Deux semaines après le vote du conseil municipal, les horodateurs ont déjà investi le trottoir, rue Jules-Barni.
«Un vote intéressant!» lançait, narquois, le maire d'Amiens, au conseil municipal du 20 septembre. Les groupes centristes et communistes s'étaient opposés d'une seule voix au passage au stationnement payant des quartiers Riolan et Noyon.
Johanna Bougon rappelant que la décision avait été unilatérale et Cédric Maisse déplorant un «nouvel impôt» et les pétitions des habitants restées sans réponse.
Onze oppositions et quatre abstentions (le groupe indépendant de Jean-Claude Oger). Un résultat inhabituel parmi les délibérations du conseil municipal. Et si seuls les élus de l'opposition et les communistes avaient entendu les doléances des riverains?
Rappelons la situation. Devant l'engorgement de voitures dans les rues jouxtant la gare, la municipalité De Robien décide de lancer une expérimentation.
Concluant que les véhicules indésirables sont ceux des «pendulaires», des non-Amiénois qui viennent travailler ou prendre le train, la municipalité centriste instaure le stationnement payant et limité, et un «macaron» qui permet aux résidents du quartier de se garer gratuitement dans leurs rues (le second macaron d'un foyer est payant, par contre.)
C'est dans le quartier Sainte-Anne que le système est expérimenté et il remplit son objectif : les habitants tournent moins pour trouver une place. En 2010, revirement: dans le quartier-test, le macaron devient payant dès la première voiture: 50 euros, 100 pour la seconde et 150 euros pour la troisième voiture d'un foyer. Tous les ans.
Aujourd'hui c'est voté, malgré les oppositions : le système sera étendu sur la rue Jules-Barni et ses perpendiculaires, jusqu'au boulevard du Pont de Noyelles. Dès le 15 octobre.
Sans conteste, efficace
Pour l'adjointe à l'urbanisme et au stationnement, pas de doute. «L'expérience a montré son efficacité. Les études nous ont révélé que l'encombrement était dû aux «voitures-ventouses» qui restent à la journée ou à la semaine.»
Et Valérie Wadlow de citer des chiffres: le taux de stationnement moyen (soit la proportion de places occupées) était de l'ordre de 105% dans le bas de Sainte-Anne, il est aujourd'hui de 70%.
Mais cela n'est pas pour ravir les habitants. Paul Desœurbrun, président du comité de quartier Saint-Acheul, a lancé plusieurs appels à la mairie. Des courriers, des sondages de la population qui montraient un désaccord sur l'idée de payer pour se garer, des entretiens avec Valérie Wadlow, adjointe au maire sur les questions d'urbanisme et de stationnement, ou avec Étienne Desjonquères, l'adjoint responsable de la démocratie locale.
Rien n'y fit, Paul Desœurbrun a l'impression de ne pas avoir été entendu par la mairie. «Dans les concertations, l'avis des habitants n'est pas écouté, on n'a fait que nous exposer ce qui allait arriver. On a fait une enquête auprès des riverains, mais on n'a pas eu de réponse de la mairie : maintenant on passe pour des rigolos auprès des habitants du quartier.»
Stationnement payant, stationnement réduit
Le président du comité de quartier Saint-Acheul n'est pas seul à se battre contre les moulins à vent.
Sur la rue Jules-Barni, actuellement en pleine réfection, les raisons de la grogne se sont accumulées. Non seulement le stationnement résidentiel va coûter 50, 150 ou 300 euros aux riverains (selon le nombre de véhicules) mais, en plus, le stationnement en épi disparaît pour donner plus de place au passage du bus.
Soient plus d'une centaine de places englouties dans un stationnement longitudinal, moins dense. Eric Gourmelen est co-gérant de la supérette Spar. Sa voiture de fonction est immatriculée à l'adresse du magasin: il pourra vraisemblablement obtenir un macaron.
Néanmoins, une vague inquiétude le saisit, sur le passage au stationnement résidentiel: qui va vouloir payer pour faire ses courses? «Même si beaucoup de clients sont du quartier et qu'ils viennent à pied, je pense qu'on va en perdre une partie.»
Pas de macarons pour les travailleurs
Un pâté de maison plus haut, il y a la pharmacie Laudren. Pour Maria Laudren et ses collègues, va se poser un problème de parking.
«Nous avons dix employés, ils viennent tous en voiture. Comment vont-ils faire pour se garer? Ils vont devoir payer à l'horodateur, deux fois par jour. On va refaire une demande de macaron, mais rien n'indique que l'on sera entendu. On a demandé à la mairie une place de livraison, mais ça ne résout pas le problème. Le bus? Ce n'est pas adapté quand les employés terminent à 20h.»
Les plaintes des entreprises? Valérie Wadlow les entend. Sa réponse, celle qu'elle adresse à tous les pendulaires, ce sont les abonnements de parkings souterrains. «Il existe des offres au mois ou à l'année. L'abonnement annuel, rapporté à la journée, ne coût qu'un euro soixante. » 580 euros à l'année, pour le parking Vinci de la tour Perret. Qui n'est pas particulièrement proche du quartier Noyon-Riolan.
Réunions de concertation ou d'information?
Dans le quartier Gare-La Vallée, situé de l'autre côté de la ligne de chemin de fer, le passage au payant est intervenu l'an dernier. Danièle Leturcq, présidente du comité de ce quartier, l'avoue: une grande partie des habitants souhaitaient ce stationnement résidentiel. «Il y avait un vrai problème de parking. Dès 6h45, il était très difficile de trouver une place. Les gens se garaient là pour prendre le train. Ou pour travailler dans les entreprises de tertiaire du quartier.»
Désormais, les rues étroites du quartier restent libres et tranquilles. «Mais où vont-ils, ces gens-là?» se demande Danièle Leturcq.
En 2011, les habitants du quartier Gare-La Vallée auraient préféré la gratuité pour les macarons. Ils avaient également proposé une zone bleue, au stationnement gratuit limité dans le temps. «Cela se fait dans certaines villes, ce n'est pas une idée stupide» mais personne n'a écouté.
Et aujourd'hui ? «Objectivement, le stationnement résidentiel ne fait plus débat: les gens paient et se taisent. Mais c'est dommage, c'est un impôt en plus.»
Mais c'est surtout le manque de concertation qui a déçu la présidente du comité de quartier: en 2010, sentant le vent tourner, elle organisait des ateliers entre habitants, ateliers dans lesquels chacun pouvait s'exprimer sur les problèmes de stationnement et les solutions à adopter. «On s'est rendus compte que les rues avaient des problèmes très différents. À la dernière séance, Mme Wadlow est venue. Elle a écouté les restitutions et à la fin, elle nous a présenté son plan. Tout le monde s'est senti floué, ce n'était pas une concertation.»
Un impôt de plus
Valérie Wadlow connaît bien les arguments contre le coût du macaron. On lui a souvent rapporté que cet impôt supplémentaire paraît injuste, que chacun paye déjà des impôts fonciers ou des taxes d'habitation. «Je conçois que 50 euros n'est pas une petite somme, pour autant cela ne représente que 5 euros par mois pour du parking. Et quand on compare au coût annuel d'une voiture, ce n'est pas grand-chose.»
Pour avoir une meilleure vue sur les frais engagés pour le stationnement, la mairie a ordonné une étude: «Le rapport du cabinet indique qu'une place de parking coûte, en frais de voirie, à peu près 450 euros par an. Que doit-on faire avec l'impôt?, interroge l'élue. Je vais être caricaturale, mais préfère-t-on créer des places en crèche, investir dans les écoles, les transports en commun ou payer pour que les gens qui ont une voiture puissent stationner en ville?»
D'ailleurs, elle précise que le coût des horodateurs, le coût des parkings, les charges salariales des contractuels sont à peine compensés par les revenus liés au stationnement, macarons ou tickets.
À quoi bon le stationnement payant, si la ville n'en tire pas d'avantages? «Si on ne régule pas le stationnement, je vous laisse imaginer les soucis : il se passerait partout ce qu'il se passait tout autour de la gare. À partir du moment où l'on décide d'agir, il faut que cette politique s'autofinance.»
Errare humanum est
Retour rue Jules-Barni. Danièle, le nez à sa fenêtre, observe les travaux qui se poursuivent devant chez elle. Avec un air inquiet. Avec son mari, ils ont imprimé des affiches contre les travaux et les ont distribuées aux voisins. Et elles ont fleuri, de son côté de la rue. «Non à l'idéologie, oui à l'efficacité», «Oui, mais pas comme ça», ou sa préférée «errare humanum est, perseverare diabolicum.» Elle s'inquiète aussi pour le futur stationnement.
«Avant il y avait onze places sur le trottoir devant chez moi. Et c'était toujours plein, archi-plein. Il n'y en aura plus que trois ou quatre. C'est sûr, on n'aura plus les voitures-ventouses, mais pourra-t-on se garer devant chez nous pour autant? Et les médecins, les artisans, les livreurs, comment feront-ils? Ils vont devoir payer eux aussi?»
Danièle n'est pas convaincue, mais se sent désarmée. Elle relève que ses enfants, sa famille, devront payer l'horodateur pour lui rendre visite. «Maintenant on subit. Et on attend de voir ce qu'il en résultera.»
Tout autour de la gare, sur plusieurs centaines de mètres, toutes les zones seront payantes dès le 15 octobre. Les pendulaires, les conducteurs de voitures-ventouses et les habitants réfractaires au macaron, qui avaient déserté les quartiers Gare-La Vallée et Saint-Anne, s'étaient rabattus sur les quartiers Riolan et Noyon.
Le problème de stationnement sera-t-il, à nouveau, repoussé vers l'extérieur de la ville? «Aujourd'hui on pense avoir couvert le périmètre le plus saturé, explique Valérie Wadlow. Je ne doute pas que les gens nous avertirons s'il se produit un phénomène que l'on n'a pas anticipé.» La municipalité compte aussi sur des études: au-delà de 700 mètres de distance entre la voiture et le lieu de résidence, les gens préfèrent payer.
J'ai contacté les comités de quartier mercredi 3 et jeudi 4 octobre, après avoir rencontré Mme Wadlow. Les riverains consultés et les commerçants, ont été rencontrés sur le terrain, à l'improviste, mercredi et jeudi. D'autres témoignages, similaires en contenu, n'ont pas été utilisés.