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Le service public picard qui va rénover les logements

Le 20 November 2013
Reportage commentaires
Par Fabien Dorémus

On le prononce «spé». C'est le tout nouveau service public de l'efficacité énergétique (Spee) que vient de créer le conseil régional de Picardie. Il s'agit d'un outil unique en France destiné à aider les propriétaires à rénover leurs habitations de manière à les rendre plus efficaces énergétiquement. Refaire l'isolation, changer la chaudière, etc. Bref, tout ce qui peut faire baisser la facture énergétique.

C'est le 27 septembre dernier que la Région s'est dotée de ce nouveau service public. Ce jour là, les élus régionaux ont largement approuvé cette création (seul le groupe d'opposition «Envie de Picardie» s'est abstenu). C'est un «service public facultatif à caractère industriel et commercial, se situe à la croisée des compétences en matière d’habitat et d’énergie/environnement», selon les termes du rapport soumis au vote ce 27 septembre.

Le 29 novembre prochain, le conseil régional de Picardie devra à nouveau voter. Cette fois-ci se sera sur la création d'une régie dédiée. «Comme type de service public, on a choisi une régie, explique Denis Harlé, le directeur général des services de la Région. C'est la meilleure manière de démarrer rapidement. Cette régie aura son propre conseil d'administration et embauchera à terme une trentaine de personnes. On a prévu que la régie prenne effet le 1er janvier 2014.»



Exemple d'une surélévation de toiture pour améliorer l'isolation.

Pour le président du Conseil régional, Claude Gewerc, «tous les outils seront prêts en 2014». L'objectif du Spee est de permettre la rénovation de 2000 logements dans les trois prochaines années. Durant cette période, le Spee sera testé dans trois ou quatre «territoires» de la Picardie. Un territoire étant une zone d'environ 80 000 habitants.

Ces zones n'ont pas encore été choisies, tout ce que l'on sait c'est que chaque département de la Picardie en comptera au moins une. À qui faudra-t-il s'adresser si l'on possède un logement dans l'une des zones choisies ? «Nous ferons de la communication», promet Claude Gewerc.

Problématique nationale, réponse régionale

Les travaux effectués sur un logement peuvent faire diminuer largement la facture énergétique. Jusqu'à la diviser par deux ou trois, théoriquement. «Le bâtiment représente 43% de l'énergie consommée chaque année en France, précise Virginie Schwarz, directrice générale déléguée de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Et on estime que 55% des économies d'énergie sont à réaliser dans le bâtiment.» Il y a donc fort à faire.

Comme on le voit, la problématique de l'économie d'énergie est une problématique nationale. Or, aujourd'hui, c'est bien un service régional qui est créé. Pourquoi ? «Ce que nous sommes en train de faire avec le Spee, l'État n'est plus en capacité de le faire, note Christophe Porquier, vice-président de la Région, chargé de l'éco-développement. Aujourd'hui, ce sont les Régions qui innovent en France, l'État, lui, a du mal à sortir des sentiers battus.»

Mais l'élu précise qu'une initiative d'abord régionale peut s'étendre ensuite au territoire national : «C'était le cas quand, en 2007 en Picardie, on a lancé les prêts à taux zéro [déjà pour la rénovation énergétique, ndlr], ça a ensuite été repris nationalement.»

Évaluer objectivement les besoins

Concrètement, à quoi va servir ce nouveau service public ? D'abord à apporter une aide en matière de conseils. Jusqu'alors, la Picardie possède un réseau Espace info énergie composé de quinze conseillers. «Pour autant, il n’existe pas, en Picardie, de service intégré d’accompagnement des ménages dans la réalisation des travaux de rénovation et d’efficacité énergétique», note la Région.

Avec le Spee, il s'agira désormais d'accompagner les particuliers tout au long de leurs démarches. En proposant en premier lieu un diagnostic permettant d'évaluer objectivement les travaux nécessaires pour chaque habitation. «Le diagnostic sera gratuit dans les premiers temps», explique Vicent Pibouleu, de l'Ademe Picardie. Le temps de voir si le modèle économique prévu par la Région se réalise. Dans ce modèle, 23% des personnes qui feront la démarche d'appeler le Spee pour obtenir des conseils passeront véritablement à la phase des travaux. S'ils passent à la phase des travaux, ils devront régler une contribution au service public de 1500 euros HT.

Ce diagnostic sera bien plus élaboré que le simple et rapide Diagnostic de performance énergétique (DPE), obligatoire lors de la vente ou location d'un logement. D'un coût unitaire estimé entre 100 et 1000 euros, ce diagnostic «haut de gamme» sera effectué dans un premier temps par des bureaux d'étude externes au service public. «À terme, il sera effectué par les techniciens de la régie», assure Vincent Pibouleu.

Un suivi, même après les travaux

Ensuite, le service public picard orientera les demandeurs vers des artisans. «Les gens sont souvent bloqués par la contrainte technique, explique Christophe Porquier. Quel artisan joindre en premier ? L'entreprise choisie fera-t-elle les travaux convenablement ? Y aura-t-il surfacturation ?» Autant de questions auquel le Spee devrait pouvoir répondre grâce au tissage progressif de liens forts avec le secteur. «Ça va récompenser les artisans qui ont fait l'effort d'acquérir le label RGE [Reconnu Grenelle de l'environnement, ndlr]», se félicite Jean-Yves Bourgois, secrétaire général de la Chambre des métiers et de l'artisanat de Picardie.

Par ailleurs, un suivi post-travaux sera également assuré par le Spee. «Ça peut paraître technique mais c'est indispensable pour s'assurer de la pérennité des économies réalisées», précise Valérie Schwarz, de l'Ademe.



Claude Gewerc (président de Région), Valérie Schwarz (Ademe), Jean-François Cordet (préfet de région) et Christophe Porquier (vice-président de Région) lors de la présentation du Spee.

Après le suivi, le deuxième volet d'action pour le Spee réside dans le financement des travaux. Parce que ça coûte cher de rendre son logement énergétiquement efficace. Surtout lorsqu'on habite une maison ancienne, parfois véritable «passoire énergétique». En moyenne, il faut compter 30 000 euros pour une maison et 15 000 euros pour un appartement, selon les chiffres donnés par la Région.

Trois cas possibles se présentent alors. Trois types de particuliers. Il y a d'abord ceux qui sont très solvables et qui n'ont pas de problème pour demander un prêt à la banque. Ensuite ceux qui sont en grande précarité. Dans ce cas, le Spee ne pourra pas faire grand-chose, ils seront plutôt orientés vers les services du Conseil général de leur département pour obtenir une réponse à leurs besoins. Enfin, tous ceux qui ne sont pas en grande précarité mais à qui les banques ne vont pas vouloir prêter. C'est à eux que s'adressera le service de financement du Spee.

Le système de financement

Le Conseil régional a en effet prévu un système de prêts à 2% aux particuliers indépendant des banques. Des prêts qui pourront atteindre les 30 000 euros. Leurs particularités ? Ce seront des prêts dont la durée d'amortissement s'étalera de 15 à 25 ans, en fonction de la nature des travaux. Or, «pour un amortissement de travaux, les banques ne prêtent que sur 3 ou 5 ans», explique Jean-Yves Bougois, de la Chambre des métiers et de l'artisanat.

L'idée que développe le Conseil régional est que les économies énergétiques réalisées par les particuliers au fil des ans permettront de rembourser le prêt consenti. Comme on l'a précisé, le Spee est expérimenté durant trois ans. Pendant cette période, 2000 logements doivent pouvoir être rénovés. En comptant un prêt de 25 000 euros pour chacun de ces logements, la Région a donc prévu une enveloppe totale de 50 millions d'euros dévouée au financement.

D'où viennent ces 50 millions d'euros ? «8 millions proviennent de nos fonds propres, répond Pierre Sachsé, le directeur Environnement au conseil régional de Picardie. Les 42 millions d'euros restants proviendront entre 50 et 70% de la Banque européenne d'investissement, et le reste de la Caisse des dépôts ou d'autres banques.»

«Faire baisser les coûts»

Le troisième volet du Service public de l'efficacité énergétique concerne le lien avec les artisans. L'objectif est de les convaincre de se regrouper «pour répondre à des appels d'offre d'envergure», note la Région. Cet été, déjà, l'Ademe et la région Picardie ont lancé un appel à projets pour tenter de constituer vingt groupements d'entreprises. «Dans cet appel à projets, on donnait le volant d'affaires», explique Vincent Pibouleu, de l'Ademe Picardie. En clair: regroupez-vous et vous aurez du boulot grâce au Spee

Pourquoi regrouper les entreprises de l'artisanat ? La Région ne s'en cache pas, c'est pour avoir un œil non seulement sur la qualité du travail mais aussi sur son prix. «La perspective est de faire baisser les coûts puisque le secteur est sûr d'avoir du travail», annonce Claude Gewerc, le président du conseil régional.

Ce point est peut-être le seul que ne remporte pas tout à fait l'adhésion de la Chambre des métiers et de l'artisanat. «On ne s'est pas positionnés sur les regroupement, indique Jean-Yves Bourgois. On sait que ça va être difficile à mettre en place. Il faut que les entreprises créent un statut juridique dans lequel elle seront solidaire mais dans lequel aussi il faudra qu'un seul artisan soit chef de file.»

En revanche, il estime, comme la Région, que le Spee pourrait permettre de créer environ 650 emplois dans le bâtiment dans les trois ans. Et près de 3500 emplois à terme. Car pour répondre aux objectifs du Schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE), copiloté par la Région et la préfecture, il va falloir passer à la vitesse supérieure. Le SRCAE prévoit la rénovation thermique de 13000 logements par an à partir de 2020. Et jusqu'en 2050 !