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Le micro-lycée veut raccrocher les décrochés

Le 09 May 2013
Reportage commentaires

Mal-être, mauvaise orientation, pédagogie inadaptée: les raisons des décrochages scolaires sont nombreuses. Et la Picardie est particulièrement touchée par le phénomène. En 2010, 14% des élèves de la région n'ont pas atteint la fin du second cycle. À titre de comparaison, la moyenne nationale est de 9,7%. Cela représente 3431 jeunes picards laissés au bord du système scolaire, sans avoir pu obtenir le diplôme correspondant au cursus scolaire dans lequel ils étaient inscrits.

Le micro-lycée qui ouvrira ses portes à Amiens à la rentrée prochaine doit s'attaquer frontalement à ce problème. «Il accueillera les jeunes de plus de 16 ans et leur proposera de redevenir élève dans une formation diplômante», indique Philippe Carosone, inspecteur d'académie en charge de la mise en place du micro-lycée. C'est un dispositif expérimental mis en place pour trois ans. À l'issue de cette période, un bilan sera réalisé et une reconduction du dispositif pourrait alors être décidée.

Pourquoi «micro» lycée? Parce qu'il n'accueillera qu'une soixantaine d'élèves dans un bâtiment dédié, au sein du lycée Delambre, situé au nord d'Amiens. Ce sera un lycée dans le lycée, en quelque sorte.



Le rez-de-chaussée du bâtiment F du lycée Delambre accueillera le micro-lycée. Des travaux de rénovation, pris en charge par le conseil régional, y auront bientôt lieu.

Les futurs élèves intégreront soit des modules (ou classes) de rescolarisation, soit des modules diplômants. Les modules de rescolarisation, de niveaux seconde et première, doivent remettre les élèves en confiance afin qu'ils rejoignent, au bout d'un semestre ou d'un an, une scolarisation classique. Quant aux modules diplômants, ils ont pour but de valider, en une année, un baccalauréat technologique ou professionnel.

Qui seront les futurs élèves du micro-lycée ? Des jeunes picards identifiés par les Centres d'information et d'orientation (CIO) de l'académie ou par les Missions locales. Le recrutement est en cours, il s'achèvera en septembre prochain par des entretiens individuels. Puis la rentrée s'effectuera officiellement à la fin du mois de septembre.

«J'ai eu l'information par le CIO», confirme Laïka Aliouane, 20 ans. Déscolarisée depuis 2010, elle intégrera très probablement la Terminale professionnelle commerce du micro-lycée amiénois. «J'ai arrêté l'école en première, ça ne m'a pas plu.» Laïka l'explique par une mauvaise orientation. À la sortie de la classe de troisième, elle avait émis le souhait de continuer ses études dans le domaine de la parfumerie et de la cosmétique. Au final, elle commencera un cursus de métiers de la mode. «On m'avait dit que c'était pour être styliste, mais en fait c'était pour devenir couturière en industrie. C'était pas mon truc. En deuxième année, j'ai abandonné.»

Elle abandonne l'école, mais pour faire quoi ? De son propre aveu, pas grand-chose: «Je n'ai pas travaillé. Je ne pensais pas au lendemain, je vivais au jour le jour. Et puis, j'avais de mauvaises fréquentations...» Pourtant, «dans mon entourage, tout le monde me disait de reprendre les cours, mais je n'écoutais pas».

«Rattraper le temps perdu»

Puis, un jour, vint le déclic - «c'est venu de moi» ; l'idée de reprendre ses études: «Je me suis rendue compte que sans diplôme on ne peut faire qu'un nombre limité de métiers. Et j'ai envie de pouvoir me lever le matin pour faire un métier qui me plaît

Aujourd'hui, elle veut «rattraper le temps perdu», et valider son bac professionnel en une seule année, comme le lui permet le micro-lycée.



Nouredine Labadi et Laïka Aliouane, futurs élèves de la structure.

Aux côtés de Laïka Aliouane, son ami d'enfance Nouredine Labadi, 22 ans. Lui aussi a stoppé l'école tôt. Mais son histoire n'est pas celle d'une mauvaise orientation. Il n'était pas heureux au lycée. Et c'est peu dire. Il évoque une «boule au ventre» quotidienne. Inscrit en seconde pour obtenir un bac pro commerce au lycée Romain-Rolland (Amiens), il explique pudiquement que l'établissement ne lui plaisait pas. «J'ai commencé à faire de l’absentéisme.» Il redouble sa seconde. Mais l'année suivante, rien n'y fait: «Au bout de deux ou trois mois, c'était un échec total.» Pourtant, explique-t-il, «quand je venais, j'avais d'excellentes notes.»

Ces bons résultats lui permettent de négocier un passage en première avec le chef d'établissement. Mais Nouredine veut changer de lycée. «J'ai voulu aller au Sacré-Cœur à Amiens mais la sélection se fait sur dossier, alors avec mon absentéisme...» Il s'inscrit alors au lycée Lamarck, à Albert. «Mais là-bas, j'ai subi des discriminations par rapport à ma race, ma couleur.» Au bout d'un trimestre, il jette l'éponge. On est alors en décembre 2008.

Obtenir un diplôme

Depuis cette époque, Nouredine Labadi a enchaîné les emplois, précaires. «J'ai fait une formation à l'Afpa en relation clientèle à distance et j'ai travaillé dans ce domaine, mais aussi dans le commerce, j'ai fait aussi de l'administratif.» Sans s'arrêter jusqu'en décembre 2012.

À la rentrée prochaine, il devrait se trouver dans la Terminale professionnelle commerce, en compagnie de son amie Laïka Aliouane. «Ce qui m'a attiré dans le concept du micro-lycée, explique-t-il, c'est que l'on prend en compte la maturité des élèves. On va avoir notre autonomie, on sera dans des petits groupes et non pas à quarante par classe.»

Pour Nouredine, le besoin d'obtenir un diplôme qualifiant s'est fait sentir durant ses expériences professionnelles. «À un moment, je pouvais évoluer, obtenir un meilleur poste, mais j'avais une barrière à cause des diplômes demandés.» Il espère que le micro-lycée sera un tremplin pour continuer des études supérieures.

«Les décrocheurs ont souvent perdu confiance en eux, indique Patrick Lahouste, le proviseur du lycée Delambre, à l'intérieur duquel sera hébergé le micro-lycée d'Amiens. Ils ont parfois été victime de harcèlement. La réussite [du micro-lycée] dépendra de la possibilité de réparer la confiance en soi.»

Le micro-lycée doit être un lieu de passage

Par ailleurs, Patrick Lahouste reconnaît que, par son fonctionnement, le système scolaire crée des exclus. «L'école dans ses jugements, dans ses façons d'évaluer, peut provoquer des décrochements.» Conscient de cette réalité, il indique qu'une cellule de veille et de prévention du décrochage se réunit tous les quinze jours au sein de son lycée afin de parler des élèves en situation fragile.



Patrick Lahouste, proviseur du lycée Delambre.

S'il se félicite de la création du micro-lycée, Patrick Lahouste explique que celui-ci doit être un sas, un lieu de passage temporaire des élèves, avant que ceux-ci ne rejoignent un parcours plus classique. Et c'est l'une des difficultés qu'aura à affronter le micro-lycée: expliquer aux élèves qu'ils n'ont pas vocation à effectuer plusieurs années au sein de la structure. Pas simple quand le micro-lycée offre des conditions d'étude plus favorables qu'un lycée classique.

Car, outre des classes (ou modules) de faibles effectifs (entre douze et quinze élèves), le micro-lycée sera doté d'une équipe pédagogique particulière. «Ce sont des gens capables de travailler le scolaire et l'éducatif, précise Philippe Delignières, chargé de mission pour la Direction de l'égalité des chances et de l'éducation prioritaire (Decep). Au micro-lycée, enseigner l'anglais à Paul, ça veut dire pour l'enseignant connaître l'anglais et Paul. Les enseignants recrutés sont des militants de la pédagogie.»

Le recrutement des enseignants du micro-lycée vient de se terminer. Ils seront dix, la plupart partageant leur temps entre cette nouvelle structure et un autre établissement. Comment ont-ils été recrutés? «Nous avons mis une annonce sur le site du rectorat, et nous avons fait des réunions sur le décrochage scolaire en compagnie d'enseignants qui ont été sensibilisés au projet», indique Delphine Dhaussy, chargée de mission à la Decep.



Delphine Dhaussy et Philippe Delignières, chargés de mission au rectorat.

«Un sas de remotivation au quotidien»

Une cinquantaine de demandes ont été enregistrées. Avec quelques surprises: «On a eu beaucoup de demandes d'enseignants espagnols ou portugais, relate Delphine Daussy. Avec le crise chez eux, ils cherchent du travail ailleurs.»

Dans le choix de recrutement des enseignants, «c'est la notion d'esprit d'équipe qui s'est détachée», explique Gérald Broutin. Il y a trois mois, il ne connaissait rien des micro-lycées. Aujourd'hui il est l'un des deux coordinateurs du projet amiénois. Et il le sait : «Ça ne va pas être facile tous les jours». D'où la nécessité d'une équipe pédagogique soudée.

Comment ce professeur de sport au lycée Delambre s'est-il intéressé au projet ? «J'ai assisté à une réunion dans laquelle le responsable du micro-lycée de Vitry-sur-Seine expliquait le rôle et la fonction du coordinateur. J'ai postulé.»



Gérald Broutin, l'un des deux coordinateurs du micro-lycée d'Amiens.

Travail en groupe, éducation, dialogue, relationnel avec les élèves: le travail que requiert le fonctionnement du micro-lycée n'est pas étranger à Gérald Broutin. «En cours d'EPS, on fonctionne déjà par groupes de niveaux. Et les élèves n'ont pas le même comportement dans nos cours.» Dans le micro-lycée, on ne parlera plus d'«enseignants» mais de «tuteurs». Des mots utiles pour consacrer une autre relation maître/élève.

La rentrée aura lieu fin septembre mais le coordinateur est impatient. «On est dans les starting-blocks, avec l'équipe pédagogique, on veut que ça fonctionne au mieux.» L'enseignant a déjà rencontré sept élèves qui feront sûrement partie de l'effectif du micro-lycée. Ces rencontres l'ont conforté dans son choix: «J'ai vu des gamins très intelligents mais qui se sont heurtés à un système scolaire pas adapté. Nous, on doit être un sas de remotivation au quotidien.»

D'autres micro-lycées existent déjà en France. Si le projet amiénois s'avère concluant, et si les financements suivent, d'autres projets de ce type pourraient voir le jour à Hirson (Aisne) et et à Creil (Oise). En attendant, les jeunes sortis du système scolaire de ces départements peuvent toujours postuler à Amiens.

Dans l'œil du Télescope

Mon reportage a eu lieu la semaine dernière au lycée Delambre. J'y ai pu m'entretenir avec toutes les personnes citées dans l'article. Toutes ? Non. Les propos de Philippe Carosone, inspecteur d'académie, sont rapportés d'un point presse organisé par le rectorat avant les vacances scolaires de printemps.