20 décembre.»
Benoît Mercuzot, quant à lui, rapporte ses doutes quant aux financements de l'État ou de la Région, et sur les problèmes de ces pendulaires qui auraient besoin de stationnements appropriés à proximité de la voie de TCSP. Néanmoins, selon lui «sur la nécessité d'une vraie politique de déplacement pour tous, il n'y a pas débat».
C'est le même avis qu'expose Bernard Nemitz. Lui, le seul élu de l'opposition amiénoise membre du conseil d'agglomération. «Je pense qu'on n'est plus dans une situation où il y a des pour et des contre sur une base idéologique, c'est dépassé avec les arguments qui ont été bien étudiés. Je regrette, puisque je représente ici l'opposition municipale d'Amiens, ce qui s'est passé au conseil municipal jeudi dernier. Je sais qu'il y a eu un vœu présenté, je ne crois pas que ce soient de bonnes pratiques. Ou alors, il fallait qu'avant la proposition du vœu, les conseillers municipaux d'Amiens bénéficient tous de la présentation qui a été faite ce soir, en particulier de la présentation faite par Jacques Lessard car elle est riche en informations.»
Mis à part les positions idéologiques sur l'opportunité de faire des investissements importants en temps de crise, voilà ce qu'il reste de la polémique née lors du conseil municipal. Presque rien. Les élus de la métropole semblent, pour les positions exprimées, assez convaincus du bien-fondé de la refonte du système de transports en communs.
Bernard Nemitz ou Benoît Mercuzot ont tout de même demandé une réunion préparatoire dans laquelle le débat pourrait avoir lieu, avant le vote du prochain conseil métropolitain.
Je me suis attaché dans cet article à démêler les polémiques autour du vote d'un vœu au conseil municipal. Il ne s'agissait pas d'aborder le fond du dossier du choix du tramway face au bus à haut niveau de service (BHNS), qui méritera un autre article.
Les propos des protagonistes sont extraits de leurs interventions lors des séances du conseil municipal ou du conseil métropolitain.
J'ai par ailleurs spécialement interrogé Mme Bougon, en charge du dossier pour le groupe d'opposition municipale, MM. Lessard et Bonté, et rencontré le groupe d'élus métropolitains réunis autour de M. Mercuzot lors de leur conférence de presse.